Portrait

Appartient au dossier : École sensible

« Première classe »… dix-sept ans plus tard
Qu'ils puissent...

Cinéma - Politique et société

Soufiane, dans le film Première classe de Françoise Davisse © F. Davisse

Dans Première classe (1999), Françoise Davisse filme Soufiane, Laure et Élodie lors du stage qui clôture leur formation à l’Institut universitaire de formation des maîtres (IUFM). Pendant quatre semaines, seul(e) adulte en classe de maternelle ou de primaire, le ou la stagiaire est confronté(e) à la réalité d’un élève, d’un groupe d’enfants et découvre, sur le tas, quel maître ou maîtresse il ou elle sera. Dix-sept ans plus tard, nous avons retrouvé Soufiane. Lui qui, dans le film, disait « ma plus grande peur serait de m’apercevoir que je ne suis pas fait pour ce métier-là » balaie ce souvenir d’un grand rire : « je suis fait pour ça ! »

Image du film Première classe de Françoise Davisse
Soufiane, dans le film Première classe de Françoise Davisse © F. Davisse

On l’avait laissé au seuil d’une école primaire de Cergy, on le retrouve, œil moqueur et sourire en coin, professeur de mathématiques à Cergy. Entre temps, Soufiane a exercé pendant douze ans son métier d’instituteur à Menucourt, Garches, Argenteuil, Herblay et Pontoise. Aucune trace de lassitude, aucun ras-le-bol chez cet enseignant. « Quand on est instit’, le champ des possibles est hallucinant. Honnêtement, il n’y a pas d’obstacle. Tous nos gamins peuvent être heureux. » « Ses » gamins, il les aime. Autant qu’il les engueule. Beaucoup. « Mais jamais parce qu’ils ne veulent pas travailler alors qu’ils en sont capables ; jamais parce qu’ils ne comprennent pas ou qu’ils posent une question stupide », précise-t-il.

« Galérer, c’est bien »

Première classe le montrait déjà incroyablement à l’aise au milieu des enfants, à bonne distance, blagueur et bienveillant. Peut-être parce qu’il n’a pas été – dit-il – un élève « performant », pas plus intéressé que « ses » enfants par l’école, il pose sur le système un regard sans concession. Dans sa course folle à la note, l’école génère du stress ; les comparaisons créent de l’angoisse et des peurs. «Quand on est en cinquième, on ne peut pas voir de portes qui se ferment, et je trouve que, nous les adultes, on fabrique les portes que les gamins se prennent dans la gueule. » Lui préfère dire aux enfants qu’ils sont bons, et pas seulement à ceux qui l’entendent habituellement. Donner quelques points supplémentaires parce qu’il voit dans un devoir la trame d’un raisonnement. Révéler le résultat d’un problème, pour que l’élève se concentre seulement sur sa résolution. Dire et répéter aux enfants que l’erreur est normale et que « s’ils galèrent sur un exercice, c’est bien ».

Se sentir capables

Des classes difficiles ? Soufiane dit n’en avoir jamais eu. Juste des moments de vie difficiles. Pourtant, il a enseigné dans des classes avec « trois ou quatre gamins qui ne viennent pas tous les jours car ils font le marché avec leur père, des petites filles qui ne vous parlent même pas et qui dans quelques années seront mariées » ; ou encore dans cette classe « qui avait un petit problème de violence ». Inscrite à l’Union Sportive des Écoles Primaires (USEP), elle se révèlera la plus fair-play de toutes. Une belle victoire qui, s’amuse-t-il, « met au second plan le subjonctif du verbe pouvoir ». Au moment de se quitter, il propose d’interroger via Facebook d’anciens élèves sur leurs souvenirs. Réponse par texto : « ce dont ils se souviennent le plus, c’est ce qu’ils ont ressenti en travaillant et ce qu’ils ont appris à faire et dont ils ne se sentaient pas capables. »

Marie-Hélène Gatto, Bpi

Article paru initialement dans de ligne en ligne n°21

Publié le 16/11/2016 - CC BY-SA 3.0 FR

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