Interview

Appartient au dossier : Cinéma du réel 2022

L’Afrique par elle-même
Entretien avec Mandisa Zitha

Cinéma

Maia Lekow & Christopher King, The Letter © Circle & Square Productions, 2019

En 2022, le festival Cinéma du réel propose un focus sur le documentaire africain. Mandisa Zitha, directrice des Rencontres internationales du documentaire d’Afrique du Sud (Encounters South African International Documentary Festival), nous présente The Letter et Finding Sally, les deux films sélectionnés par son équipe à cette occasion.

Pourquoi avoir proposé The Letter et Finding Sally à Cinéma du réel ?

Les deux films sont représentatifs d’une nouvelle génération de réalisateurs. Ils explorent des problématiques propres au continent africain depuis une perspective inédite : tous deux montrent comment l’intime et le politique s’entrecroisent. Chaque réalisateur parvient à le montrer d’une manière qui lui est propre. Les films évoquent aussi des problématiques globales tout en étant portés par des personnages ancrés dans une histoire locale. Ces deux films proposent aussi une réflexion sur la représentation, dans le contexte de la colonisation : ils se demandent qui a la voix, qui parle.

The Letter (2019), de Maia Lekow et Christopher King, se déroule dans un cadre très rural, pour parler de problèmes de territoires et montrer comment des croyances culturelles alimentent les conflits pour la terre entre des membres d’une même famille. Mais d’une manière universelle, le film montre comment les vestiges de la colonisation et le capitalisme ont un effet sur une petite communauté rurale du Kenya.

Dans Finding Sally (2020), la réalisatrice Tamara Mariam Dawit part d’un récit de famille pour retracer l’histoire politique de l’Éthiopie, pays dont elle s’est exilée avec son père diplomate. Elle retrace l’histoire de l’Éthiopie et de son peuple en suivant la trace de sa tante disparue. Elle dévoile beaucoup de sa vie intime, en évoquant des secrets de famille, en parlant d’héritage, et montre comment le fait politique surgit et l’affecte de manière personnelle par le biais de la disparition de sa tante. C’est une nouvelle voix pour le documentaire africain, qui permet de raconter l’histoire d’un point de vue africain.

Tamara Mariam Dawit, Finding Sally © Catbird Productions, 2020

Comment ces films ont-ils été diffusés ?

Les deux films ont été sélectionnés aux Rencontres internationales du documentaire d’Afrique du Sud en 2020, et ont voyagé dans de nombreux festivals à travers le monde depuis, ce dont nous sommes très fiers. Dans notre festival, Finding Sally a gagné le prix Ladima du documentaire africain réalisé par une femme. The Letter a été choisi pour représenter le Kenya aux Oscars.

Percevez-vous l’émergence de nouvelles esthétiques propres aux réalisateurs africains ?

Oui, dans une certaine mesure. Nous voyons de plus en plus de documentaires portés par des personnages, plutôt que par des entretiens, surtout dans les films réalisés en Afrique francophone. En Afrique anglophone, une certaine rudesse esthétique émerge, liée à la confrontation directe avec des questions difficiles. La nouvelle génération parle des problèmes tels qu’elle en fait elle-même l’expérience.

Beaucoup de documentaires de qualité voient notamment le jour au Kenya. Cela est rendu possible par l’investissement du Kenya dans les ateliers de réalisations et dans le financement des films. Beaucoup de réalisateurs kenyans traitent par exemple de questions LGBTQ+ à l’échelle du continent. Le Kenya devient donc une sorte de géant du documentaire. Il y a aussi beaucoup de bons films venant du Ghana, du Rwanda, d’Ouganda et d’Afrique du Sud car ces pays ont une solide culture du documentaire.

Quelles structures soutiennent le documentaire en Afrique de nos jours ?

Auparavant, les Rencontres internationales du documentaire d’Afrique du Sud étaient l’un des seuls festivals dédiés au documentaire sur le continent, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. Mais, plus important, il y a de plus en plus de laboratoires et d’ateliers, dirigés par diverses institutions, qui encouragent le documentaire africain.

Je crois que c’est important pour nous, en tant que communauté africaine, de commencer à soutenir une voix africaine. En effet, nous sommes très influencés par la colonisation et les styles artistiques du Nord, notamment de l’Europe : les documentaires produits pour la télévision par la BBC, les styles français…

Nous travaillons à construire des écosystèmes qui permettent de coproduire des films en Afrique, mais la plupart des documentaires reposent toujours sur des coproductions avec d’autres continents. Ce n’est pas une mauvaise chose. Cela permet de gagner en exposition, notamment en termes de diffusion.

Publié le 07/03/2022 - CC BY-NC-ND 3.0 FR

Pour aller plus loin

Rencontres internationales du documentaire d’Afrique du Sud (Encounters South African International Documentary Festival)

Pour leur 23e édition, les Rencontres internationales du documentaire d’Afrique du Sud proposent 10 jours de films inspirants, de webinaires, de débats et de questions-réponses, de rencontres avec des réalisateurs locaux et du monde entier. Le programme diversifié et inclusif accueille un large éventail de professionnels et de films qui informent, éduquent et divertissent, dont pas moins de 32 films sud-africains et 8 premières mondiales.

44e festival international du cinéma du réel | cinemadureel.org

Le 44e festival international du cinéma du réel se déroule du 11 au 20 mars 2022, au Centre Pompidou. Pour cette édition, Cinéma du réel dresse un panorama de l’Afrique documentaire. Véritable festival dans le festival, il propose une pluralité de regards et des points de vue croisés sur un cinéma documentaire aujourd’hui en pleine expansion sur l’ensemble du territoire africain. Depuis l’Afrique de l’Ouest jusqu’à l’Égypte, de l’Afrique australe au Maghreb, l’Afrique francophone, l’Afrique lusophone et l’Afrique anglophone seront chacune représentées à travers des films récents ou inédits, des études de cas ainsi que, dans le cadre de ParisDOC, des films en cours de montage. Cette programmation se réclame d’un cinéma africain engagé et inventif dont quelques figures tutélaires, des années soixante aux années quatre-vingt seront mises en avant.

La Diversité du documentaire de création en Afrique

Groupe d'étude Cinéma du réel africain
L'Harmattan, 2015

Des réflexions de cinéastes associées à une approche universitaire à propos du cinéma documentaire en Afrique depuis les années deux mille.

À la Bpi, niveau 3, 791.23(6) DIV

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