Sélection

Appartient au dossier : La Chambre d’Écho(s)

La Chambre d’Echo(s) #9 : Conversations imaginaires avec Erik Satie
De Dada à l'ambient

Malgré l’admiration que lui ont immédiatement voué Debussy, Ravel et le Groupe des Six, l’histoire de la musique « sérieuse » moderne et contemporaine a plus ou moins cantonné Satie à la place que, d’avance, lui-même s’était attribué : en marge.

Dans le climat dogmatique de l’après 1945, dominé par le sérialisme intégral, seul John Cage semblait trouver en Satie un guide. La proximité de Cage et Duchamp ouvre un autre espace à la modernité sonore et à la poésie de l’auteur des Morceaux en forme de poire. Car Satie lui-même, à l’instar d’un Jarry, était certainement plus proche de Dada et des surréalistes que de ses collègues « compositeurs de musique ».

Sous l’influence de Cage, Duchamp et de leurs disciples, la figure de Satie va littéralement envahir les champs artistique (Fluxus, Nouveau Réalisme) et musicaux (minimalisme, ambient).

Ainsi retrouve-t-on Satie dans les lofts new-yorkais et les galeries parisiennes (La Monte Young, Yves Klein), mais aussi partout où la musique néglige virtuosité et expressivité au profit des « immobilités sérieuses » : dans l’ambient d’Eno, le postmodernisme de Gavin Bryars, Michael Nyman et du Penguin Cafe Orchestra, jusqu’aux vignettes de Pascal Comelade, Yann Tiersen et Gonzales ; dans la transparence minérale des productions ECM (Arvo Pärt, Meredith Monk) et un certain jazz contemporain (The Vienna Art Orchestra) :

Vienna Art Orchestra, Vexation 1801 (extrait)

Publié le 12/12/2016 - CC BY-SA 4.0

Sélection de références

Silence

John Cage
Denoël, 2004

L’empreinte d’Erik Satie, de son attitude, de son oeuvre, de ses conceptions et de sa poésie, traverse de part en part la pensée et l’art de John Cage, de la « Conversation imaginaire avec Erik Satie » donnée en 1948 à l’occasion du Festival Satie imaginée par le compositeur, et reproduite dans Silence : Discours et écrits (« Erik Satie »), à The First Meeting of the Satie Society, en passant par les interprétations régulières qu’il donna de ses pièces, notamment Vexations.

Pour Satie comme pour Cage, le piano reste un intéressant miroir où s’exercer au « nettoyage » des sons. Ainsi des célèbres Gymnopédies (Satie) et autres Sonates et Interludes (Cage), ou d’In a Landscape, ici interprété par Sarah Rothenberg.

John Cage, In a Landscape (extrait)

À la Bpi, Niveau 3, 78 CAGE 1

Erratum musical

Stéphane Ginsburgh
Sustain, 2000

Erik Satie a pu passer pour un compositeur marginal à son époque, entre Rose-Croix et cabaret. Avant John Cage, Dada et Duchamp y ont reconnu leur prophète : parmi d’autres pièces « en creux », l’Erratum Musical de Marcel Duchamp déjoue les règles du jeu musical (son histoire, ses formes, son langage).

Ici comme chez Satie la « musique » se retrouve transposée dans un espace ouvert, fonctionnel et non formel, qui laisse place à l’étonnement comme à l’ennui – et à l’indétermination. Le pianiste Stéphane Ginsburg, rompu aux Vexations de Satie comme à la discipline qu’exige la musique de Morton Feldman (For Bunita Marcus), a enregistré 7 variations de l’Erratum Musical (« a draw of 88 notes »). Ici : tirage 63-78 (sustain)

Stéphane Ginsburgh, Erratum Musical (extrait)

À la Bpi, Niveau 3, 78″19″ DUCH

Fluxus

Philip Corner
Wergo, 2001

L’ésotérisme d’Erik Satie fournit le prétexte à cette variation du compositeur Philip Corner, que le mouvement Fluxus compte parmi ses plus importants : Satie’s rose cross as a revelation.

L’enregistrement de cette pièce est issu de l’album Fluxus, où l’on retrouve également des pièces d’Alison Knowles et George Brecht

Philip Corner, Satie’s rose cross as a revelation

À la Bpi, Niveau 3, 780.61(082) FLU

Rothko Chape

Houston Chamber Choir
ECM label, 2015

Autour de John Cage, d’autres compositeurs ont reconnu en Satie un précurseur : Earle Brown, David Tudor, Christian Wolff et Morton Feldman, chez qui la recherche des surfaces sonores renoue avec une certaine « profondeur ».

En témoignent des pièces comme Why Patterns?, For Samuel Beckett ou Rothko Chapel, hommage à l’ami peintre de Feldman et à son oeuvre, installée à Houston.

Rothko Chapel est ici interprétée par le Houston Chamber Choir, Kim Kashkashian (alto), Sarah Rothenberg (piano, celesta) et Steven Schick (percussion)

Morton Feldman, Rothko Chapel (extrait).

À la Bpi, Niveau 3, 78 FELD.M 50

Conférence 1960 : été 1960

Conférence 1960 (La Monte Young)

La Monte Young
Eolienne, 1998

Ce petit « livre-manifeste » que rééditent les Éditions Éoliennes revient sur la classe que tint, à l’été 1960, La Monte Young au Dancers Workshop de la chorégraphe Anna Halprin. L’occasion, de permettre au musicien estampillé Fluxus d’adresser ensuite une « Lettre à un jeune compositeur » dont il conseille la lecture… hasardeuse. (…) (Guillaume Belhomme, Le Son du Grisli)

« Composition 1960, #2 : faites un feu devant le public »

Composition 1960, #5 : lâchez un papillon (ou un certain nombre de papillons) et laisses le(s) voler dans l’espace de la performance. Quand la composition est terminée, soyez certain de permettre au papillon de s’envoler à l’extérieur. »

Composition 1960 #9 : tracez une ligne et suivez là » etc. »

Quelques minutes après, le cuisinier nous donnera du sel. Juste du sel. Alors un de nous dira : « Quoi, c’est tout? »

Et le cuisinier répondra : « Qu’est-ce qu’il y a? Z’aimez pas la cuisine statique? »

« J’aimais entrer dans les sons », confesse le compositeur performer et ancien saxophoniste de jazz La Monte Young, connu pour ses drones minimalistes et des installations comme la Dream House. « Est-ce que c’est comme être seul? » lui demanda Richard Brautigan. « Oui », répondit Young.

À la Bpi, Niveau 3, 78 YOUN 1

Symphonie Monoton-Silence

Yves Klein
, 1960

La même année 1960, à la Galerie d’Art contemporain de Paris, Yves Klein réalise une performance restée dans les annales : pendant que trois modèles-pinceaux enduites de peinture monochrome impriment formes et mouvement aux toiles étendues par terre, un ensemble d’instrumentistes en smocking exécute sa Symphonie Monoton-Silence, dont la teneur et l’intention sont très proches des happenings de la Monte Young, mais présentés avec un art de la distanciation qui n’est pas sans évoquer Satie.

The Monotone Symphony (1949, rec. March 9, 1960)

« Mon ancienne symphonie monoton de 1949, qui fut interprétée, sous ma direction, par le petit orchestre classique pendant l’exécution du 9 mars 1960, était destinée à créer « le silence-après » : après que tout fut terminé, dans chacun de nous tous, présents à cette manifestation.

Le silence… C’est cela même ma symphonie, et non le son lui-même, d’avant-pendant l’exécution. C’est ce silence si merveilleux qui donne la « chance » et qui donne même parfois la possibilité d’être vraiment heureux, ne serait-ce qu’un seul instant, pendant un instant incommensurable en durée. Vaincre le silence, le dépecer, prendre sa peau et s’en vêtir pour ne plus jamais avoir froid spirituellement. »

(Yves Klein, Le Vrai devient réalité, p. 285)

A la Bpi, Niveau 3, 70″19″ KLEI

Conversations avec Tom Johnson

Bernard Girard
AEDAM Musicae, 2011

Un tout autre genre de minimalisme, dont l’esprit serait peut-être encore plus proche de l’auteur des Pieces Froides, est celui pratiqué par le compositeur américain (installé en Ile-de-France) Tom Johnson.

Gilbert Delor, auteur d’une des rares thèses de musicologie consacrée en France à Erik Satie, n’hésite pas à rapprocher »deux approches mécaniques de l’écriture musicale ».

A la Bpi, niveau 3, 78 JOHN.T 1

Ambient : music for airports

Ambient 1 - Music for airports (Brian Eno) ; Anthologie de l'ambient : d'Erik Satie à Moby

Brian Eno ; Olivier Bernard

Comme Erik Satie, le songwriter (membre de Roxy Music) producteur et designer pop (notamment pour David Bowie, les Talking Heads, U2…) Brian Eno se définit comme « non-musicien ». En fondant la « discreet music » puis « l’ambient » au mitan des années 70, en pleine effervescence pop et pré-punk, sa pratique personnelle prend un tournant radical dominé par la figure de Satie. Les Stratégies Obliques qu’il conçoit alors avec l’artiste Peter Schmidt pour surmonter certains dilemnes créatifs semblent alors tout droit échappées d’une partition de Satie :

« Utilise moins de notes »
« Imagine la musique comme un ensemble d’événements disjoints »

ou encore (énigmatique) : « vers l’insignifiant »
« le principe d’inconsistance », etc.

Au début du siècle, Erik Satie s’était lui aussi illustré en suivant deux chemins parallèles : la « variété » et le cabaret d’un côté, la « musique d’ameublement » (faite pour être entendue plutôt qu’écoutée) de l’autre. Brian Eno lui emboîte directement le pas dans les notes de pochette d’Ambient 1-Music for Airports :

« On doit pouvoir l’interrompre à tout moment (…) ; utiliser des fréquences qui n’interfèrent pas avec la voix humaine (…). L’ambient music doit pouvoir ménager de nombreux niveaux d’écoute sans en privilégier un en particulier : elle doit être aussi négligeable qu’intéressante. »

Brian Eno, Ambient 1 (extrait)

A la Bpi, Niveau 3, 780.65 ENO. 4

Mécanologie portative

Penguin Café Orchestra

Penguin Café Orchestra
Editions EG, 1981

Dans le milieu des années 70, le musicien britannique Simon Jeffres, las de la musique savante comme du rock, se trouve un jour « visité » par un poème lui disant :

« ‘Je suis le propriétaire du Penguin Cafe, je vais te dire des choses au hasard.’ Et il me dit combien l’aléatoire, la spontanéité, la surprise, l’inattendu et l’irrationalité sont des choses importantes dans nos vies. »

La récupération de formes désuètes, jouée avec une grande désaffection, fait écho à la discipline et aux « exercices » de Satie – dont le caractère fortuitement émouvant ne doit en principe rien aux sentiments ou au jeu des interprètes. Son ancrage dans un folklore sans âge fait par ailleurs écho à d’autres entreprises, comme celles de Louis Hardin, aka Moondog (A la Bpi, 780.61 MOON).

On ne s’étonnera pas de voir le Penguin signé en 1975 sur Obscure Records par Brian Eno, décidément le « disciple » le plus influent de Satie en ce dernier quart de siècle.

 

A la Bpi, Niveau 3, 780.63 PENG 4

Anthologie de l'ambient

Olivier Bernard
Camion blanc, 2013

Genre de musique électronique qui débute officiellement avec la parution d’Ambient 1 – Music For Airports (1978) de Brian Eno, l’ambient a su se réinventer constamment et se métisser avec différents styles tout au long de son évolution.

Olivier Bernard, auteur d’une Anthologie de l’ambient – d’Erik Satie à Moby, rappelle qu’Eno se définit  « comme un non-musicien et un minimaliste, qui a conceptualisé une nouvelle approche à la fois de la composition et de l’écoute de la musique. Parmi les inspirateurs de cette nouvelle idée musicale, on trouve notamment Erik Satie avec sa « musique d’ameublement », La Monte Young et son Theatre of Eternal Music ou John Cage et sa vénération du silence.

A la Bpi, Niveau 3, 780.61 BER

Solo Piano

Gonzales
Gentle Threat, 2012

Le Penguin Cafe Orchestra sonne le retour ironique de la « rengaine » dans la musique d’aujourd’hui, et d’une attitude esthétique portant étendard d’une absence de prétention radicale : en Belgique, Wim Mertens (à la Bpi, 780.61 MERT), connu également pour sa musique du Ventre de l’Architecte de Peter Greenaway ; en France, Yann Tiersen, également actif sur la scène du rock indépendant et au cinéma (la fameuse Rue des cascades d’Amélie Poulain, à la Bpi 782.6 TIER) ; au Canada, Chilly Gonzales, musicien électro passé au piano (Notebook, Piano solo 1 et 2. A la Bpi, 780.66 GONZ)…

L’art efficace de ces compositeurs, dont le succès est inversement proportionnel à la modestie revendiquée, attire autant les cinéastes et autres créateurs d’ambiances que les pianistes amateurs qui trouvent là, comme chez Satie, le moyen de faire sonner comme un matin neuf cet instrument qu’un lourd répertoire a rendu intimidant : le piano.

A la Bpi, Niveau 3, 780.66 GONZ 3

Haïkus de piano

Pascal Comelade
Les Disques Du Soleil Et De L'Acier, 1992

Bien qu’il en joue, à l’instar de Thelonious Monk, « comme si c’était un accordéon » – à savoir le piano du pauvre -, la place du piano est telle chez Satie que tous ses admirateurs directs s’y sont également accoudés.

Dans l’intention d’en déconstruire un peu plus l’héritage, certains ont cependant opté pour un modèle réduit. Il y avait déjà eu la suite pour piano-jouet de Cage en 1948 ; Pascal Comelade, figure hexagonale (et surtout catalane) de la pop déviante, grand admirateur de Cage et d’Erik Satie, fondateur du Bel Canto Orquestra et collaborateur à ses heures de Robert Wyatt, Jac Berrocal, PJ Harvey et Las Liminanas, s’est mieux fait connaître du grand public en 1992 avec ses Haïkus de piano, florilège de standards de la musique populaire (Smoke on the Water, Ben Hur Theme, Amarcord…) exécutés pour la plupart en moins de deux minutes.

A la Bpi, Niveau 3, 780.61 COME 4

Mécanologie Portative

Klimperei & Pierre Bastien
Prikosnovénie, 1998

« Morceau en forme de pinces », affiche en tête de sa tracklist cet album, en évident clin d’oeil aux Morceaux en forme de poire. de Satie.

Du côté de la descendance néo-Dada du maître d’Arcueil, c’est chez Klimperei (Françoise et Christophe Petchanatz) qu’il faut se tourner.

Sur Mecanologie portative, ils sont accompagnés de la lutherie insolite réunie par Pierre Bastien, « compositeur mécanique » (mécanium, contrebasse, trompette, claviers, guitare, maillets, flûtes, cendrier, pèse-lettres, tenailles, peigne, théière…).

A la Bpi, Niveau 3, 780.61 KLIM

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