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Partitions graphiques et improvisation

Ces étranges partitions composées de motifs font appel à des compétences conceptuelles ou poétiques.

Partition graphique sur laquelle des lignes et des notes  évoquent un avion
Cornelius Cardew, Treatise p. 183

Ceci est bien une partition.

De même, cette simple ligne :

partition constitué d'une seule ligne horizontale
La Monte Young, Composition #9

Ou encore, cette photo retouchée :

Partition constituée de pierres empilées délimitées par des lignes courbes verticales
PieFred Frith, Dry Stone

D’aspect ésotérique, la plupart de ces œuvres sont pourtant accessibles à des amateurs ayant peu (voire pas du tout ) de bagage musical.

Les compétences qu’elles requièrent ne sont pas de nature technique, mais conceptuelles et/ou poétiques. Il s’agit avant tout, à partir d’une ou plusieurs idées, d’un motif (ou d’un ensemble de motifs) que matérialisent la partition, de parvenir à jouer ensemble.

La Bpi possède dans son fonds de partitions quelques-unes parmi les plus emblématiques de ces pièces : Treatise, Cornelius Cardew [78 CARD 3] ; Edges, Christian Wolff [78 WOLF 3] ; Intersections, Morton Feldman [78 FELD 3] ; Stone, Brick, Glass, Wood, Wire, Fred Frith [780.61 FRIT] ; Folio, Earle Brown [78 BROW] …

De nombreux enregistrements

Certains sont disponibles à la Bpi. Par exemple :

pochette treatise
Cornelius Cardew, Treatise. (Hat Hut, 1998)
Par Fred Lonberg-Holm, cello, electronics ; Guillermo Gregorio, clarinet, alto saxophone ; Jim Baker, piano, electronics ; Carrie Biolo, vibraphone, percussion ; Jim O’Rourke, electronics ; Art Lange, direction.
[A la Bpi, 78 CARD 4]

fred frith pochette
Fred Frith, Stone, Brick, Glass, Wood, Wire (Graphic Scores 1986-1996). (I Dischi di Angelica, 1999)
Par Fred Frith & The International Occasional Ensemble (Ikue Mori, Zeena Parkins, René Lussier, Jean-Marc Montera, Hans Bennink, Chris Cutler…)
[A la Bpi, 780.61 FRIT]

earle brown pochette
Earle Brown, Folio & Four Systems. (Tzadik, 2006)
Avec Merzbow (guitare, électroniques), Joan La Barbara (voix), Wadada Leo Smith (trompette), Ikue Mori (laptop, electroniques), Sylvie Courvoisier (piano), Christian Wolff (piano), Morton Subotnick (électroniques), Mark Feldman (violon)(December 1952)
[A la Bpi, 78 BROW 4]



goodbye 20th century pochette

Le double-album Goodbye 20th Century de Sonic Youth est composé de relectures, bien dans la manière du groupe new-yorkais et de ses invités (William Winant, Jim O’Rourke, Christian Marclay…), de ce répertoire singulier : Burdocks et Edges, de Christian Wolff ; Six et Four, de John Cage ; la page 183 de Treatise ; Never Having Written a note for Percussion, de James Tenney…. (SYR, 2000)
[A la Bpi, 780.61(082) GOO]

Règles (et dérèglements) du jeu

Contrairement à la partition classique, dont le but est de fixer au moyen d’un code précis les formes et les motifs musicaux imaginés au préalable par le compositeur, et de l’exécuter le plus fidèlement possible, la « partition graphique » est une proposition de jeu. Elle combine contraintes formelles (des plus simples, comme Composition 1960, de La Monte Young, aux plus sophistiquées – Treatise, de Cornelius Cardew ou Atlas Elipticalis, de John Cage) et liberté d’invention : à charge pour les interprètes de définir par exemple le choix des instruments, et à quel son peut correspondre tel ou tel symbole graphique. (Souvent néanmoins, des indications de jeu, de durée, ont été laissées par les compositeurs.)

michael nyman couverture

A propos du monumental Treatise de Cornelius Cardew (1963-1967, 194 pages [A la Bpi 78 CARD 3]), Michael Nyman écrit :

« Treatise est le résultat d’une collaboration entre Cardew le compositeur et Cardew le graphiste professionnel… Les formes utilisées dans Treatise sont simples – cercles, lignes, triangles, carrés, ellipses – de parfaites formes géométriques qui, d’un impeccable coup de crayon, sont soumises dans la partition à la destruction et à la distorsion. Treatise est un voyage graphique global, un enchevêtrement et une combinaison continus d’éléments graphiques donnant naissance à une longue composition visuelle dont la signification en termes sonores n’est jamais spécifiée. »

(Michael Nyman, Experimental Music : Cage et au-delà  [A la Bpi, 780.61 NYM]

Les « partitions graphiques » sont donc issues d’une réflexion sur les rôles respectifs du compositeur et des interprètes. Elles ouvrent la voie à l’indétermination : chaque interprétation dépendra de la situation, des instruments choisis, de la qualité des interactions entre participants, etc. De par leur nature « graphique », justement (mais aussi conceptuelle), elles manifestent l’intérêt porté par des musiciens pour des formes poétiques et philosophiques issues d’autres disciplines artistiques (juste retour des choses, la musique ayant joué un rôle décisif pour de nombreux peintres, comme Kandinsky et Klee, dans le mouvement plastique et pictural vers l’abstraction). Elles préfigurent, enfin, certains des happenings du mouvement Fluxus.

la monte young couverture

Dans Conférence 1960 [A la Bpi, 78 YOUN 1], La Monte Young raconte qu’un jour qu’il rendait visite au compositeur, le poète Jackson Mac Low prit Composition 1960#9 et dit « Je peux écrire là-dessus ? » A quoi La Monte Young répondit :  » – Non, attends, c’est un morceau. N’écris pas là-dessus. » » – Comment ça, une composition ? C’est juste un ligne. »

Pour des musiciens, notamment ceux issus de l’improvisation, les « partitions graphiques » permettent de re-jouer leur compétence instrumentale, de déconstruire leur connaissance des idiomes (rock, jazz, classique ou d’autres traditions), etc. C’est notamment le cas de Jean-Marc Montera, musicien guitariste issu de l’avant-rock (auquel on peut rattacher des groupes comme Henry Cow, Sonic Youth ou The-Ex) et de l‘instant music européenne (AMM, Instant Composers Pool). Au sein du Grim (Groupe de recherche et d’improvisation musicales) qu’il a fondé à Marseille en 1978, Jean-Marc Montera développe une pratique à la croisée des chemins du rock, du jazz hardcore et de la musique contemporaine. A Montevidéo, lieu qu’il dirige depuis 2001, les ateliers, performances et concerts font la part belle aux rencontres entre musiques, arts plastiques, danse et poésie. En témoigne l’enregistrement récent de What’s up – femmes poètes de la beat generation, improvisations rock sur des poèmes de Hettie Jones, ruth weiss, Anne Waldman.

what's up montera pochette
Jean-Marc Montera, What’s up : Femmes poètes de la Beat Generation. (Signature, 2013)
Poèmes d’Anne Waldman, ruth weiss, Janine Pommy Vega, Hettie Jones. Par Sophie Gonthier, voix ; Fanny Paccoud, alto ; Ernie Brooks, basse ; Ahmad Compaore, batterie ; Lee Ranaldo, Jean-François Pauvros, Noël Akchoté, Jean-Marc Montera, guitares.
[A la Bpi, 780.61 MONT 4]

Publié le 26/06/2014 - CC BY-SA 4.0

Sélection de références

lien vers radio grenouille

Désexpérimental - Décembre 2012

Émission sur le rapport entre l’improvisation et la composition.
Avec un entretien de Subspecies (David Merlo, Simon Sieger, Thomas Weirich, Damien Ravnich) autour de leur travail dans le cadre d’une résidence au GRIM et suivi d’un autre avec JMM sur les partitions graphiques.

Lecture par Lola Creïs, avec Zeina Abirached (dessin) et Jean-Marc Montera (guitare).

Dix-sept portraits de mes oncles, en écho à la Beat Generation

Lecture par Lola Creïs, avec Zeina Abirached (dessin) et Jean-Marc Montera (guitare).
Soirée organisée avec la complicité du Centre international de poésie de Marseille (CipM)

Lundi 23 juin
19h – Petite Salle
(Niveau-1 du Centre-Pompidou)

Theresa Sauer, Notations 21 Project

Notations 21 Project

Plusieurs centaines de partitions recensées, un medialab, des concerts : John Cage, Karlheinz Stockhausen, Earle Brown, Halim El-Dabh, Joan La Barbara, and Yuji Takahashi…
John Cage, Karlheinz Stockhausen, Earle Brown, Halim El-Dabh, Joan La Barbara, and Yuji Takahashi…

Tapage Nocturne, par Bruno Letort : avec Jean-Marc Montera, 14 février 2014

Tapage Nocturne, par Bruno Letort : avec Jean-Marc Montera, 14 février 2014

Aimanté par la littérature et les arts plastiques, il plonge régulièrement dans ces univers artistiques.
il signe un opus discographique consacré aux poétesse de la Beat Generation, baptisé  » What’s up. »

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