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Appartient au dossier : De Roland à Orlando

De la Chanson de geste à l’Arioste
ou comment Roland devient Orlando...

Il ne s’agit pas là de présenter l’intrigue de la Chanson de Roland, que l’on retrouvera aisément sur internet, encore moins de tenter une exégèse sur l’apparition et l’évolution de cette dernière, tant les zones d’ombres sont nombreuses.

L’histoire de la chanson commence par sa transcription la plus anciennement conservée, le manuscrit d’Oxford copié (ou créé?) entre 1140 et 1170, par un certain Turoldus et écrit en langue anglo-normande. (Voir la dernière page du manuscrit où on peut lire, sur la dernière ligne, “Ci falt la geste que Turoldus declinet”. Pour la traduction de ces termes, voir les propositions de Bernard Gicquel.)

Des brumes médiévales…

Il est évident qu’il s’agit là d’un état déjà abouti de la tradition littéraire. Entre 778 (ou plus tard, au 9e ou 10e siècle) et 1140, une tradition s’est transmise oralement jusqu’à aboutir à un poème construit qui fut ensuite transcrit. Robert Lafont fut le premier à démontrer que le poème en langue d’oïl résulte d’une tradition plus ancienne transmise en langue d’oc dans le sud de la France.
La large diffusion des chansons de geste et des romans courtois aboutit à leur découverte en Italie du nord dès la fin du 12e siècle. La nuance que l’on peut opérer entre ces deux formes est simple. La chanson demeure d’inspiration carolingienne mettant en scène des épisodes, le plus souvent fantasmés, de la vie de Charlemagne et de son entourage. Le roman est une création du 12e siècle et articule le récit autour du sentiment amoureux (parmi les plus célèbres romans on trouve le Roman de Tristran et Iseut et Lancelot ou le chevalier à la charette).
En Italie, les thèmes carolingiens sont donc diffusés puis adaptés dans la langue locale. Sont ainsi créées certaines œuvres dérivées du thème « rolandien », telles la Geste Francor, cycle de huit chansons de geste franco-italiennes sur l’enfance et les parents de Roland, remontant au 14e ou 15e siècle, et L’Aspromonte d’Andrea da Barberino qui traite du passage de Roland à l’âge adulte.

… aux splendeurs du Cinquecento.

Palais des Este à Ferrare
Le château des Este (Castello Estense en italien), appelé aussi château de Saint Michel, à Ferrare. Palais des mécènes de l’Ariosto

C’est à la fin de ce 15e siècle, à Ferrare, que la destinée de l’épopée connut son plus éblouissant développement. Sous le patronage des Este, ducs de Ferrare, Matteo Maria Boiardo écrit son Orlando innamorato, avant que le mécénat princier ne favorise la création de l’Orlando furioso de Ludovico Ariosto dit l’Arioste, dans une première version en 1516 puis dans une version finale en 1532. Ce dernier appartient à la suite du cardinal Hippolyte d’Este puis du duc Alphonse Ier d’Este. Ces œuvres sont un hommage à la famille d’Este, qui sont les descendants, selon la tradition, de Ruggiero (Roger) et Bradamante, sœur de Rinaldo (Renaud) , personnages évoluant autour d’Orlando (Roland), avec Angelica (Angélique) aimée par Rinaldo et Orlando. L’inspiration de ce type d’hommage vient probablement de Virgile avec son Énéide, célébrant l’ascendance divine des Julii et donc du nouvel empereur Auguste, fils de Jules César.
Dans ces œuvres, le personnage d’Orlando s’étoffe de thèmes des romans courtois de la matière de Bretagne, la passion amoureuse imprégnant l’intrigue (passion incarnée par Angelica, issue du modèle féminin de la “donna angelicata” du Dolce stil novo ou encore de la Laura de Pétrarque), agrémentée de thèmes merveilleux, magiques, typiques de la mode de Bretagne, avec la magicienne Alcina, emprisonnant Ruggiero de sa passion, à l’image de Circé avec Ulysse.
Avec l’Orlando furioso, l’Arioste composa une œuvre légendaire à la postérité séculaire, largement diffusée en Europe. Pas moins de 155 réimpressions du poème parurent au 16e siècle, sans évoquer les traductions multiples dans toute l’Europe. Cette popularité inspira de nombreuses œuvres vocales : dès le 16e siècle, un certain nombre de compositeurs, dont Roland de Lassus (ou Orlando di Lasso) ou Palestrina et William Byrd, pour les plus connus, mettent en musique le poème de l’Arioste dans le cadre de madrigaux. Mais la profondeur dramatique de l’œuvre trouvera sa pleine réalisation dans l’opéra, genre musical des passions par excellence, où elles se tissent et s’expriment.

Publié le 19/06/2015 - CC BY-SA 4.0

Sélection de références

La Geste de Roland

Robert Lafont
L'Harmattan, 1991

Ouvrage fondateur de la critique historique contemporaine sur la Chanson de Roland.

À la Bpi, niveau 3 , 840(091) »04/14″ LAF

La Légende de Roland : de la genèse française à l'épuisement de la figure du héros en Italie

Aline Laradji
L'Harmattan, 2008

Ouvrage tiré d’une thèse de doctorat portant sur la postérité du héros dans la littérature.

À la Bpi, niveau 3, 81.041 LAR

Orlando furioso : madrigali sul poema di Ludovico Ariosto; madrigaux sur des poèmes de Ludovico Ariosto

Orlando furioso : madrigali sul poema di Ludovico Ariosto; madrigaux sur le poème de Ludovico Ariosto

collectif
Arcana ; [distrib.] Outhere Music - Naxos Global Logistics, 2011

Ensemble de madrigaux composés au 16e siècle par Palestrina, William Byrd, Roland de Lassus et d’autres, sur le poème Orlando furioso de l’Arioste.

À la Bpi, niveau 3,  78.1 COMP 4

Roland furieux; Orlando furioso; Orlando furioso

Roland furieux ; Orlando furioso

L'Arioste,
Seuil, 2000

Edition bilingue, italien-français, du poème de l’Arioste.

À la Bpi, niveau 3, 850″15″ ARIO 4 OR

Site sur les chansons de geste

La chanson de geste

Découvrez à travers ce site un des plus beaux genre de notre littérature : la chanson de geste
Site explicatif avec données bibliographiques.

lien externe

La chanson de Roland / France Inter

Quelques sources, dûment sollicitées, indiquent qu’au retour d’une expédition, brève, en Espagne, l’arrière-garde de Charlemagne fut en effet prise dans un combat défavorable dont on ignore quelle dimension il eut réellement. C’était en 778. 350 ans plus tard, l’esprit de croisade qui commençait à se développer aimait mettre en scène la fécondité des échecs.
La Marche de l’histoire, émission de France Inter sur la Chanson de Roland le 4 juillet 2013.

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