Chronique

Le Cas Annunziato, de Yan Gauchard

Journaliste de profession, Yan Gauchard publie en cette rentrée de janvier son premier roman aux Editions de Minuit. Une histoire rocambolesque et facétieuse qui n’est pas sans rappeler les meilleurs auteurs de la maison.

Le Cas Annunziato - Yan Gauchard - couverture
A la Bpi, 840″20″ GAUC 4 CA

Qui n’a jamais rêvé d’être enfermé, une nuit au moins, dans un musée ? C’est ce qui va arriver à Fabrizio Annunziato qui, suite à une innocente plaisanterie, se retrouve cloîtré dans une petite cellule appartenant au musée San Marco, un des bijoux de Florence où l’on peut admirer les chefs-d’œuvre de Fra Angelico. La blague, initiée par une gardienne du musée, ne devait durer que quelques minutes, mais par un concours de circonstances – décès subit du père de l’employée du musée, jour de fermeture suivi de quelques jours de grève, etc. -, Annunziato reste dans sa prison une dizaine de jours.

Pas de quoi paniquer pour autant : Annunziato a son téléphone, il pourrait appeler à l’aide mais il voit plutôt dans cet enfermement temporaire l’occasion idéale pour travailler sur le manuscrit qu’il est censé traduire, et auquel il rechigne à s’atteler tant son contenu lui semble médiocre. Et puis, par un heureux coup du sort, la fenêtre de sa cellule offre un vis-à-vis parfait sur celle de la charmante Raphaëlla avec qui il ne sera pas désagréable de communiquer par signes. Autant, donc, faire contre mauvaise fortune bon cœur…

Le Cas Annunziato commence ainsi comme une sympathique farce. On s’amuse des coïncidences improbables, des réactions étonnantes du héros face à sa situation, de ses curieux airs de Robinson d’intérieur, mais aussi de sa ressemblance avec le Fabrice de la Chartreuse de Parme, qui tombe amoureux de la fille de son geôlier lorsqu’il se retrouve au cachot dans la tour Farnèse.

Mais on ne saurait réduire le Cas Annunziato à une aimable facétie sans l’amputer et le dévaluer largement. Car, quand enfin Fabrizio Annunziato est retrouvé dans sa cellule, s’ouvre un deuxième mouvement aux airs bien plus sérieux, qui entre en résonance avec plus de trente ans de vie politique italienne. Il faut dire qu’Annunziato a bien choisi son moment pour se faire enfermer : nous sommes en 2002, et l’Italie vient de vivre quelques jours de contestation intenses contre Silvio Berlusconi. La découverte de cet homme dans une cellule du musée San Marco est un signe supplémentaire d’agitation, et la police florentine ne peut se permettre de le laisser passer. Face au lieutenant-colonel Santanelli, Annunziato détricote sa vie, et on le découvre lié – on ne s’en serait jamais douté – aux Brigades Rouges qui ne cessent de hanter la vie politique italienne depuis les années de plomb.

En quelques pages, Annunziato change de statut, du dindon de la farce lunaire au symbole d’une insurrection qui dort sans jamais réellement disparaître. Sa réapparition au monde le transfigure, quasiment dans le sens biblique du terme. Gauchard persiste à croquer la situation avec beaucoup de drôlerie, mais Annunziato incarne soudain, toujours à son corps défendant, des enjeux politiques majeurs – dont il se dépatouille tant bien que mal.

Premier roman de Yan Gauchard, le Cas Annunziato paraît chez Minuit – c’est déjà de bon augure – en même temps qu’Envoyée spéciale de Jean Echenoz. Une heureuse coïncidence, car les deux romans se rejoignent sur bien des points : dans les deux cas, un héros malgré lui vit une aventure loufoque en huis-clos avant d’émerger de sa cellule pour interférer, de manière plus saugrenue encore, avec de vastes affaires politiques. Evidemment le cadre n’a rien à voir – Echenoz nous emmène, pour sa part, en Corée du Nord  – mais on repense régulièrement à Envoyée spéciale à la lecture du Cas Annunziato, comme si Gauchard voyait son entrée dans le monde littéraire se faire sous le haut patronage d’Echenoz. On peut difficilement rêver mieux.

Au-delà, le style économe du roman, son exploitation scrupuleuse d’un cadre extrêmement contraint, son humour froid et les saillies de son narrateur rappellent d’autres auteurs emblématiques de Minuit, de Robbe-Grillet à Tanguy Viel. En 2014, des universitaires se demandaient s’il existait réellement un “style Minuit”. On ne tranchera pas la question mais force est de constater que Yan Gauchard trouve parfaitement sa place parmi les auteurs de la mythique maison d’édition.

Publié le 17/02/2016 - CC BY-NC-SA 4.0

Sélection de références

Le Cas Annunziato - couverture

On en parle... Sur On l'a lu

« Sur le fil d’une écriture maîtrisée, légère et stylée Yan Gauchard nous livre un premier roman aérien, tout aussi drôle qu’intelligent et savamment référencé. Une délicieuse découverte littéraire pour ce début d’année. »

Photo - Pierre Assouline

Y a-t-il vraiment un "style Minuit" ?

A l’occasion de la publication des actes du colloque intitulé « Existe-t-il un style Minuit ? », Pierre Assouline passe en revue les caractéristiques de cet esprit commun à de nombreux auteurs de la maison d’édition, tout en rappelant à quel point la notion de style commun, les concernant, est problématique.

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