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Afro, une leçon de style et d’histoire noire américaine

Elle fut la coiffure par excellence de l’affirmation de l’identité noire dans les années 60 et 70, l’afro, cette boule de cheveux bouffants, orne à nouveau le chef des célébrités et des modèles noirs américains. Plus qu’un simple effet de mode, le retour de la coiffure afro et plus largement d’un cheveu porté au naturel symbolise la renaissance d’un militantisme noir.
Plus largement, l’histoire de la coiffure noire américaine nous éclaire sur la place de l’homme noir dans la société américaine, sur sa culture africaine arrachée par l’esclavage et sur la difficile affirmation de soi dans une Amérique où le regard de l’homme blanc prévaut toujours.

 

La coiffure traditionnelle africaine, une culture déracinée

L’art de la coiffure afro débute naturellement en Afrique. Traditionnellement, la coiffure occupait une place primordiale au sein des sociétés africaines. Souvent tressée, la coiffure pouvait refléter l’âge, le clan, ou le statut social. Mais la coiffure était déjà un moyen d’expression de soi et de ses préférences. Les coiffures étaient originales et extravagantes. Le peigne était un accessoire incontournable de la panoplie des Africains. Parfaitement adapté à l’entretien du cheveu crépu, ce peigne était doté d’une poignée qui épousait la forme de la main. Il était sculpté dans du bois dur ou dans l’ivoire. Ses extrémités étaient arrondies et solides.

Natives of Ugogo, east central Africa, 1874, New York Public Library, Public domain
Ashanti Comb – A rare ceramic / pewter example, Ken Karner

La traite des esclaves et l’explosion du commerce triangulaire au 18e siècle auront raison de cette culture de la coiffure et de l’entretien du cheveu crépu auprès des populations africaines déportées vers l’Amérique. Les esclaves, transportés à fond de cale dans des conditions d’hygiène misérables, puis contraints au travail forcé dans les champs, n’ont ni répit ni temps pour procéder à l’entretien de leurs cheveux. Les cheveux des esclaves deviennent le nid d’infections et de maladies, un foyer de souffrances et de douleurs. Le cheveu crépu est perçu avec dégoût par les esclavagistes blancs et par les noirs eux-mêmes qui les dissimulent pour les soustraire aux regards.

Comme un symbole de cette culture perdue, le peigne africain disparaît, remplacé par le peigne européen pourtant inadapté à l’entretien des cheveux crépus et frisés. Paradoxalement, c’est à son aune que l’on déterminera le good hair, celui qui peut être peigné et le bad hair celui qu’on peigne avec difficulté (le bon cheveu et le mauvais cheveu). 

La mode conk’: le culte du cheveu lisse

Coiffeur et son client, tous deux avec des cheveux défrisés
Barber and customer both with conked hair, 1950 / New York Public Library

Dans une société américaine qui consacre les critères de beauté blanche, la mode sera au tout défrisage. Ce sont d’abord les esclaves domestiques, les plus en contact avec les blancs, qui adopteront les premiers le lissage. Bandes enroulées autour des cheveux, repassage du cheveu au fer chaud,  mèches enroulées autour de couteaux ou fourchettes préalablement chauffés, serviettes de toilettes chauffées à la cheminée, tous les moyens sont bons pour aplatir le cheveu.

Ces méthodes de défrisage archaïques laisseront progressivement la place aux méthodes dites plus modernes, mais pas indolores. Madame Walker commercialise à la fin du 19e siècle le fer à défriser. Et le premier produit de lissage est commercialisé en 1888 sous le nom de « Wonderful Hair Grower ». Le défrisage à froid dit moderne, est confectionné à partir de potasse et de soude. Le produit s’obtient à partir de pommes de terre blanches et de la graisse de porc mélangées à de la soude. Dans la première moitié du 20e siècle, la mode « conk’ » de « congolène », un défrisant à base de lessive, se généralise. Les gens de spectacles, les musiciens, les professionnels et les athlètes participent à la généralisation du cheveu lisse auprès des noirs américains. Avoir les cheveux lisses est associé au prestige social.

La coiffure afro : black is beautiful

Les années 50 et 60 marqueront la fin du tout défrisage. Comme un étendard du Black Power, et de la montée de la fierté noire. Le Black is beautiful s’impose comme le mot d’ordre à suivre.
Dans les années 50, le mouvement pour les droits civiques prend son essor aux Etats-Unis sous l’influence du jeune pasteur Martin Luther King. Le mouvement est pacifiste et entend protester contre les mauvais traitements dont sont victimes les noirs, principalement dans les Etats du sud des Etats-Unis.
L’assassinat de Martin Luther King en 1965, marquera la fin du pacifisme et le début d’une radicalisation du mouvement. C’est dans ce contexte que la coiffure afro s’impose comme un signe du combat pour l’affirmation de l’identité et de la beauté noire. Le parcours de son leader le plus charismatique et le plus connu, Malcom X, est représentatif de ce changement. Adepte du défrisage dans ses jeunes années, le leader de la Nation de l’Islam, abandonne le lissage lors d’un séjour en prison. Il écrit rétrospectivement à propos du défrisage : « Je venais de faire mon premier pas vers la dégradation de soi ».

Portrait d'Angela Davis, graff sur un mur
Angela Davis, painted portrait. Photographie de Thierry Ehrmann, CC BY 2.0, Flickr

L’afro devient incontournable chez les membres du Black Panther Party, au premier rang desquels Angela Davis dont la coiffure afro deviendra l’un des symboles de la lutte pour l’identité noire. Au point parfois de susciter l’exaspération de la militante, désolée que son combat ne soit entrevu que par la lorgnette de son style capillaire. Comme un symbole, le peigne africain fait son grand retour. Orné d’un poing serré en guise de poignée, il est porté à même l’afro et symbolise le retour à des critères de beauté noire.
L’afro dépasse rapidement le cercle des militants de la cause noire, elle est promue par les célébrités noires de l’époque. Nina Simone, James Brown, Aretha Franklin, Diana Ross, Donna Summer, Boney M, ou bien encore Jimmy Hendrix, adoptent l’afro, des modèles pour les noirs américains qui ne tarderont pas à s’emparer de ces nouveaux codes esthétiques. Ce sont aussi les films de la Blaxploitation qui populariseront la coiffure afro comme symbole de la lutte pour le Black Power. Dans le film Foxy Brown, c’est dans ses cheveux bouffants que l’héroïne incarnée par Pam Grier dissimule son arme.

Paradoxalement, l’intronisation de l’afro dans la pop culture noire-américaine et sa généralisation au sein de la communauté noire dans les années 70, accompagneront le déclin de son message politique.

Jheri curl contre High top fade :  les années 80

Album Thriller de Michael Jackson

Les années 80 voient l’arrivée d’un nouveau style capillaire alors que l’afro commence à décliner et que le combat pour l’identité noire perd de sa vigueur.
Le Jheri curl, a laissé un sentiment doux-amer à ceux qui ont succombé à cette tendance. Du nom de son créateur irlandais, Jehri Redding, le Jehri curl consistait à assouplir le cheveu à l’aide d’une crème, puis de créer les boucles dans un deuxième temps à l’aide d’un autre produit. Les produits, très toxiques, rendaient par la suite le cheveu très sec. Pour maintenir le look d’un Jheri curl, les utilisateurs devaient appliquer un activateur le jour et dormir avec une coiffe en plastique la nuit pour empêcher la coiffure de sécher. Cette coupe de cheveux sera très populaire dans les années 80 auprès des chanteurs noirs américains. Sur la pochette de son album Thriller, Michael Jackson arbore la Jheri curl dont la popularité explosera dans les mêmes proportions que la diffusion du disque.

Dans le sud de Los Angeles, les rappeurs de Compton de N.W.A tels qu’Ice Cube et Easy-E auront eux aussi leur période Jheri curl avant d’opter pour une coiffure plus naturelle, plus en phase avec leurs textes anti-policiers dans le contexte brûlant des émeutes de Los Angeles qui suivirent l’affaire Rodney King en 1992. Ce noir américain avait été passé à tabac par quatre policiers sous l’œil d’un vidéaste amateur. L’acquittement de l’un des policiers avait mis le feu aux poudres et avait provoqué des émeutes dans le sud de Los Angeles.

Sur la côte Est, la mode est au High top fade, sorte d’Afro taillée très courte sur les côtés. Le style accompagne la scène rap et hip-hop de New-York alors en plein essor. Les groupes, les deejays  revendiquent leur héritage africain et prennent la relève du militantisme noir. À long Island, les rappeurs de Public Enemy chantent « Fight the power ! » et collaborent avec le réalisateur noir Spike Lee pour son film Do the right thing !

Tendance « nappy » : le retour du cheveu naturel entre mode et militantisme

Depuis le début des années 2010, la tendance serait de nouveau au cheveu naturel. Le mouvement Nappy, contraction des mots « natural » et « happy » connaît un véritable succès auprès des noirs américains à mi-chemin entre revendication de l’identité noire et tendance de mode.
Comme souvent, le mouvement a trouvé ses icônes dans les personnalités de la communauté noire américaine. Comme un écho aux années 70 où les stars de musique soul et disco portaient fièrement l’Afro, les chanteuses Alicia Keys ou Solange Knowles, la petite sœur de Beyoncé, ou encore la présentatrice vedette Oprah Winfrey ont délaissé les lissages et les tissages pour devenir les étendards du mouvement Nappy en optant pour le cheveu naturel. La création de l’élection Miss Nappy atteste de la popularité du phénomène tout comme les nombreux blogs et chaînes YouTube dédiés à l’entretien du cheveu frisé et crépu qui fleurissent sur Internet.

Il est intéressant de constater que ce renouveau du cheveu naturel va de pair avec l’avènement d’un nouveau militantisme noir qui fait suite à de nombreux actes de violence raciste aux Etats-Unis. Ce nouveau mouvement est incarné par le mouvement Black lives matter fondé en 2013 par Alicia Garza à la suite de la mort de Trayvon Martin, le 26 février 2012. Ce jeune noir américain de 17 ans avait été abattu, à Sanford en Floride, par George Zimmerman, 28 ans, qui effectuait une ronde dans le cadre d’une surveillance de voisinage. Le mouvement s’amplifie encore après le décès de Michael Brown, jeune noir américain de 18 ans, tué de plusieurs balles à Fergusson lors d’une interpellation par un policier, acquitté lui aussi.

Le mouvement Nappy serait donc militant. Et comme tout mouvement militant, il rencontre des détracteurs. Certains n’hésitent pas à qualifier les adeptes du Nappy de « Nappex » pour naturel extrémistes.
Simple effet de mode ou mouvement politique, le mouvement Nappy a le mérite de faire bouger les lignes. Par exemple, en France, pour la première fois, les apprentis coiffeurs pourront être formés aux cheveux frisés et crépus, à compter de la rentrée 2018.

Publié le 13/04/2017 - CC BY-SA 4.0

Sélection de références

Peau noire, cheveu crépu : l'histoire d'une aliénation

Juliette Sméralda
Éd. Jasor, 2004

Dans cet ouvrage, sur lequel s’appuie largement cet article, la sociologue Juliette Sméralda s’intéresse aux raisons historiques et sociologiques de la pratique généralisée du défrisage. Pour elle, l’esclavage, en arrachant les africains à leur culture capilaire et en soumettant les noirs aux critères esthétiques blancs, serait en grande partie responsable de cette culture du cheveux lisse auprès de la communauté noire américaine.

À la Bpi, niveau 2, 301.7 SME

Afro : une célébration

Katell Pouliquen
La Martinière, 2012

Katell Pouliquen rend hommage à l’esthétique noire, de l’émergence du Black power dans les années 60, aux « nappy » des années 2010,  la journaliste dresse un panorama international des cultures noires à travers la mode, le design, les arts plastiques, la danse ou la musique.

À la Bpi, niveau 3, 706 POU

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Crépues et fières de l'être - LeMonde.fr

Europe, Afrique, Etats-Unis, la vague  » nappy  » prolonge le mouvement Black is Beautiful né dans les années 1960. Agée de 18 ans, étudiante en ressources humaines, Océane portait une magnifique coiffure afro acajou quand elle a été couronnée Miss Nappy Paris 2015, le 28 novembre 2014.

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Noire Amérique | ARTE Creative

Cette web-série de huit épisodes plante le décor d’une communauté afro-américaine révoltée face aux injustices qui la meurtrissent. Des popstars mainstream aux militantes engagées, sans oublier les sportifs ou les vedettes d’Hollywood, les personnalités se lèvent pour dénoncer cette invisibilité historique.

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CLIQUE TALK : En 2018, les coiffeurs de France pourront (enfin) être formés aux cheveux frisés et crépus - Clique.tv

À la rentrée 2018, les apprentis coiffeurs auront peut-être enfin l’occasion de s’exercer sur tous les types de cheveux, et notamment les cheveux frisés et crépus, grands oubliés du diplôme. Derrière cette initiative, il y a une femme : Aude Livoreil-Djampou. Entretien.

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L.A. Rebellion | The Kitchen (1975) d'Alile Sharon Larkin

Ce court-métrage suit l’internement dans un hôpital psychiatrique d’une jeune femme noire. On revit à travers des flashbacks et des fantasmes, les raisons qui l’ont amenée à l’internement ; La haine de soi et de ses cheveux crépus, les séances de lissage douloureuses, l’envie et le désir d’un cheveu lisse et d’une peau claire. Le film s’inscrit dans le cadre du programme mis en place par le département de cinéma de l’UCLA (L’université de Californie à Los Angeles), visant à favoriser l’entrée d’étudiants issus des minorités. Les étudiants africains-américains s’emparent de la représentation du quotidien et du destin des populations noires. Un grand nombre des courts métrages réalisés est disponible sur la chaîne YouTube de l’UCLA.

Americanah

Chimamanda Ngozi Adichie
Gallimard, 2014

Ifemelu quitte le Nigeria pour aller faire ses études à Philadelphie. Pendant quinze ans, Ifemelu tentera de trouver sa place aux États-Unis, un pays profondément marqué par le racisme et la discrimination. Le défrisage et la découverte du mouvement Nappy occupent une place centrale dans le roman.

Puis ses cheveux commencèrent à se dégarnir aux tempes. Elle les inonda d’après-shampoing riche et onctueux, et resta assise sous des casques vapeur jusqu’à ce que des gouttes d’eau lui coulent dans le cou. Mais elle eut beau faire, la naissance de ses cheveux reculait d’avantage chaque jour.
« Ce sont les produits chimiques, lui dit Wambui. Sais-tu ce qu’il y a dans un défrisant ? C’est un truc qui pourrait te tuer. Il faut que tu te coupes les cheveux et les laisses naturels. »
Wambui était maintenant coiffée avec des locks courtes, une coiffure qu’Ifemelu n’aimait pas ; elle les trouvait peu fournies, quelconques, peu flatteuses pour le joli visage de Wambui.
« – Je ne veux pas de dreadlocks, dit-elle.
– Il n’est pas nécessaire que ce soit des dreads. Tu peux porter une coiffure afro, ou des tresses comme celles que tu avais avant. On peut faire un tas de choses avec des cheveux naturels.
– Je ne peux pas juste me couper les cheveux.
– Défriser ses cheveux c’est comme être en prison. Tu es en cage. Tes cheveux font la loi. Tu n’es pas allée courir avec Curt aujourd’hui parce que tu ne voulais pas que la sueur abîme tes cheveux lisses. Sur la photo que tu m’as envoyée, tu avais protégé tes cheveux sur le bateau. Tu te bats toujours pour qu’ils fassent ce qu’ils ne sont pas censés faire. Si tu choisis la coiffure naturelle, et entretiens bien tes cheveux, ils ne tomberont plus comme ils le font maintenant. Je peux t’aider à les couper tout de suite. Pas besoin d’y réfléchir. »

A la Bpi, niveau 3, 826 ADIC 4 AM

Les Tifs

Charles Stevenson Wright
Le Tripode, 2016

Initialement paru en 1966, le roman Les tifs conte les mésaventures d’un jeune Afro-américain qui rêve de s’intégrer  dans la société des années 60 en utilisant une pommade miracle pour défriser les cheveux.

« J’ai rempli ma paume de Silky Smooth et j’ai commencé à me masser le crâne. Ensuite, juste pour être sûr, j’ai ajouté une huile épaisse, inodore, issue des marais de Géorgie. Tandis que je frictionnais avec dextérité, je me suis rappelé que les anciens produits capillaires comportaient de la crotte de yack et de la lessive. Ils brûlaient le cuir chevelu et on risquait de devenir aveugle si on s’en mettait dans l’œil. Une chose était sûre : après, pendant un mois, il pleuvait des croûtes quand on se brossait […]

Oh, oui. Une excitation sauvage m’a submergé. Mon reflet dans le miroir recelait un futur éclatant. je ne m’étais pas senti aussi bien depuis l’année dernière, quand j’avais découvert que je n’aimais pas la pastèque.

Mais l’étape suivante a été le moment le plus difficile de ma vie. J’ai dû attendre cinq minutes que le baume pénètre, durcisse, s’évapore. Cinq minutes de souffrance.[…]

Les rayons du soleil matinal dansaient dans la fenêtre taille glaçon quand j’ai commencé à rincer l’onguent. J’ai poussé de puissants gémissements. La texture de mes cheveux avait bel et bien changé. avant d’attraper une serviette, je n’ai pas résisté à l’envie de me regarder dans le miroir fendu tandis qu’une eau laiteuse dégoulinait sur mon visage rouge.

Ave, César et toutes les reines des champs de coton ! Quel est l’idiot qui a dit qu’il fallait un râteau pour venir à bout de ces mèches aériennes ?”

À la Bpi, niveau 3, 821 WRIGH 4 WI

poster art

Bande-annonce officielle du documentaire Good Hair

Lorsque sa fille de 6 ans lui demande pourquoi elle n’a pas de beaux cheveux, Chris Rock décide de mener l’enquête : pourquoi les femmes sont-elles complexées par leurs cheveux crépus ? Pourquoi le cheveu défrisé et lisse est-il plébiscité ? Des salons de coiffure afro-américains aux laboratoires de produits chimiques, Chris Rock remonte le fil d’une pratique historique et culturelle, aussi ancrée que formatée par les médias. Avec humour et pédagogie, il met le doigt sur les diktats de l’industrie et de la mode, qui imposent aux femmes noires leur vision de la beauté et de la séduction.

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Barber Show, une série originale Konbini

Réalisée par Hugues Lawson-Body, cette web-série nous plonge dans l’ambiance d’un salon de coiffure « afro » du quartier parisien de Strasbourg-Saint-Denis.