Questions/Réponses

Histoire de rimes…

J’ai relu récemment la fable de La Fontaine, « Les animaux malades de la peste ». Je constate que « parler net » doit rimer avec « baudet ». Comment doit-on prononcer ces deux mots ?

Les animaux malades de la peste
Gravure de Gustave Doré, Les animaux malades de la peste [CC-PD]

Vous n’êtes pas le premier surpris par les rimes de « parler net » avec « baudet ». En 1870, Souriau dans son Évolution du vers français écrivait, p. 211

Très souvent nous constatons que La Fontaine se contente d’une assonnance assez vague : il mettra à la rime : « Dieu sait » et « hic jacet » ; « net » avec « baudet » (…) (passage trouvé sur Google Books).

Souriau semble donc penser que la prononciation de ces deux mots n’a jamais été semblable et que La Fontaine est fautif. Nous avons voulu vérifier dans des ouvrages de l’époque de La Fontaine la prononciation indiquée.

Nous avons trouvé dans Gallica, l’ouvrage suivant :
Grammaire et syntaxe françoise : contenant reigles bein exactes et certaines de la prononciation, orthographe… ([Reprod.]) / par Charles Maupas,… 
J. Cailloué (Rouen), 1632, Source : Bibliothèque nationale de France.  Voir l’ouvrage.

Maupas y écrit, p. 4,

quelques consonnes à la fin des mots ne se prononcent que peu ou point, assavoir b, d, g, m, n, s, t, x, z. Elles ne sont pourtant point oisives, car elles servent à prolonger la syllabe.

D’après cet auteur, on pourrait donc penser que net et baudet se prononçaient « nè » et « baudè » (avec un e long).
La consultation de manuels contemporains d’histoire de la phonétique confirme cette hypothèse :

D’après Annick Englebert (Introduction à la phonétique du français, p. 129),

Au 16e siècle, les grammairiens recommandent (…) d’articuler la consonne finale à chaque pause de la phrase – ce qui est révélateur d’un amuïssement généralisé.

Pour Monique Léonard (Exercices de phonétique historique, p. 9)

Au 17e certaines consonnes seront restaurées ; en particulier dans les monosyllabes.

Plutôt qu’une « assonance assez vague » il est donc plus probable que la Fontaine prononçait encore net « nè » alors que pour cette monosyllabe pouvant être source de confusion (nez, né, net) la mode revenait à une prononciation du t. Ces deux prononciations ont dû cohabiter un certain temps.
Ainsi, dans le Nouveau dictionnaire de poche de la langue française avec la prononciation de 1821 (trouvé dans Google Books ), on trouve p. 419 comme prononciation pour net : « net, te. a. (nè, è-te). propre, vide, uni ».
Dix ans plus tard, en 1831, Charles Morand (Essai d’un traité général et analytique de la prononciation française: ou Dictionnaire de toutes les solutions nécessaires sur les difficultés du langage parlé) tient encore à rappeler que le t de net doit se prononcer, signe vraisemblablement que cette prononciation n’était pas généralisée :

T final se fait sentir dans tous les cas (…) pour les mots qui formeraient équivoque avec d’autres dans lesquels cette consonne est muette, comme on le verra ci-après : (…) infect, introït, le Lot, net, opiat, Port-au-Prince, prétérit, prurit (…).

Voici les notices des deux ouvrages consultés cités plus haut :

Introduction à la phonétique historique du français,De Boeck-Duculot, 2009.
À la Bpi, niveau 3, 84.58 ENG

Exercices de phonétique historique, Monique Léonard, Nathan, 1999
À la Bpi, niveau 3,  84.58 LEO

Cordialement,
Eurêkoi – Bibliothèque publique d’information

Publié le 01/01/2013 - CC BY-SA 4.0

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