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Traces et empreintes : une Histoire sonore

Parmi ce que l’UNESCO a reconnu comme « patrimoine immatériel », le son est une réalité aussi riche que fragile, omniprésente que fugace. Loin de l’épuiser, la révolution qu’a entraîné sa reproductibilité technique* à la fin du 19ème siècle (enregistrement et radiophonie) reconfigure au contraire toutes ses incarnations et toutes ses virtualités, passées comme présentes.

A l’occasion de la venue de Jonathan Sterne, auteur d’une Histoire de la modernité sonore et de MP3 : histoire générale de la compression (à paraître en 2016), la Bpi propose un tour d’horizon de la documentation francophone dans le domaine émergent des Sound Studies.

 

Une frise chronologique sur les expériences de spatialisation sonore
Yvan Étienne, Brice Jeannin & Matthieu Saladin, Sound Space Timeline 1877-2014, Tacet n°3 : From Sound Space, 2014. Design : Nicolas Bardey

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Systèmes d’écoute

« Je désire appréhender la musique comme un élément d’un ensemble beaucoup plus vaste : la culture sonore. »

Une histoire de la modernité sonore, écrit Jonathan Sterne, s’intéresse donc « aussi bien aux concerts téléphoniques et aux anthropologues collectant des chants indigènes qu’aux interprètes nerveux à l’idée de chanter devant un micro ».

Les appareils que l’on rassemble chez soi, et tout autour de soi, à travers ce qu’on appelle « système d’écoute » (lecteur audio, amplificateur, sono, casque, enceintes) ne pointent-ils pas vers un « système d’écoute » beaucoup plus vaste, historique et sensible avant d’être technique ?
 
La musique est une de ces incarnations, une de ces virtualités du sonore : elle s’écoute autant qu’elle écoute, ausculte, prend le pouls de ce qui vient et résonne de voix disparues. La gestion sonore (silence, bruits, rythmes) par différents groupes sociaux, différentes cultures, différents pouvoirs, en est une autre.

Signal/Bruit

thomas edison
Je sais tout n° 181, 1921, cité dans  : Philippe Baudouin, Machines « nécrophoniques » : Edison et la voix des morts, syntone.fr, septembre 2014

Depuis 1877, date de l’invention du phonographe (par un homme, Thomas Edison, qui fut aussi enclin à communiquer avec les morts), enregistrements et archives sonores de toutes natures portent l’empreinte du « système d’écoute » de notre époque, celle de la reproductibilité technique. Ces productions ont-elles eu pour effet de recouvrir les traces d’une histoire sonore bien plus profonde, ancienne et multiforme, ou bien de les révéler sous un autre jour ?
 
Au delà du 20ème siècle phonographique, c’est aussi vers ce « bruit de fond » de l’Histoire que la sélection documentaire ici réunie invite à tendre l’oreille.

Propagation

La « Sound Space Timeline » (ou frise chronologique) imaginée par Yvan Étienne, Brice Jeannin et Matthieu Saladin à l’occasion de la parution du n°3 de la revue Tacet représente quant à elle la phonographie sous la forme d’une onde en propagation.

Le premier enregistrement, réalisé par Edison en 1877, en occuperait le centre ; l’année 2014 les confins ; entre ces deux extrémités, des centaines d’enregistrements emblématiques (« musicaux » – Fantasia, Metal Machine Music – ou non – « miroirs sonores » érigés sur les côtes britanniques ; sons interstellaires captés par la NASA…)

(Cliquer sur l’image pour l’agrandir)

sound space timeline
Yvan Étienne, Brice Jeannin & Matthieu Saladin, Sound Space Timeline 1877-2014, Tacet n°3 : From Sound Space, 2014. Design : Nicolas Bardey

* L’expression « reproductibilité technique » est empruntée au titre du célèbre essai de Walter Benjamin, L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique.

Les réflexions de Benjamin portent principalement sur la photographie et le cinéma, qui font irruption et reconfigurent le domaine des arts de manière certes plus spectaculaire que la phonographie et la radio. Dans ces domaines, l’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique (1935) fait pourtant figure d’essai majeur par rapport auquel une part importante des réflexions ultérieures sur le son et la musique se positionneront plus ou moins explicitement : du quasi-contemporain Caractère fétiche dans la musique et la régression de l’écoute d’Adorno (1938) aux essais de Dietrich Diederichsen (Argument Son : critique électro-acoustique de la société), en passant par les réflexions de praticiens comme Brian Eno (« The studio as compositional tool » in Audio Culture), Dj Spooky (Sound Unbound), Christian Marclay ou, aujourd’hui en France, Guillaume Loizillon et Pierre-Yves Macé (Musique et Document sonore ; Pierre-Yves Macé compositeur convoque nommément la figure de Benjamin dans sa fresque électroacoustique Passagenweg)

Publié le 05/08/2015 - CC BY-SA 4.0

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