Portrait

Appartient au dossier : Jean-Philippe Rameau, un style français

Rameau : jalons biographiques

Musique

Jean-Philippe Rameau, gravure de A. et E. Burney d'après l'oeuvre de Chardin. Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France.

La légende de Rameau repose, bien évidemment, sur son génie musical et créatif, qui a marqué son siècle, mais aussi sur l’image tout à fait singulière de sa personnalité qu’ont laissée de lui ses contemporains.

Il apparaît, en effet, tel un négatif du rayonnement de ses œuvres, comme étrangement indifférent au monde : Chabanon le dit « étranger à tout sentiment d’humanité », Maret souligne « une sorte d’indifférence pour soi-même… ».

Ce caractère rigide semble s’incarner dans un corps non moins austère : le baron Grimm le décrit « aussi hâve et aussi sec » que Voltaire, et Chabanon, « comme ayant plus l’air d’un fantôme que d’un homme ».

Il est taxé des pires défauts, dont l’avarice ou les certitudes ancrées confinant à l’arrogance, et c’est au final Diderot, dans Le Neveu de Rameau, qui en trace le portrait le plus cinglant : 
« Sa femme et sa fille n’ont qu’à mourir quand elles le voudront, pourvu que les cloches… continuent de résonner la douzième et la dix-septième, tout sera bien » ou encore « C’est une pierre ».

Cependant, il reste que peu lui contestent son génie.

Les sources

La vie du compositeur, notamment avant son installation définitive à Paris en 1723, est peu renseignée. Quelques anecdotes, concernant sa jeunesse, émaillent les biographies rédigées à sa mort, avant de se consacrer à la partie essentielle de son existence, celle de la composition lyrique et de théoricien.

On dispose d’un certain nombre de sources, dont tout d’abord Guy de Chabanon, ami et premier biographe, avec son Éloge de M. Rameau, 1764, puis celle de Hugues Maret, Éloge historique de M. Rameau, Dijon, 1766.

La presse contemporaine de Rameau permet aussi de saisir sur le vif les réactions du public lors des premières de ses oeuvres, ou de suivre les échanges enflammés suscités par les querelles esthétiques dues aux créations du maestro : il s’agit essentiellement du Journal de Trévoux ou les Mémoires pour l’histoire des sciences et des beaux-arts et le Mercure de France. 

L’obscurité des commencements

Jean-Philippe Rameau est baptisé le 25 septembre 1683 ; on ignore la date exacte de sa naissance, ce jour même ou les jours précédents. Par contraste avec cette obscurité, le cru de cette fin de siècle s’annoncait déjà exceptionnel : deux années plus tard, en 1685, ce sont Bach, Haendel et Domenico Scarlatti qui virent le jour. Il naît donc sous le règne de Louis XIV qui vient d’installer définitivement la cour à Versailles et s’est affirmé en monarque absolu. Si le siècle est violent  l’Édit de Nantes est révoqué en 1685, les conflits entre puissances européennes s’égrènent, après la Guerre de trente ans durant la première moitié du siècle, se succèdent la Guerre de Dévolution contre l’Espagne, la Guerre de Hollande et la Guerre de la Ligue d’Augsbourg ; le 18e n’a rien à envier au17e, Guerre de la succession d’Espagne, puis de celle de Pologne, d’Autriche, la Guerre de sept ans… – les arts de la cour s’épanouissent. C’est le règne de l’italien Lully qui célèbre le souverain en jetant ses derniers feux avec Phaéton en 1683 et Armide en 1686. Il meurt en 1687.

Né au sein d’une fratrie de onze enfants, à Dijon, Rameau est le fils de Claude Demartinécourt et de Jean Rameau, organiste d’établissements religieux de Dijon. C’est ce dernier qui donne à Rameau sa formation musicale. Après des études “écourtées”, il part pour quelques mois en Italie, à Milan, en 1701, premier pas d’un Grand Tour avorté. De retour en France, il suit les traces paternelles, comme organiste, à Avignon, Clermont et Lyon. Jusqu’en 1723, il ne fait qu’une brève apparition à Paris en 1706 où il publie son Premier livre de pièces pour clavecin (Écoutez la Suite en la mineur par Trevor Pinnock sur la Discothèque Naxos consultable à la Bpi).

Durant cette période d’organiste, obscure, Rameau compose, outre ses pièces pour clavecin, une série d’oeuvres vocales profanes et religieuses. De ses cantates et motets, certains ont sombré dans l’oubli des siècles jusqu’à disparaître  seuls trois motets nous sont parvenus  d’autres, telles les cantates Thétis ou Orphée, ont survécu, notamment grâce aux publications ultérieures du compositeur. De plus, rien n’a survécu de la musique d’orgue, dont on suppose qu’elle dut être la majeure partie de ses compositions entre 1709 et 1723. De cette obscurité, le génie ne jaillit qu’en 1722, lors de l’éclatante parution du Traité de l’harmonieréduite à ses principes naturels, qui lui assure immédiatement une renommée européenne.

Les cantates L’Impatience et Thétis, sur la Discothèque Naxos consultable à la Bpi, interprétées par Sandrine Piau, sous la direction de Christophe Coin.

Les motets de Rameau, sur la Discothèque Naxos consultable à la Bpi, sous la direction de William Christie.

Installation à Paris

Installé à Paris en 1723, Rameau publie d’autres recueils pour clavecin, un complément de son Traité, intitulé Nouveau système de musique théorique, en 1726 et commence, pour la première fois, à s’intéresser à la musique de scène. Cette période fondamentale le voit entrer dans le réseau des lettrés et artistes de Paris. Par l’entremise de son ami dijonnais, Alexis Piron, auteur de livrets d’opéras, Rameau rencontre le fermier général Le Riche de La Pouplinière, mécène et protecteur d’artistes, qui lui offre la direction de son orchestre privé et l’introduit auprès de Voltaire et de l’abbé Pellegrin, son futur librettiste. Ses premiers essais vers la scène lyrique furent timides, quelques airs composés sur les textes de Piron, voire humiliants. En 1727 se place sa fameuse demande à Houdar de La Motte – librettiste notamment de Campra et Marais, rien de moins – de lui offrir un livret. Rameau a beau vanter sa maîtrise et ses travaux, son approche théorique de la musique, le maître ne lui adresse qu’un silence assourdissant. Lire la lettre à Houdar de La Motte.

Finalement, grâce à La Pouplinière, Rameau se voit confier un livret de Pellegrin : Hippolyte et Aricie voit le jour en 1733, le 1er octobre, sur la scène de l’Académie royale de musique, ancêtre de l’Opéra de Paris. Rameau a cinquante ans.
La réception de l’oeuvre ne laisse guère indifférent. D’un côté on salue la nouveauté de l’opéra dont la musique, complexe et moderne, renforce l’expression des sentiments. De l’autre, on dénonce justement cette modernité et ce style par trop italianisant que l’on oppose à Lully. Cette polémique est désignée par l’une des nombreuses querelles intellectuelles des dix-sept et dix-huitième siècles, la Querelle des Lullistes et des Ramistes. André Campra, certainement un peu déboussolé par ce spectacle, aurait déclaré, selon Maret, “… il y a dans cet opéra assez de musique pour en faire dix…”. Cependant, la cabale s’estompe et les représentations suivantes restent mieux accueillies.

Rameau semble alors saisi d’une frénésie de création : il crée en sept années trois tragédies lyriques, (Hippolyte donc, puis Castor et Pollux en 1737 et Dardanus en 1739) et deux opéras-ballets (Les Indes galantes en 1735 puis Les Fêtes d’Hébé 1739). Le succès est au rendez-vous puisqu’avec Castor et Pollux, ce ne sont pas moins de 21 représentations qui sont données en 6 semaines. Le pendant de ce succès est l’apogée de la polémique des Lullistes et des Ramistes, après trois années de reprises d’opéras de Lully, données à l’Académie royale. Diderot lui même s’ingénie à donner un récit de la querelle en affligeant de surnoms les deux grands musiciens : Utmiutsol pour Lully et Utrémifasollasiututut pour Rameau. Extrait de Diderot

Musicien du roi

En 1745, le dauphin épouse l’infante d’Espagne, morte l’année suivante, et pour cette occasion, le roi Louis XV fait commande à Rameau pour qui il crée le titre de “Compositeur du cabinet du roi” ou “Compositeur de la musique du roi”, avec la pension afférente.
Cette même année, Rameau crée Platée ou Junon jalouse, grand succés auprès du public et célèbre pour son air de la Folie. 
Jusqu’en 1752, la réussite est impressionnante tant du point de vue de la composition, avec la collaboration de Louis de Cahusac, son librettiste  création des Fêtes de Polymnie 1745, Fête de l’Hymen et l’Amour 1747, Pygmalion 1748, Les Surprises de l’Amour 1748, Zoroastre 1750 – que de la reconnaissance de ses écrits théoriques. Il soumet son mémoire, publié en 1750 sous le nom de Démonstration du principe de l’harmonie, à l’Académie des sciences. Les rapporteurs, dont tout de même d’Alembert, le couvrent d’éloge et ce dernier attribue à Rameau la paternité de son ouvrage, Eléments de musique théorique et pratique suivant les principes de Rameau, publié en 1752.

Fin de vie et postérité

Rameau n’a bien sûr pas cessé de composer. Ce sont Daphnis et Eglé, La Naissance d’Osiris, Anacréon, les Paladins, et Les Boréades qui voient le jour durant cette période – bien que le dernier, tragédie lyrique, ne fut jamais représenté du vivant de Rameau mais seulement au vingtième siècle. En parallèle, de même que les oeuvres de Lully seront reprises jusqu’en 1789, Rameau reprend ses compositions précédentes à de multiples reprises. Ses plus grands succès le resteront longtemps : Castor et Pollux détient la palme avec 254 représentations jusqu’en 1785. Ces reprises sont par ailleurs l’occasion de modifications plus ou moins importantes et donc de réécriture de passages entiers. Le Castor de 1754 (créé en 1737) est amputé de son prologue et se voit doté d’un tout nouvel premier acte. Mais c’est sans doute dans le domaine des opéras-ballets que les modifications durant les reprises sont les plus notables, le genre permettant une grande liberté car composé de différents actes – des entrées – fédérés par un thème mais possédant des intrigues indépendantes. Les Indes galantes, par exemple, opéra-ballet créé en 1735, se voit augmenté d’un acte,  Les Sauvages, en 1736 ; ce dernier est représenté avec le ballet La Guirlande en 1751, puis à nouveau en 1761 mais avec d’autres actes.

Cette activité se complète d’écrits théoriques, jusqu’au Code de musique pratique publié en 1760. La consécration ultime vient du roi, qui l’annoblit en 1764 quelques mois avant sa mort, et de ses pairs scientifiques, du moins en partie, qui l’accueillent à l’Académie de Dijon, à défaut de celle des sciences.
Rameau meurt le 12 septembre 1764. Son décès fait l’objet de commémorations funèbres monumentales. Entre septembre et décembre, on lui rend hommage à Paris, Marseille et Orléans. Dans la capitale, on réunit pas moins de 180 musiciens de l’Opéra et de la Musique du roi pour l’hommage funèbre, composé de messes et d’extraits d’oeuvres du compositeur lui-même. 

À l’image de tous les géants du baroque finissant, Rameau s’efface au 19e siècle. L’oubli n’est pas total, comme pour Bach et Haendel mais malgrè tout prégnant. Il faut attendre la fin de ce siècle pour percevoir un regain d’intérêt. Dès 1878 les principaux opéras de Rameau sont édités par Théodore Michaëlis, précédant le grand oeuvre, inachevé, de réédition de 1895 à 1924 par la maison Durand. On fait appel à rien de moins que Camille Saint-Saëns, Vincent d’Indy, Paul Dukas ou Debussy qui sont en charge du travail éditorial de cette colossale entreperise de 18 volumes. En parallèle, pour la première fois depuis le XVIIIe siècle, des oeuvres de Rameau sont rejouées à la scène. Les années 50 voient l’intérêt du public grandir et le renouveau du baroque des années 70 touche aussi les créations françaises. Ce sont tous les noms illustres de la direction qui s’emparent du renom du compositeur : Harnoncourt, Leonhardt, Gardiner, Christie, Herreweghe, Malgoire puis Minkowski, Nicquet ou Rousset. Et enfin, pour la première fois depuis son écriture en 1763, Les Boréades sont jouées en 1982, sous la direction de John Eliot Gardiner au festival d’Aix. La renaissance s’achève en 2014, le compulsif de la tierce moqué par Diderot, la « pierre », servant d’inspiration à Gérard Pesson pour son hommage, selon la longue tradition française musicale, Le Tombeau de Rameau.

Publié le 02/01/2015 - CC BY-SA 4.0

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A l'écoute des œuvres de Jean-Philippe Rameau / rameau2014.fr

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Jean Philippe Rameau sur l'Encyclopaedia Universalis

Article Jean-Philippe Rameau sur l’Encyclopaedia Universalis, consultable à la Bpi.

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Jean-Philippe Rameau sur Medici.tv

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Cinq opéras de Rameau filmés et mis en ligne sur le site de Opera in video. Consultable à la Bpi, sur les postes de l’espace Musique, Niveau 3.

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