Chronique

Comment rester immobile quand on est en feu, de Claro

Claro, traducteur et romancier, publie en ce début d’année un texte plus proche de la poésie, une “anti-ode” au long cours, élaborée et retravaillée pendant six ans. Une manière de repousser les limites du travail entrepris sur le style dans ses romans avec un texte ardent, parfois difficile mais dont la fougue finit toujours par l’emporter..

« Que parles-tu de fondation ? La pierre seule n’est pas une fondation, la flamme aussi est une fondation,
la flamme dansante et boiteuse, la flamme biquante et claquante de sa double langue inégale ! »

Comment rester immobile quand on est en feu_Claro_Couverture
A la Bpi, 840″19″ CLAR 4 CO

On pourra peut-être s’étonner de trouver, en exergue de ce nouvel ouvrage de Claro, ces deux vers de Paul Claudel. Claudel, dont on trouve souvent le style ampoulé et dont la cote de popularité est en berne depuis un certain temps, notamment en raison de son mysticisme chrétien parfois difficile à pénétrer, pourrait à première vue être l’opposé exact de Claro – résolument moderne, volontiers iconoclaste.  

Aussi éloignés que soient les deux auteurs, ils se rejoignent pourtant, d’une certaine manière, dans leur usage de la langue, qu’ils conçoivent, loin de tout classicisme, comme une entité en constant mouvement, un outil indocile qu’il ne s’agit non pas de canaliser mais dont il faut exacerber le désordre jusqu’à l’étourdissement – une éventuelle transcendance est à ce prix.
Les deux (beaux) vers tirés de la Muse qui est la grâce servent ainsi de programme à Comment rester immobile quand on est en feu, et incitent Claro à pousser plus loin encore qu’à son habitude sa déconstruction du langage, ce dont on ne peut que se réjouir.

Le précédent roman de Claro, Crash-test, sorti à la dernière rentrée littéraire, était un triple récit turbulent qui, comme le Crash de Ballard, explorait le potentiel érotique de la destruction – et plus précisément des accidents de voiture. L’ensemble était parfaitement maîtrisé ; presque trop : on y trouvait des réminiscences de romans précédents de Claro, de Chair électrique à Tous les diamants du ciel et, si le résultat restait percutant, il ne réservait au final que peu de surprises aux habitués de sa plume. N’allons pas jusqu’à parler de tics d’écriture ; mais peut-être y avait-il là quelques habitudes en passe de devenir ronronnantes.

Evidemment, pour un auteur comme Claro, tomber dans la routine d’un style automatique est sans doute le pire repoussoir qui soit. Et c’est tout l’enjeu de Comment rester immobile quand on est en feu : la langue s’y ébat, s’y débat, et si l’on retrouve parfois certains éléments qui font qu’on reconnaît du Claro à l’oreille (ce qui est déjà, notons-le tout de même, une qualité rare), l’auteur s’y emploie à toujours remettre en question son écriture, dans une sorte de dialogue entre deux entités représentant la langue de deux manières différentes – l’une extrêmement éclatée, au rythme exemplaire ; l’autre tout à fait resserrée, ramassée, exténuante de compacité. Ces deux langues questionnent et chantent, précisément, ce que la langue est capable de faire, ce qu’elle a de puissamment salvateur. La langue sujet et objet : la boucle est bouclée.

Tout ceci est, bien entendu, à la limite de l’expérimental et on hésitera à mettre Comment rester immobile quand on est en feu entre toutes les mains. C’est cependant regrettable car ce nouveau texte, qui s’apparente plus à la poésie qu’au récit, est loin d’être un vain exercice de style. Au contraire, ses implications politiques en font un brûlant manifeste, un fiévreux coup de clairon – car une langue enflammée comme celle de Claro est forcément l’antidote à toute tentative de langue de bois. Il faudra s’y replonger plusieurs fois pour en saisir tous les enjeux : vivement.

Publié le 02/03/2016 - CC BY-SA 3.0 FR

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