Interview

L’Exilé du temps, une palette d’archives

Cinéma

L'Exilé du temps © Michel Siffre / Isabelle Putod / Les Films de l'Aqueduc

L’Exilé du temps est le premier court-métrage réalisé par Isabelle Putod. Navigant entre documentaire, essai et fiction, ce film raconte l’expérience du scientifique Michel Siffre, isolé dans l’obscurité d’un gouffre pendant deux mois en 1962. De nombreuses strates visuelles et sonores s’entrelacent pour former le récit : créations plastiques, tournages en extérieurs, et surtout, un ensemble composite d’archives. La réalisatrice nous explique comment elle a organisé ce mélange foisonnant de photographies, de sons, et d’images audiovisuelles, pour transformer les traces d’une expérience scientifique en un récit quasi-mythologique.

 
Michel Siffre, couché dans le gouffre
L’Exilé du temps © Michel Siffre / Isabelle Putod / Les Films de l’Aqueduc

Comment avez-vous découvert l’histoire de Michel Siffre ?

Alors que je travaillais à l’INA [Institut national de l’audiovisuel] en tant que monteuse sur une émission des années soixante, Les Coulisses de l’exploit, j’ai découvert les images de Michel Siffre qui descend dans le gouffre, et qui en remonte deux mois après. Cette histoire m’a fascinée.

Comment avez-vous travaillé avec les archives  ?

Les archives de l’INA sont très chères, et cela m’a poussée à trouver d’autres sources. J’ai contacté Michel Siffre, et j’ai finalement utilisé ses archives personnelles. Or, contrairement aux images de l’INA, le film amateur 8 mm de Michel Siffre est en couleur. Il vient du passé, bien sûr, mais on ressent une certaine proximité temporelle. J’ai aussi utilisé ses archives sonores, ses photos, et son journal intime, dont j’ai sélectionné et reformulé certaines phrases. À l’origine, je pensais construire mon film en combinant toutes ces archives, plus quelques images de la Nasa, qui sont libres de droits. Je n’avais peut-être pas tout à fait compris que j’étais réalisatrice, et que je pouvais fabriquer mes propres images.

En suivant un atelier d’écriture à la Fémis, j’ai pris confiance en moi, notamment grâce à mes tuteurs, dont la réalisatrice Catherine Bernstein faisait partie ; j’ai finalement tourné en extérieur et en studio. Néanmoins, je n’étais toujours pas sûre de réussir à construire un ensemble cohérent à partir de tous ces éléments. Je ne le savais pas encore, mais en fait je voulais que le film possède cette dimension composite. Le chef-opérateur Nicolas Mifsud a compris plus que moi-même ce que je voulais faire !

On entend deux morceaux de musique dans le film. Font-ils partie des disques que Michel Siffre écoutait dans le gouffre ?

Michel Siffre écoutait de la musique classique, mais aussi de l’opérette, et notamment Luis Mariano. Dès que je l’ai su, j’ai pensé à utiliser Maman, la plus belle du monde, qui résonne avec toute cette expérience de descente dans le gouffre, dans la cavité. La chanson Pour une amourette, de Leny Escudero s’est elle aussi imposée à moi rapidement, parce qu’elle est sortie en 1962, l’année de l’événement, et qu’elle fait écho à sa rencontre « amoureuse » avec l’araignée, que j’évoque dans le film.

Michel Siffre m’a dit que ce dont il avait vraiment besoin durant ces deux mois, c’était d’écouter des voix humaines. Ces chansons parlent donc de lui, même s’il y a un travail de réappropriation derrière.

Souhaitiez-vous relater l’expérience de Michel Siffre, ou bien construire votre propre récit ?

Je suis restée fidèle à de nombreux aspects de son aventure, comme ces passages de son journal que je cite, mais je voulais construire un récit plus humain que scientifique.

Au fond, cette histoire d’expérience scientifique ne m’intéressait pas plus que ça, et ça se voit dans le film. J’ai été fortement impressionnée par Vendredi ou les Limbes du Pacifique, de Michel Tournier, et plus particulièrement le passage où Robinson Crusoé entre dans la grotte. Je voulais qu’il y ait une grotte imaginaire, en plus du gouffre réel, qui apporte une dimension quasi-mythologique à cette histoire. C’est cela dont j’ai parlé à Amora Doris, la plasticienne, pour qu’elle fabrique cette espèce de grotte qui ressemble à une oreille, qui apparaît plusieurs fois dans le film.

D’ailleurs, quand Michel Siffre a visionné le film, il a été surpris, et il m’a dit : « vous m’avez emmené faire un voyage extraordinaire ». Je lui ai répondu : « oui, le vôtre ». Il s’est exclamé : « non, le vôtre » !

Considérez-vous ce film plutôt comme un documentaire ou une fiction ?

Ce sont les autres qui me disent ce que c’est. Le film est programmé à la fois dans des festivals de films expérimentaux, de montagne, de spéléologie, de films scientifiques, de documentaires plus classiques, et parfois avec des courts-métrages de fictions. Il faut croire qu’il rentre dans toutes ces cases, et qu’il n’est ni l’un ni l’autre !

Publié le 04/01/2018 - CC BY-NC-SA 4.0

Sélection de références

Vendredi ou les limbes du Pacifique

Vendredi ou les limbes du Pacifique

Michel Tournier
Gallimard, 1967

Vendredi ou les Limbes du Pacifique propose une variante sur le mythe de Robinson Crusoé, initialement écrit par Daniel Defoe. Michel Tournier fonde cette version sur la relation entre le naufragé Robinson et le sauvage Vendredi. Avant sa rencontre avec Vendredi, Robinson traverse plusieurs périodes de réconciliation avec la nature. Lors de sa « période tellurique », il descend dans une cavité rocheuse, et devient ainsi le noyau de l’île qu’il a baptisée Speranza, son fœtus.

À la Bpi, niveau 3, 840″19″TOUR 4 VE

Expériences hors du temps

Expériences hors du temps

Michel Siffre
Fayard, 1972

Dans cet ouvrage, Michel Siffre relate ses premières expériences souterraines ainsi que les observations scientifiques qui en ressortent, notamment sur la constitution du cycle circadien.

À la Bpi, niveau 2, 555.5 SIF

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