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Appartient au dossier : Filmer l’art

Filmer l’art 2/4 : Trois fois Michel-Ange

De mêmes images des œuvres du peintre et sculpteur de la Renaissance italienne Michel-Ange ont été montées dans trois documentaires sur sa vie. Le premier a été produit par l’Italie fasciste, le deuxième réalisé en Allemagne nazie et le troisième dans l’Amérique des années cinquante. Chaque utilisation de ces images identiques permet de construire un discours radicalement différent sur l’artiste.
Comment le cinéma documentaire filme-t-il les arts plastiques ? Les frères Maysles, dont la Cinémathèque du documentaire organise une rétrospective au printemps 2019, se sont focalisés sur les installations de Christo et Jeanne Claude pendant cinq films. Balises explore d’autres propositions originales.

détail du titan de Michel Ange
Image utilisée dans Michelangelo : Das Leben eines Titanen (1938) / The Titan : The Story of Michelangelo (1950) et dans la version italienne réalisée par l’Institut LUCE

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À l’aide de photographies de paysages italiens, de gravures anciennes et d’un grand nombre d’œuvres, Michelangelo : Das Leben eines Titanen (1938) du cinéaste allemand Curt Oertel, raconte la vie de Michel-Ange à travers sa peinture sans qu’aucun acteur ne vienne l’incarner. Un plan, notamment, montre le plafond nu de la chapelle Sixtine pour faire ensuite apparaître les différentes parties peintes une à une pendant que le narrateur raconte l’histoire de la fresque. Sur un ton tragique, Oertel insiste sur la souffrance et le travail harassant de l’artiste comme moyen d’accéder au triomphe.

Pour les plans sur les œuvres, Oertel utilise les images d’un autre film sur l’art produit par l’Institut LUCE, une institution publique fondée par l’Italie fasciste et consacrée à la diffusion de films à des fins éducatives et informatives.
La version italienne avait orienté son propos sur le destin légendaire de l’artiste présenté comme un véritable génie italien. Dans la version d’Oertel, les commentaires sont entièrement réécrits, passant d’une glorification de l’homme divin qui correspond à l’idéal fasciste à une apologie de l’effort comme moyen d’émancipation individuelle, principe même de la rhétorique nazie.

L’histoire de ces images ne s’arrête pas là puisque, une dizaine d’années après la version de Curt Oertel, qui remporte un succès international, Robert J. Flaherty (1884-1951) et Richard Lyford (1917-1985) réalisent une version américaine, The Titan : The Story of Michelangelo (1950), à partir d’un remontage des mêmes images. Le commentaire, bien que légèrement plus informatif, garde la même orientation que la version d’Oertel en mettant l’emphase sur les aspects tragiques de la vie de l’artiste comme passage obligé pour un succès éternel.
Malgré cette perspective dramatique, le film éclaire aussi le travail de l’artiste par des commentaires plus analytiques. La critique souligne sa capacité à rendre l’œuvre de Michel-Ange plus compréhensible au public que s’il en avait fait l’expérience réelle. La confrontation des différentes versions permet ainsi de mesurer la capacité des films sur l’art, notamment les monographies d’artiste, à assimiler les besoins d’un discours national.

Lydie Delahaye, docteure en Études cinématographiques

Publié le 09/04/2019 - CC BY-SA 3.0 FR

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