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Appartient au dossier : Concours « Dis-moi dix mots » de la Bpi

La Zénitude, par Jean-Philippe Klein
(sous forme de nouvelle fantastique)

2e prix du jury du concours « Dis-moi dix mots », édition 2105, organisé par la Bpi.

Vieux livres entourés de légumes
Stocklib©Joop Hoek

Ce soir là, le docteur Barnabé TROUILLARD était anxieux.

Ancien chercheur, spécialiste de la chaîne respiratoire mitochondriale en eau oxygénée, il avait terminé sa carrière sur une profonde mésestime de lui-même, déçu de n’avoir récolté en temps voulu, la reconnaissance de la communauté scientifique universelle.

Mais comme il est écrit : « il n’y a pas de science sans patience», il s’était retiré dans le Morbihan, en bord de mer, dans un ancien moulin à marée légué par ses parents, et vivait dans un confort très relatif. Menacé d’expulsion pour non paiement de l’impôt, il se savait sursitaire, et battait froid avec les représentants de l’Etat. Dans ce milieu retiré, ses plus proches voisins étaient un couple d’oies « Bernaches » qui avait trouvé le coin charmant, et une famille d’ « Avocettes » qui fouillait en permanence la boue de la baie, à marée basse.

Sa personnalité d’homme solitaire, forgée tout au long d’interminables heures de réflexion, lui imposait de maîtriser à chaque instant son univers proche, à en définir les contours, à ne rien laisser au hasard.
Phobique, il accumulait avec empressement une masse d’objets disparates afin que le quotidien ne le prenne pas au dépourvu. Diogène n’était pas loin… il lui tendait la main…

Mais ce soir-là, il ne dormait pas, tant il était déstabilisé.

Assis sur l’escalier de granit conduisant au jardin, il regardait dans ce ciel breton la pluie d’étoiles filantes, et ces points lumineux qui cachaient pour chacun, des millions de galaxies… Ainsi, lui qui avait travaillé toute sa vie sur l’infiniment petit, se rendait compte de l’infiniment grand.

Il n’en était pas arrivé là par hasard. Une semaine auparavant, parisien d’un jour, il avait acheté chez un bouquiniste des quais de Seine un ouvrage d’astro-physique dont la lecture intensive n’avait fait qu’empirer ses travers intellectuels, pour en arriver ce soir à cet état quasiment cataleptique…

Où sont ces trous noirs qui aspirent les étoiles, l’énergie du même nom, ces super novae? et la matière sombre qui serait plus importante que la visible? Cet univers en expansion dont il cherche vainement le périmètre, comment le modéliser? le conceptualiser?- imaginer son diamètre d’environ 15 milliards d’années lumières et l’ensemble de ses composants : des pulsars brillants par leur absence, aux amas de poussières interstellaires… trop c’est trop… Cette errance à la frontière du matériel n’est pas compatible avec sa connaissance, lui qui a appris qu’une cellule de dix microns dont il voyait quotidiennement le contour avec son microscope, était composée de mille milliards d’atomes!!.. c’était déjà beaucoup d’efforts… Aussi les cent milliards de neurones de son cerveau ont jugé la situation intenable pour ne pas dire mortifère ; leurs interconnexions se sont affolées avec une effervescence insoupçonnée, réduisant leurs messages complexes à des acronymes afin de gagner du temps…

… C’est alors qu’une bande lumineuse surgissant de l’espace, s’abattit sur le potager, provoquant un nuage nacré d’une luminosité intense, englobant une des avocettes qui cherchait désespérément le sommeil au milieu des poireaux et des choux, amoureusement cultivés par Barnabé.

Bien que son visage restât impassible, on devinait dans ses yeux une stupeur certaine, et de nombreuses interrogations sur les évènements à venir dans l’espace-temps immédiat.

« Que sont devenus mes légumes, et cette avocette si gentille ? D’où vient ce phénomène? – Ne serait-ce pas mon percepteur qui aurait conçu et placé en mon absence une machine pyrotechnique infernale, source de ce nuage dissimulateur, lui permettant d’émerger brutalement pour me chasser définitivement ? » …Avec beaucoup de discernement on sentait l’angoisse monter en lui…  Mais peu à peu cette densité lumineuse se dispersait au profit d’une multitude de formes filamenteuses… la transparence s’instaurait… le mystère allait s’élucider… non sans une nouvelle surprise !… Une forme gracile se détachait de l’épicentre… et ce n’était pas lui, engoncé dans son costume de technocrate sinistre, plus enclin aux additions accablantes qu’aux soustractions salvatrices, mais… une beauté en robe blanche sur laquelle tombaient des cheveux ébouriffés, à la peau fine et aux yeux de faïence…

– « où suis-je ?» demanda cette déesse
– « dans mon jardin » articula péniblement Barnabé,
– « Non, je veux dire sur quelle planète ? » renchérit-elle !
– « Ben sur terre!» répondit-il avec un étonnement naïf, avant d’ajouter « mais d’où viens-tu ? » et « quel est ton nom ? »
« Je me prénomme Agathe, on me dit nièce d’Aglaé, et je vis dans l’univers. Je fais partie du SIG, le SAMU Inter Galactique. J’étais en train de jouer à Colin Maillard dans la constellation de l’Hydre, lorsque depuis la comète Tchouri, Philae, mon robot sentinelle préféré, m’a envoyé un message me signalant ton désarroi! Alors le temps de prendre ma trousse de secours inter-stellaire et me voici ! »…

… Bigre ! La nièce d’Aglaé ! Devant tant de grâce, son organisme commençait à réagir violemment. Il eu un mal de tête soudain.

Les neurones de l’esprit apollinaire s’opposaient aux jacobins, ces derniers considérant qu’un être parfait ne peut laisser l’émotion influer sur la raison… La guerre ouverte était déclarée…non seulement Barnabé Trouillard leur imposait de réfléchir sur l’univers, mais à présent il fallait intégrer une dimension affective dans leur mode de raisonnement. Ils avaient l’impression d’appartenir à un être décadent, et c’était un euphémisme… La conséquence immédiate fut une perte de coordination des différents centres de décision, on passait d’une catalepsie profonde à une forme de chorée avec ses gestes désordonnés ….

… Agathe ne perdit pas son « sang-froid »mais se dit qu’il était temps d’intervenir… Saisissant sa boîte de pandore, elle sortit successivement une broyeuse d’idées noires, un aspirateur d’interférences négatives… autant de choses inconnues des urgentistes du système solaires. Même «titi», le praticien le plus doué d’entre eux, était à cent années lumières d’imaginer une telle thérapeutique. Mais le fin du fin, qu’elle manipula avec la plus grande délicatesse… la pierre de jade fondamentale, ancêtre de la pierre philosophale, capable à elle seule de résoudre les problèmes les plus complexes…

Elle la posa sur le front de Barnabé et orienta sa tête vers la constellation du microscope. Des rayons invisibles, captés et retransmis lui faisait vivre une expérience sensorielle hors du commun… Le maestro de son épigénétique ne jouait plus de requiem, c’était un air de jazz qui trottait désormais dans sa tête… son regard de cire s’illumina, un large sourire apparu, sa perception de l’environnement subissait une mutation profonde, son approche de l’univers et de la mitochondrie n’était plus anxiogène.

Assommé par tant d’épreuves, il s’endormit dans les bras d’Agathe…

… Il venait de comprendre que l’on ne peut pas tout comprendre, mais que le pire est de ne pas s’interroger….

Son esprit scientifique se retrouvait en phase avec lui-même. Le chercheur en retraite Barnabé TROUILLARD avait atteint la zénitude .

Publié le 10/06/2015 - CC BY-SA 4.0

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