Interview

« Parler de disparition procure une émotion immédiate »
Entretien avec Blandine Rinkel

Arts - Littérature et BD

L’écrivaine et musicienne Blandine Rinkel organise à la Bpi en 2020 une Nuit de la lecture placée sous le signe de la disparition. Des auteurs qui jouent avec les points de vue, des lecteurs qui deviennent quelqu’un d’autre le temps d’un roman… Blandine Rinkel explique ce que signifie, pour elle, disparaître en littérature.

Comment reliez-vous littérature et disparition ?

Les auteurs qui m’intéressent le plus sont ceux qui écrivent pour disparaître ou, disons, pour brouiller les pistes. Philippe Vasset dit par exemple : « écrire avait, pour moi, quelque chose à voir avec l’invisibilité (…). Échapper, toujours, sans cesser d’être là, jamais. »


Le meilleur moyen de disparaître ne consiste sans doute pas à effacer ses traces mais à les multiplier : la littérature offre la possibilité d’être quelqu’un d’autre, de comprendre ce qui nous paraît incompréhensible, se mettre à la place d’un meurtrier ou d’une femme sans visage… Comprendre l’incompréhensible. S’abandonner soi-même — s’évaporer — pour mieux appréhender le monde depuis une pluralité de points de vues. Être partout à la fois, nulle part.


Et puis la littérature est le tombeau des mondes disparus, qu’ils soient individuels ou collectifs, le sanctuaire de ce qui a, un jour, existé.

Blandine Rinkel derrière un rayonnage
Blandine Rinkel, 2019

La disparition est-elle une thématique d’actualité ?

Je crois que la thématique de la disparition est pertinente parce qu’elle n’est pas à la mode, pas encouragée. Nous sommes incités en permanence à apparaître partout : par tous les moyens, sur tous les réseaux, et à nous inquiéter constamment de nos apparitions. Le droit à la disparition semble s’étriquer. Le fantasme de disparaître est donc d’autant plus fort qu’il est difficile à réaliser, qu’il s’agisse d’une simple déconnexion, d’un droit à l’inattention ou d’une disparition réelle comme les cent mille « évaporés » qui disparaissent chaque année au Japon.

Disparaître peut donc également être inquiétant…

Dans l’attirance que nous avons pour l’idée de disparition, il y a l’attirance du danger réel que cela représente. En même temps, disparaître reste un fantasme précisément parce que la réalité de la disparition est tragique. Pour cette Nuit de la lecture, il était évident d’évoquer les limites de notre fantasme en parlant de la mort. Dans le sens métaphorique de la mort d’une relation, par exemple, mais aussi au sens propre.


D’ailleurs, si parler de disparition procure une émotion immédiate, cela est sans doute lié, aussi, à l’état du monde et de la société. Un ou deux morceaux que nous jouerons dans la soirée évoquent la perspective de l’effondrement, par exemple.

Comment le fait d’écouter de la musique ou de danser participe-t-il à une expérience de lecture ?

Les textes qui nous parlent nous mobilisent, à mon sens. Dans Façons de lire, manières d’être, Marielle Macé rappelle qu’on peut lire en levant la tête et que les livres qui nous requièrent le plus sont peut-être ceux qui nous donnent envie de marcher. À titre personnel, j’ai des indices physiques quand un texte me parle, quand je sais qu’il me restera en mémoire : une excitation particulière, le dos qui se redresse. Depuis longtemps, j’envisage le corps et l’écriture ensemble. Récemment, je lisais un livre d’Haruki Murakami qui, comme premier conseil pour écrire, donne celui de se maintenir en forme physique.


Je trouve dommage que les bibliothèques et les musées portent certains gestes, certaines manières de se tenir, certains rythmes, et pas d’autres. Ces limites se justifient de manière évidente dans un cadre collectif, mais quelque chose ne me semble pas tout à fait juste quant aux effets que procure la littérature. J’aime l’idée de subvertir ces règles, le temps d’une soirée, de comporter différemment de ce à quoi on se serait attendu dans une bibliothèque. Jouer avec nos habitudes.

Publié le 06/01/2020 - CC BY-NC-SA 4.0

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