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Appartient au dossier : Le Congo, de Léopold II à Patrice Lumumba

Patrice Lumumba
le visage de l'indépendance congolaise

Si l’émeute meurtrière de Léopoldville consacre la chute du régime colonial et oblige le roi Baudouin à annoncer l’indépendance du pays, l’idée de liberté était, depuis quelques temps, partagée par tous les congolais.
Dès 1958, partis politiques, meetings populaires, réunions et publications militantes font effectivement émerger à travers toute la colonie une forte conscience politique. Dirigés par de jeunes intellectuels au ton incisif, une centaine de mouvements voient le jour. Au delà de la rhétorique commune de l’indépendance, leurs revendications peuvent être différentes: radicalement ou modérément anticoloniales, tribales, nationalistes, fédéralistes. Parmi eux, des partis s’imposent, comme l' »Abako », association à caractère tribale dirigée par le futur président Joseph Kasa-Vubu, ou encore le MNC, “Mouvement national congolais”, principal mouvement nationaliste. A sa tête, le jeune Patrice Lumumba. Il incarnera à lui seul l’espoir et l’échec de l’indépendance.  

 

Une figure mythique

Assassiné en janvier 1961, premier chef du gouvernement du Congo indépendant, l’image, la parole et le souvenir de Patrice Lumumba demeurent un enjeu politique majeur de la mémoire congolaise.

Lumumba à Bruxelles
Patrice Lumumba à Bruxelles, janvier 1960 – [CC BY SA 3.0 nl] via Wikimedia Commons

Grande figure des indépendances africaines, homme charismatique, orateur hors-pair, sa mort tragique entachée de mystères quelques mois seulement après son accession au pouvoir, en font aujourd’hui encore un objet de mémoire, sans cesse revisité. Publications, pièces de théâtrefilms, émissions radiophoniquesexpositions artistiquesmusiques: créateurs, universitaires et journalistes interrogent son parcours d’homme politique, de penseur, d’africain, de chef d’Etat.  

Un parcours sinueux, parfois lumineux, parfois chaotique: Lumumba a plusieurs visages, sur lesquels les historiens débattent aujourd’hui encore. 
Il est vrai que la brièveté de son action politique nous prive d’une analyse en profondeur sur ce que le Congo serait devenu sous sa direction et sur les orientations politiques et idéologiques qu’il aurait prises. La recherche postcoloniale interroge ce paradoxe, celui de héros au parcours inachevé.
Devenu 
martyr, sa mémoire est un totem. Jean-Paul Sartre n’avait-il pas raison lorsqu’il écrivait dès 1963 dans la préface du livre La pensée politique de Patrice Lumumba: :

« Mort, Lumumba cesse d’être une personne pour devenir l’Afrique toute entière”?

Lumumba entre dieu et diable

Patrice Lumumba, entre Dieu et diable. Un héros africain dans ses images. 
Etudes et documents réunis par Pierre Halen et Janos Riesz. 
L’Harmattan, Paris, 1997Etudes et témoignages inédits retracent ici la postérité de Patrice Lumumba, premier ministre éphémère du Congo nouvellement indépendant. Du roman d’espionnage à la presse quotidienne, de la Pologne aux Etats-Unis, d’Aimé Césaire au peintre Tshibumba, la mémoire de Lumumba, sans cesse revisitée, construit son mythe.

A la Bpi, niveau 3. 966.5 PAT

Ecouter l’intervention de Pierre Halen sur le site de rfi. 

Lumumba à Bruxelles
Patrice Lumumba à Bruxelles, janvier 1960 / (CC-BY-SA-3.0-NL) via Nationaal Archief Fotocollectie Anefo  – Wikimedia Commons

De « l’évolué » modéré à l’indépendantiste radical.
Evolution d’une pensée politique: 

Avant d’être un fervent indépendantiste, Patrice Lumumba fut un membre éminent de l’élite noire, parfaitement intégré au système colonial.
Il appartient en fait à la catégorie des « 
évolués« , qui regroupe quelques milliers de congolais assimilés aux blancs. Les “évolués” rêvent d’ascension sociale, bénéficient d’une bonne éducation, occupent des emplois stables et vivent à l’européenne. Loin de contester le pouvoir belge, ils souhaitent l’assimilation.

Fonctionnaire d’origine modeste formé dans des missions catholiques et protestantes, Patrice Lumumba fut d’abord l’un d’eux.
Il ne remet pas en cause sa fidélité à l’Eglise et au roi. En 1952, le statut d’”immatriculé” est crée par les belges. Il est réservé aux congolais ayant atteint “un stade de civilisation égal à celui de leur tuteur”. Deux ans plus tard, il acquiert ce statut: il est officiellement “civilisé”. En 1956, il écrit son premier livre, Le Congo terre d’avenir est-il menacé?, où il affirme que le désir essentiel de l’élite congolaise est d’être “des belges”, et d’avoir droit à la même aisance matérielle.
Avant d’être le héros de l’indépendance, Patrice Lumumba fut donc un modéré: il exigeait l’égalité avec les blancs, mais sans remettre en cause le cadre colonial.   

Évolués, étudiant en médecine
Des « évolués » du Congo belge – Etudiants, Hôpital de Yakusu – (CC-BY-4.0) via Wikimedia Commons 

Ses convictions se radicalisent à la fin des années 50. Des voyages, des lectures et des rencontres militantes jouent un rôle considérable dans la formation de sa pensée politique.
Il découvre les idéologies
panafricaniste, anticolonialiste et tiers-mondiste. La parution, en 1956, du manifeste « Conscience africaine », le rayonnement de la revue “Présence africaine”, plusieurs séjours à Bruxelles et la tenue de la Conférence d’Accra, à laquelle il assiste, achèvent de convaincre Patrice Lumumba de la nécessité d’une décolonisation urgente et totale. Il y rencontre Julius Nyerere, Sekou Touré, et surtout le président du Ghana, premier pays de l’Afrique subsaharienne a avoir acquis l’indépendance: Kwame Nkrumah.

africains levons nous !
. Africains, levons-nous ! : discours de Patrice Lumumba à Ibadan (Nigeria), 22 mars 1959.

. Nous préférons la liberté : discours de Sékou Touré face au général de Gaulle, à Conakry (Guinée), 25 août 1958.
. Le devoir de civiliser : discours de Jules Ferry, à la Chambre des députés, 28 juillet 1885.

Editions Points, Paris, 2010

En mars 1959, Patrice Lumumba se rend à la conférence panafricaine d’Ibadan, au Nigeria. Le discours qu’il y prononce et les principes qu’il défend annoncent sa pensée politique: les indépendances, l’unité africaine, l’instauration de la démocratie et du développement économique.

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Ses convictions s’affinent. A la tête du MNC, il prend la lumière et devient un leader politique de premier plan. Il porte à travers tout le pays l’idée de l’indépendance.
Sous la pression, Bruxelles accélère la décolonisation: la date de l’indépendance est fixée au 30 juin 1960. Lumumba sera premier ministre du nouveau gouvernement du Congo libre, et son adversaire de l’Abako,
Joseph Kasa-Vubu, en sera le président.
Au Congo, les cérémonies se préparent dans l’euphorie, mais aussi dans la précipitation.
Brisant l’atmosphère consensuelle de la journée, Patrice Lumumba prononce un discours retentissant et imprévu. C
ritique radicale du colonialisme, il est célébré aujourd’hui encore pour sa fougue et sa justesse dans toute l’Afrique noire. 

recueil de textes



Patrice Lumumba: recueil de textes. 
Introduit par Georges Nzongola-Ntalaja.
Cetim, Genève, 2013

Une sélection de discours, lettres et conférences pour mieux comprendre la pensée de Patrice Lumumba.
Le discours prononcé lors de la cérémonie de l’indépendance, le 30 juin 1960, est en texte intégral. 

À la Bpi, niveau 3. 966.5 LUM

Le site de la revue « Jeune Afrique » propose une captation sonore du discours, illustrée de photographies de Lumumba :

RDC : le discours de Patrice Émery Lumumba, le…par Jeuneafriquetv

Patrice Lumumba, premier ministre du Congo indépendant.
De l’espoir à l’assassinat : 

L’euphorie qui suit l’indépendance est hélas de courte durée: le jeune état est rapidement confronté à une série de conflits et de crises qui menacent l’unité du pays et exposent ses populations aux dangers de la guerre civile.
Malgré les difficultés, Patrice Lumumba s’attelle à la tâche: il veut construire un Congo fort, économiquement et politiquement viable. Il met son programme politique en
œuvre

Pensée politique

La pensée politique de Patrice Lumumba.

Patrice Lumumba. Textes recueillis et présentés par Jean Van Lierde. Préface de Jean-Paul Sartre.
Présence africaine, Paris, 1997


Cette édition propose la quasi-totalité des allocutions, conférences, lettres et discours de Patrice Lumumba, écrits ou prononcés entre décembre 1958 et janvier 1961. Présentés par Jean Van Lierde, ces textes retracent le destin et les prises de position politiques du premier chef du gouvernement du Congo indépendant. 

À la Bpi, niveau 2. 328 (665) LUM
 

 

Le Congo est un pays vaste et pluriel, où l’ethnie a une importance primordiale. Patrice Lumumba est, lui, partisan de l’unité. Le nationalisme est un axe essentiel de sa pensée. Il veut construire un Congo centralisé, contrairement aux anciens colons belges, qui soutiennent plutôt un projet de Congo constitué de provinces semi-autonomes, voire d’Etats indépendants – ce qui rendrait le pouvoir du premier ministre quasi nul.
La sécession du Katanga par Moïse Tshombe, qui proclame l’indépendance de sa province le 11 juillet 1960, puis celle du Sud-Kasaï au mois d’août, s’inscrivent dans cette perspective.

Si Lumumba s’affranchit des problématiques ethniques et tribales, c’est également à cause de sa trajectoire sociale et politique : originaire du village de Katako Kombe dans le Kasaï, il vit et s’épanouit hors de sa province d’origine et de son ethnie tetela. Il évolue dans la cosmopolite Stanleyville, carrefour des élites congolaises venues d’ailleurs, où il a construit sa carrière professionnelle et politique.

ethnogenèse

Ethnogenèse et nationalisme en Afrique Centrale. Aux racines de Patrice Lumumba.
Thomas Turner. Préface de Crawford Young.
L’Harmattan, Paris, 2000

Synthèse consacrée à l’étude des dynamiques identitaires dans une communauté ethnique relativement réduite mais politiquement importante, les Tetela, dans le centre-est congolais. Couvrant trois décennies, cette analyse pointe le fort sentiment d’appartenance tribale, amplifiée par la classification-type imposée par l’Etat colonial, et son durcissement dès la fin des années 50, face à l’accélération des processus politiques.  

À la Bpi, niveau 3. 966.5 TUR

La situation intérieure congolaise devient de plus en plus chaotique. Elle ne peut s’entendre sans un examen approfondi de la situation internationale.
L’ONU ne soutient pas Lumumba et protège militairement les sécessionnistes katangais. Avec le Kasaï, un quart du territoire est hors de contrôle. Les belges tiennent encore l’appareil d’Etat et le pouvoir économique. Le Congo est au cœur des rivalités entre Moscou et Washington: bien qu’il ait toujours réfuté tout lien direct avec le communisme, Lumumba représente une subversion dangereuse pour le camp occidental. 
Sa chute semble inéluctable. Révoqué par Kasa-Vubu, son chef d’état-major Mobutu Sese Seko le fait arrêter.
Il est assassiné le 17 janvier 1961 au Katanga, dans des circonstances troubles.

ONU au Congo
Soldat de l’ONU au Katanga, août 1960 / U.N. photo – (CC BY-NC-ND 2.0) via Flickr Commons
ludo de witte

L’assassinat de Lumumba. 
Ludo de Witte.
Karthala, Paris, 2000

Un ouvrage de référence. Selon Ludo de Witte, en 1961, Bruxelles, tout comme Washington et les dirigeants des Nations Unies, souhaitent la liquidation du premier ministre, principal obstacle à la sauvegarde des intérêts économiques des trusts qui exploitent encore le Congo.

À la Bpi, niveau 3. 966.5 DEW

Lire le débat qui a entouré la sortie du livre dans la revue Politique africaine
Ecouter l’interview de Ludo de Witte sur rfi. 

Lumumba, un crime d’Etat. Une lecture critique de la Commission parlementaire belge.

Colette Braeckman. Avant-propos Gilles Martin.
Aden éditions, Bruxelles, 2002
Colette Braeckman dévoile ici les conclusions et les parts d’ombre de la Commission parlementaire belge, qui enquêta sur l’assassinat de Patrice Lumumba. Grande spécialiste du Congo et de l’Afrique centrale, elle livre une analyse critique et s’interroge sur les relations futures entre la Belgique et le Congo. 

À la Bpi, niveau 3. 966.5 BRA

Lire la critique du livre sur le site du « Monde diplomatique ». 

Le site de l’INA propose également un extrait du film Une mort de style colonial : l’assassinat de Patrice Lumumba, de Thomas Gieffer, dans la collection « Assassinats politiques »: 

Publié le 18/07/2015 - CC BY-SA 3.0 FR