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Lire entre les murs

Officiellement, il devrait y avoir au moins une bibliothèque par établissement pénitentiaire. En milieu carcéral, les bibliothèques sont le cœur des activités culturelles. C’est là que peuvent exister des ateliers d’écriture ou des rencontres avec des écrivains. Ces lieux existent grâce à l’implication de l’administration pénitentiaire et de ses personnels, principalement ceux des services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP), des chargés de mission culture-justice au niveau des régions – quand il y en a un –, et à l’implication des bibliothèques territoriales. La Bpi aide ces établissements à constituer leurs fonds. Nous sommes aussi allés de l’autre côté des murs…

Comment nous sommes entrés en prison !

Fleury-Mérogis : 4 000 détenus, une ville dans une ville, la plus grande prison d’Europe. Nous avons rendez-vous avec Élise Waldbaum, la coordinatrice des huit bibliothèques de cette maison d’arrêt. Là commence le rituel habituel pour tous les visiteurs : laisser téléphones et clés USB dans un casier à l’extérieur, donner sa carte d’identité, déjà scannée et transmise trois semaines à l’avance à l’administration pénitentiaire en vue de cette visite. Une première porte, verrouillée, à ouvrir et à refermer vite, un premier sas. On nous demande de poser le sac à main sur un tapis roulant et de passer sous le portique de sécurité. Des clés qui sonnent, on dépose les clés, ça sonne toujours, ce sont des pinces à cheveux que le détecteur refuse… Une deuxième porte, des gardiens, plutôt aimables, parfois blasés. Élise remontre nos cartes à chaque étape, chaque porte, chaque sas. Après un dédale de couloirs sécurisés, nous parvenons dans la bibliothèque centrale d’où partent tous les livres. Là, Élise nous explique le fonctionnement de l’association Lire C’est Vivre pour laquelle elle travaille et les principes d’organisation des huit bibliothèques, construites sur le modèle de petites bibliothèques municipales. Direction ensuite vers l’une d’entre elles, dans la maison des hommes. Le parcours en soi est une épreuve : à nouveau des portes à franchir, des couloirs à traverser, des papiers d’identité à montrer, mais surtout des hommes qui crient, qui s’interpellent, qui nous interpellent à travers les barreaux. De la musique sort des cellules. Des blagues nous concernant fusent aussi.

Lire en prison

photo d'une bibliothèque de prison
© ministère de la Justice /DAP / Laurent Lesueur

Une fois dans la bibliothèque, nous découvrons une large collection de bandes dessinées, de policiers, de science-fiction, d’ouvrages d’art, de livres étrangers (en russe, roumain, serbe, arabe, chinois…). Quelques cédéroms, mais pas de musique, ni de connexion internet, pour des raisons de sécurité. Nous rencontrons le détenu auxiliaire de cette bibliothèque et passons un long moment à discuter avec lui. Il nous explique comment il travaille et quels sont les livres qui plaisent le plus aux détenus : poésie, droit, religion, ethnologie, cuisine… – les détenus peuvent parfois cuisiner dans leur cellule. Il nous montre aussi les bordereaux de demandes d’inscription remis aux détenus. Pas de visites spontanées dans cette bibliothèque ! Une fois inscrit (et l’inscription peut faire l’objet de nombreuses demandes auprès de l’administration), le détenu se voit attribuer un créneau hebdomadaire d’une heure à une heure trente. En général, il n’y a pas plus de six à huit détenus par plage horaire. Cet après-midi-là, aucun détenu ne viendra, pourtant un petit groupe était prévu. Cela n’étonne pas Élise. Elle nous explique que le temps n’a pas la même valeur dedans et dehors. Tout est beaucoup plus long et complexe, ici. Une activité culturelle peut « sauter » au profit d’une promenade, d’une séance de musculation ou à cause d’une interdiction soudaine d’un gardien. Vers 17 heures, nous quittons les lieux. Nouveaux cris et chahuts à notre passage. Nous récupérons cartes, téléphones et clés USB. Nous sortons à l’air libre, un peu sonnés, chamboulés.

Cécile Denier, avec la collaboration de Maryline Vallez, Bpi

Article paru initialement dans de ligne en ligne n°13

Publié le 11/09/2014 - CC BY-SA 3.0 FR

Sélection de références

vers le site de l'association Lire c'est vivre

Lire, c'est vivre

L’association Lire C’est Vivre, née dans le cadre d’un accord entre les ministères de la Culture et de la Justice, a créé les huit bibliothèques de FleuryMérogis.
Chacune d’elles est gérée par des « auxiliaires bibliothécaires détenus », responsables de l’accueil, du prêt et du rangement. Formés à la médiation culturelle, ils y travaillent six jours par semaine, de 9 h à 17 h et sont rémunérés 200 € par mois.

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