Interview

Appartient au dossier : Press Start 2023 : coup d’envoi pour l’esport !

Métiers et formations de l’esport
Entretien avec Laura Dejou

Culture numérique

L’esport, soit le sport vidéo ou le jeu vidéo de compétition, connaît un succès grandissant depuis les années 2010 : le 21 mai 2023, une rencontre d’esport rassemblait à Paris 14 000 spectateur·ices à l’Accor-Arena de Paris, mais un public plus large se retrouve sur les réseaux sociaux pour suivre ces matchs d’un nouveau genre… Le montant des récompenses accordées aux vainqueur·ses, qui peut dépasser le million d’euros, suscite des vocations. Alors que Press Start 2023 étudie le phénomène, Laura Dejou, ancienne joueuse professionnelle devenue coach, présente à Balises les différents métiers de l’esport.

Comment êtes-vous devenue joueuse professionnelle ?

Mon parcours est assez atypique puisque je n’ai pas fait de formation ou d’études en rapport avec les jeux vidéo ou l’informatique, mais un master dans l’environnement et l’écologie après un bac scientifique. Cependant, en parallèle de mes études, ma passion était le jeu vidéo Counter-Strike. À l’époque où je suis passée joueuse pro, c’était un peu différent d’aujourd’hui. J’ai d’abord fait des compétitions mixtes, puis rapidement, j’ai eu la chance de découvrir les circuits féminins qui favorisaient l’inclusion des joueuses sur la scène professionnelle de Counter-Strike. J’ai développé le goût de la compétition, et cela m’a permis d’aller dans différentes villes, différents pays : c’était passionnant !

Pendant dix ans, j’ai participé à des compétitions. J’ai atteint mes objectifs en tant que joueuse et mon équipe a fini championne du monde, sur plusieurs podiums à l’international. En 2018, j’ai arrêté la compétition, de même que mes coéquipières. Je voulais rester dans le domaine de l’esport, et j’ai reçu une proposition pour devenir responsable coach et encadrer des joueur·euses professionnel·les sur le jeu Fortnite, pendant quatre ans. Aujourd’hui, je suis en freelance et je travaille dans la formation et sur la sensibilisation autour de l’esport. Je réalise aussi des prestations en management et encadrement de deux FPS (first personal shooter) comme Valorant ou Counter-Strike 2, qui va bientôt sortir.

Un tournoi esport diffusé sur des écrans géantsdans une grande salle, avec un public nombreux.
The International, un tournoi e-sport annuel du jeu vidéo Dota 2, organisé au KeyArena de Seattle, par Jakob Wells – CC BY 2.0

Comment devenir professionnel·les ? Est-ce une voie ouverte à beaucoup de joueur·euses? 

La difficulté pour devenir joueur·euses professionnel·les est la même que dans un sport traditionnel : il y a très peu d’élu·es. D’abord, les joueur·euses sont repéré·es à partir des performances qu’iels font en ligne : certains sites répertorient les scores des joueur·euses, même s’iels jouent dans leur coin, dans leur chambre. Lors des compétitions en ligne, il y a des analyses statistiques de chaque joueur·euse, donc il suffit que l’un·e d’entre elleux ait réalisé des pics régulièrement pour qu’iel soit repéré·e. Ensuite, beaucoup de gens peuvent avoir du talent et de bonnes performances, mais à un moment il faut pouvoir dépasser un seuil, et pour le dépasser, il va falloir plus que ses propres capacités de jeu. Les sélectionneur·ses regardent aussi beaucoup le comportement des joueur·euses sur les réseaux sociaux, ou même leur comportement global. Les organisations esport s’intéressent à l’image et à la visibilité. Donc, une personne, même excellente dans les compétitions, qui a un comportement désastreux voire toxique sur les réseaux sociaux, a très peu de chances de réussir dans l’esport… Parfois, il faut aussi des contacts pour se faire repérer. Donc c’est très difficile de passer professionnel·le : parfois de très bons joueur·euses n’y parviennent pas, simplement parce qu’iels n’ont pas les bons contacts au bon moment. 

Dans l’ensemble, la compétition n’offre que des carrières courtes, comme le sport de haut niveau. Sur certaines disciplines très compétitives, les carrières durent trois ou quatre ans. Sur des jeux comme Counter-Strike, les joueur·euses peuvent rester professionnel·les pendant une dizaine d’années.

Quels sont les jeux dans lesquels on peut se professionnaliser ?

Dans l’esport, certains jeux ont plus de visibilité que d’autres, donc plus de sponsors et plus de possibilités pour un joueur·euse de gagner sa vie. En haut de la pyramide, on trouve l’éditeur Riot qui réalise League of Legends, Valorant, deux jeux mainstream qui marchent bien depuis des années. Ensuite, on trouve Counter-Strike, qui est aussi un jeu d’équipe. En-dessous, se placent des jeux qui ont un peu moins de visibilité, mais pour lesquels il existe quand même une scène internationale, des fans et des compétitions : c’est le cas de Fortnite, FIFA… Tant qu’il existe un public assez important, il y a des compétitions et des financements. 

En quoi consiste votre métier de coach ?

En termes d’entraînement, les joueur·euses sont traité·es exactement comme n’importe quel·le athlète. Iels ont des nutritionnistes, des préparateur·ices mentaux, on contrôle leur sommeil, etc. Quand on veut s’améliorer, il faut de la rigueur et de la discipline : on est loin de l’image du geek, qui mange des chips devant son écran !

La préparation des joueur·euses varie selon les disciplines esport, mais généralement cela se traduit par un échauffement, c’est-à-dire une répétition des mécaniques basiques qui vont servir au jeu esport : visée, déplacement, rapidité d’exécution, entraînement au lancer de tel ou tel objet, etc. Le ou la coach aide à mettre en place cette routine d’échauffement adapté aux besoins des joueur·euses selon leurs facilités ou leurs difficultés, et détermine ce qu’il y a à travailler en priorité. Cela dure généralement entre 1 à 2 heures par jour.

Ensuite vient le temps du briefing d’avant « pracc » : ce terme désigne une sorte de match qui ressemblera aux conditions des compétitions officielles. Cela permet de mettre en place les stratégies et d’appliquer les mécaniques échauffées sur ce type de match.

Le lendemain des compétitions, la session commence par un debriefing des replays de parties de la veille, analyse des points forts (highlights) et de ce qui peut être peaufiné, adapté, corrigé pour les prochaines parties. Enfin, le coach apprend aux joueur·euses des formes de gestion mentale et comportementale, pour leur permettre de focaliser leur énergie correctement, éviter de se disperser, ou de se fatiguer avant la fin d’une compétition. On apprend ainsi à mieux maîtriser son stress, sa colère, ses émotions et à être lucide en phase de jeu, avec des fonctions cognitives à leur maximum.

Hormis la compétition, quels sont les métiers possibles dans l’esport ? 

C’est une question que posent souvent les jeunes joueur·euses, ou leurs parents. J’ai travaillé avec des joueur·euses de treize à quinze ans sur Fortnite, pour lequel les compétitions sont ouvertes à partir de treize ans. Parfois des enfants qui réussissent bien dans les compétitions veulent ne faire que ça. Certain·es arrêtent l’école à 16 ans ou suivent des cours à la maison. Mais en effet, il n’y a pas que la compétition. Tout un ensemble de métiers s’ouvre aux amateur·ices d’esport.

Avec une bonne expérience, iels peuvent se lancer dans l’encadrement, devenir coach, assistant·e coach, manager·euse. Pour ces métiers, une partie des compétences est jugée sur des analyses de parties, de préparation d’équipe et de suivi de performance déjà réalisés.

Il faut également des analystes qui vont avoir comme mission d’étudier la dimension purement tactique du jeu. Il faut rechercher, par exemple, quel est le trajet le plus optimal pour passer d’un point A à un point B, quel est l’objet le plus intéressant dans telle ou telle situation, ou calculer la manière la plus efficace d’arriver à tel ou tel « spawn » (apparition d’une créature à combattre, un·e concurrent·e à affronter, un trophée à conquérir). Il faut regarder toutes les parties des joueur·euses , et compiler les centaines voire les milliers de données de tous les matchs, pour connaître les points forts  et ceux à améliorer. Il faut donc une solide base en mathématiques et en statistiques pour devenir analyste.

Les métiers de l’influence s’étant beaucoup développés ces dernières années, beaucoup de joueur·euses, pro ou ancien·nes pro, lancent des chaînes YouTube, TikTok ou réalisent des lives sur Twitch, etc. Donc, même des joueur·euses sorti·es de la compétition peuvent animer des streams, devenir influenceur·euse ou créateur·ice de contenu. Il y a aussi des métiers qu’on retrouve dans tous les secteurs, comme community manager : c’est un rôle très important dans les organisations esport, qui communiquent beaucoup sur les réseaux sociaux.

Les entreprises spécialisées dans l’esport recrutent aussi du personnel pour s’occuper de finances ou de marketing : il faut trouver des sponsors, des budgets ou lever des fonds. Mais dans ces métiers, le recrutement est surtout axé sur la compétence de base recherchée et les connaissances en esport seront accessoires, une certaine curiosité pour le domaine suffit.

Par ailleurs, les joueur·euses professionnel·les développent des compétences qui peuvent être utiles dans d’autres secteurs. Pour ma part, j’ai développé beaucoup de « soft skills » (compétences comportementales) : je suis très performante pour être multitâche, en particulier dans tout ce qui est numérique. Je peux suivre et analyser plusieurs informations en même temps. Et bien entendu, je me suis beaucoup améliorée en anglais puisque les compétitions se font souvent dans cette langue.

Quelles formations pour entrer dans ce milieu et se professionnaliser ? 

En France, la professionnalisation dans ces métiers débute. Il n’y a pas encore de formation vraiment reconnue par l’État. Depuis quelques années, on voit apparaître des écoles de gaming, accessibles avec le bac et généralement payantes, avec des programmes très variés.

Il existe aussi, depuis 2020, un brevet professionnel de la jeunesse, de l’éducation populaire et du sport avec spécialité Activité physique pour tous – Esport (BPJEPS-APS), pour lequel j’ai contribué à un des programmes pédagogiques sur deux ans. C’est gratuit et encadré par le Comité national olympique et sportif en Région Sud (CROS Région Sud). La formation permet de devenir animateur sportif « traditionnel·le », avec en plus une dimension esport. Le diplôme permet d’exercer dans le secteur associatif, les collectivités territoriales, les structures de vacances, les clubs de sports ou d’esport. Il y a beaucoup de besoins dans l’esport amateur, au sein de divers clubs sportifs qui souhaitent se diversifier, organiser des stages ou des modules esport annexes, et peu de gens sont qualifiés dans le milieu sportif traditionnel pour mettre en place et encadrer des séances esport.

Dernièrement, un diplôme Interuniversitaire (DIU) très bien construit a été mis en place par les formations STAPS (sciences et techniques des activités physiques et sportives) de Poitiers et de Paris. Ce diplôme est dédié à l’encadrement de la performance et de la santé esportives et prépare d’une manière très complète au métier d’esport manager·euse.

Publié le 04/09/2023 - CC BY-NC-SA 4.0

Pour aller plus loin

France Esports, pour la promotion et le développement des Sports électroniques

Association loi 1901 à but non lucratif, France Esports se donne pour objectif de rassembler les acteur·ices de sport électronique en France, afin de leur offrir une plateforme de collaboration efficace et un canal de communication fédérée – qu’iels soient joueurs, promoteur·ices, ou créateurs-éditeurs de jeux.
Rédiger un commentaire

Les champs signalés avec une étoile (*) sont obligatoires

Réagissez sur le sujet