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Appartient au dossier : Jean-Philippe Rameau, un style français

Rameau : le théoricien
Approche de l'oeuvre théorique de Rameau

Dans son œuvre théorique, Rameau synthétise les travaux antérieurs de ses prédécesseurs – tels René Descartes ou François Campion dont la base première reste encore la théorie pythagoricienne de l’harmonie des sphères – mais parvient aussi à établir de nouveaux concepts qui servent de bases à un système encore de mise aujourd’hui.

Par ce versant, Rameau a été en rapport avec les plus grandes sommités scientifiques et philosophiques de son temps, le père Castel, d’Alembert, ou Diderot mais aussi Euler, Bernoulli et le père Martini.

Ainsi, il cherche à simplifier des règles obscures et arbitraires afin de déduire un principe simple qui l’amène à dégager le concept d’Harmonie comme la grille de lecture dominante de la musique tonale.

Une idée centrale, le son

Rameau part de concepts existants, tels l’accord parfait ou le contrepoint qui a évolué d’une écriture de lignes horizontales harmonisées (vocales ou instrumentales) vers une écriture directement verticale fondée sur les accords et incluant le rôle de la basse fondamentale – il faut imaginer une partition où chaque portée correspondant à une voix ou un instrument se présente les unes à la suite des autres, l’écriture dite « verticale » étant l’aboutissement de la pensée musicale qui dépasse la superposition des différentes lignes mélodiques – En savoir un peu plus sur le contrepoint, la mélodie, l’harmonie.
De ces concepts, dont on lui a d’ailleurs souvent attribué la paternité tant son œuvre de synthèse fut importante, Rameau dégage une idée centrale qui guide sa réflexion, le SON.

“la Musique est la science des sons ; par conséquent le Son est le principal objet de la Musique” Traité de l’harmonie réduite à des principes naturels, 1722.

La basse fondamentale

Cette étude l’amène à déduire de l’accord parfait par exemple, do-mi-sol, accord parfait majeur l’ensemble des accords en usage dans la musique de l’époque et, de plus, à définir un “centre harmonique” constitué du son le plus grave de l’accord même, ce son est ce qu’il nomme la basse fondamentale.
Elle est la véritable invention de Rameau en tant qu’outil pédagogique : cette basse est virtuelle, n’est pas jouée par les instrumentistes, et se distingue en cela de la basse réellement jouée, la basse continue, mais constitue la note fondamentale de chaque accord.
Dans la théorie ramiste, elle est la note qui sert de “socle” à l’accord, comme l’accord parfait supporte tous les accords. Rameau affine sa théorie à mesure de ses écrits et les musiciens de son temps en adoptent rapidement les principes. Ainsi, Rousseau et d’Alembert la valide tout en apportant des améliorations, et Diderot ou Etienne Bonnot de Condillac font écho par la suite.

Une approche scientifique

À l’image de son temps, Rameau cherche à valider scientifiquement son approche en la confrontant aux lois de la nature et des concepts physiques régissant les sons. Il se met alors en lien avec de nombreux scientifiques du 18e siècle, intéressés comme lui, par l’étude de l’acoustique qui se fonde avant tout sur les travaux de Huygens et Newton. Il s’agit, pour les plus connus, du père jésuite Castel, de Leonard Euler, Jean Bernoulli, d’Alembert, Jean-Jacques Dortous de Mairan mais aussi de Diderot et Rousseau.
Il étudie ainsi les notions de fréquence et d’harmoniques et publie ses recherches en 1737 dans
Génération harmonique : il explique ainsi la “triple nature du son…le son grave dominant…que nous appellerons dans la suite Fondamental, y est toujours accompagné de deux autres sons, que nous appellerons Harmoniques… “, qui selon lui est la preuve de la justesse de sa théorie de l’accord parfait généré par le son fondamental. Ces études feront l’objet d’une présentation devant l’Académie des sciences en 1749, dont les rapporteurs ne sont autres que d’Alembert et Mairan, avant d’être publiées en 1750 sous le titre de Démonstration du principe de l’harmonie.

L’harmonie au centre de tout

Rameau étend ses idées vers une théorie esthétique. Ses contemporains, en effet, se sont intéressés, dans la lignée de l’empirisme philosophique de John Locke, aux conditions d’acquisition des connaissances humaines, notamment musicales Étienne Bonnot de Condillac, Essai sur l’origine des connaissances humaines, 1746, pose la question du rôle des sensations et de la mémoire dans l’acquisition des gestes et langage musical ; Diderot reprend ces questions dans la Lettre sur les sourds et les muets en 1751. Rameau va plus loin en s’appuyant sur l’existence de principes naturels perpétuellement présents qui façonnent l’oreille dès la naissance. Il développe cette analyse dans une visée universelle : l’expérience de la beauté est la conséquence du ressenti de l’harmonie de la nature par l’être, fondée sur des proportions universelles. Il conclut que cette harmonie, souveraine de la musique, domine aussi l’ensemble des connaissances humaines. Il place ainsi l’harmonie au centre de tout Origine des sciences, 1762 et Vérités tirées du sein de la nature, 1763.

Une approche critiquée

Ses interlocuteurs ne manquent pas de critiquer son approche philosophique unitaire du savoir humain et notamment d’Alembert, pourtant l’un de ses premiers soutiens de sa théorie de la basse fondamentale. Ces contradictions apportées à ses théories s’intensifient au travers des écrits de Rousseau.
Ainsi, lors de la Querelle des bouffons, il lui sera reproché d’être le représentant d’un style finissant. Mais au delà de cette querelle, Rameau et Rousseau s’affrontent sur des points théoriques relatifs à la mélodie et l’harmonie qui, pour cette dernière, désigne aujourd’hui un principe spécifique bien catégorisé d’un point de vue académique : l’harmonie tonale.
Mais au 18e siècle cette définition commence tout juste à être théorisée, justement par Rameau qui pose la composition “verticale” des différentes lignes mélodiques, en opposition à l’ancienne pratique du contrepoint d’une lecture horizontale de plusieurs lignes musicales. Rameau s’appuie sur ses recherches pour faire découler la mélodie de l’harmonie. Rousseau au contraire défend l’indépendance de la mélodie au regard de l’harmonie.

Rameau, Traité de l’harmonie, 1722 

“Il semble d’abord que l’Harmonie provienne de la Mélodie, en ce que la Mélodie que chaque voix produit, devient harmonie par leur union ; mais il a fallu auparavant désigner une route à chacune de ces voix, pour qu’elles pussent  s’accorder ensemble… C’est donc l’Harmonie qui nous guide et non pas la Mélodie.”
Rousseau, Dictionnaire de musique, 1767 :”La Mélodie se rapporte à deux principes… Prise dans les rapports des sons et par les règles du mode elle a son principe dans l’Harmonie… [Le second] est dans la Nature ainsi que le premier… ce principe est le même qui fait varier le ton de la voix, quand on parle… C’est l’accent des langues…”

Ce débat qui peut sembler se limiter à une lutte d’égos, s’intègre pourtant à la fin du règne du baroque et imprègne l’émergence du style classique, l’”écriture transparente” prônée par Rousseau.
Au delà de ces polémiques, l’apport théorique de Rameau eut une portée considérable pour la pratique et l’enseignement de la musique. Et il atteste aussi du caractère exceptionnel du compositeur : dans l’histoire de la musique, les êtres ayant construit leur renommée de leur vivant, en tant que théoricien et compositeur, sont des exceptions rarissimes.

Publié le 02/01/2015 - CC BY-SA 4.0

Sélection de références

Rameau et le pouvoir de l'harmonie

Legrand, Raphaëlle (1960-....)
Cité de la musique, 2007

Cet ouvrage présente un aperçu des concepts théoriques de Rameau et relève l’importance de cet apport pour la science musicologique. Il permet de contextualiser l’approche novatrice du compositeur et les querelles musicales qui apparaissent au milieu du XVIIIe siècle.

À la Bpi, niveau 3, Espace Musique, 78 RAME 2

Traité de l'harmonie

Rameau, Jean-Philippe (1683-1764)
Meridiens Klincksoeck, 1986

Réédition de l’oeuvre théorique fondamentale de Rameau.

À la Bpi, niveau 3, Espace Musique, 78 RAME 1.

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