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Scolariser les enfants de moins de 3 ans : trop petits ou assez grands ?

Pour la rentrée 2016, le ministère de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche préconise une entrée en maternelle dès l’âge de deux ans, afin de garantir l’égalité des chances dès le plus jeune âge. Cette volonté relance le débat autour de l’accueil des plus petits en milieu scolaire, qui voit s’affronter de nombreux points de vue. Mais comment savoir réellement quel est l’intérêt de l’enfant ?

mains d'enfants
Bleu Crayola, par MMarsolais, [CC BY-NC-ND 2.0] via Flickr

L’école maternelle, premier cycle de l’école primaire, n’est ni une garderie, ni un jardin d’enfant. C’est une école au plein sens du terme, qui comprend 3 sections et qui aide l’enfant à devenir grand.
Non obligatoire, elle occupe, cependant, une place importante dans le dispositif d’accueil de la petite enfance, puisque près de 100% des enfants de 3 à 6 ans fréquentent cette institution. Les chiffres sont néanmoins nettement en baisse concernant les enfants de moins de 3 ans : si 35 % d’entre eux étaient scolarisés dans les années 2000, ils ne sont plus que 11,7% aujourd’hui.

Les risques de la scolarisation précoce

Certains médecins, psychologues et professionnels de l’éducation estiment que l’école maternelle n’a pas actuellement les moyens d’offrir la sécurité affective nécessaire à un enfant de moins de 3 ans. Ils alertent sur les risques d’une scolarisation trop précoce, notamment par manque de personnel et de structure adaptée.

Le développement de l’enfant

Pour beaucoup de spécialistes, le temps du « bébé » est une période qui s’étale jusqu’à l’âge de trois ans, même s’il existe des variations sur les acquis du langage ou de la propreté. Brûler les étapes et plonger le tout-petit dans un groupe trop important peut nuire à son développement ; il serait donc préférable de laisser le temps à l’enfant de consolider ses acquis et ses apprentissages.

La construction de la personnalité

Entre 2 et 3 ans, l’enfant est dans la dépendance à l’égard des adultes. Il est davantage dans une relation de dualité et son univers familial proche (notamment la mère) constitue une référence. C’est en accomplissant un travail fondamental d’ordre psychique qu’il va comprendre qu’il est une personne distincte. La vie collective de l’école, avec beaucoup d’enfants et peu d’adultes, ne correspondrait donc pas aux besoins de sécurité affective, linguistique et physiologique liés à cet âge. Un bébé a davantage besoin d’attention, d’affection, de protection et d’une relation privilégiée avec l’adulte « substitut maternel ».

Manque de compétences et de structure adaptées

Par ailleurs, les enseignants ne seraient pas suffisamment nombreux et formés pour accueillir cette tranche d’âge. En crèche, l’encadrement prévu est de un adulte pour 8 enfants. L’école prévoit au mieux 2 adultes (un professeur des écoles et un agent territorial spécialisé, l’ATSEM) pour 20 à 30 élèves. Les rythmes imposés par la vie de la classe ne permettraient pas de respecter les temps de repos et de sommeil, en raison du bruit et de l’agitation. De même, l’espace meublé de la classe contraint le corps de l’enfant à une position plutôt assise, alors que le jeu et les mouvements du corps devraient être privilégiés.

Pour en savoir plus :

La scolarisation des enfants de deux à trois ans : analyse et proposition de l’UNAF
Dossier réalisé par l’UNAF (Union Nationale des Associations Familiales), janvier 2013
L’UNAF considère que la scolarisation précoce ne peut convenir à tous les enfants. Elle peut cependant être adaptée à certains enfants suffisamment mûrs, et être bénéfique aux enfants vivant en ZEP ou dans une zone rurale isolée, à condition que les locaux soient adaptés (espace de repos, de récréation …) et surtout qu’il y ait un taux d’encadrement d’au moins un adulte pour 12 enfants. Les parents des enfants de 2 ans doivent être tout particulièrement associés à l’école (participation à certaines activités, espaces de rencontres parents/encadrant). Les professeurs des écoles chargés des enfants de deux ans devraient recevoir une formation spécifique minimum dans le domaine de la petite enfance.

L’école à 2 ans est-ce bon pour l’enfant ?
Claire Brisset et Bernard Golse, Odile Jacob, 2006
Cet ouvrage collectif publié sous la direction de Claire Brisset et Bernard Golse est composé d’interventions de spécialistes de l’enfance. Ceux-ci abordent divers aspects du développement de l’enfant, les rythmes, le langage, la construction de la personnalité. La scolarisation précoce à l’âge de 2 ans néglige, dans la majorité des cas, les besoins fondamentaux du développement de l’enfant, car c’est au cours de la deuxième année que s’élabore son individualité. Il faut lui laisser le temps de se construire et d’organiser ses relations avec ses parents, puis avec le groupe. Avant d’entrer à l’école, il doit acquérir une sécurité interne. ©Electre
À la Bpi, niveau 2, 372.3 ECO

Ne mettez pas votre enfant à l’école, il est trop petit !
Béatrice Guerville, First édition, 2004
Béatrice Guerville, institutrice depuis plus de 20 ans, fait un constat sans appel : l’école dès deux ans n’est pas adaptée et entraîne parfois des problèmes avec d’importantes conséquences. L’auteure lève le voile sur ce qui se passe dans les petites sections de maternelle et dénonce les risques d’une scolarisation trop précoce et non adaptée aux besoins des enfants. ©Electre
À la Bpi, niveau 2, 372.3 GUE

Favoriser l’égalité des chances dès le plus jeune âge

Les parents font pression pour mettre leurs enfants à l’école dès 2 ans et certains enseignants sont prêts à s’investir dans cette mission. Par ailleurs, les politiques éducatives de ces dernières années ont eu tendance à favoriser un accueil précoce en maternelle.

Des motivations d’ordre économiques et pratiques

L’école publique accueille gratuitement tous les enfants pour pallier le manque de places disponibles en crèches ou dans d’autres lieux d’accueil de la petite enfance. Cela permet également aux femmes de concilier vie professionnelle et familiale.

Des valeurs de socialisation et d’apprentissage reconnues

Les familles estiment que l’école maternelle offrent à l’enfant des chances de socialisation et d’apprentissage indispensables à son développement et utiles à la préparation de l’école élémentaire. Pour ceux qui considèrent que « tout se joue avant 6 ans », une préscolarisation constitue un gage favorable à la réussite future de l’enfant.
Des enseignants sont très investis dans ce projet pédagogique et éducatif particulier. Dans ce reportage, Suzanne Tixier et Stéphanie Moulin, enseignantes petits/tout-petits, parlent de l’importance de faire aimer l’école à leurs élèves et de leur donner une image positive d’eux-mêmes.

Réduire les inégalités

La loi du 8 juillet 2013 pour la refondation de l’Ecole de la République donne la priorité à l’école primaire, en visant à réduire les inégalités sociales et à favoriser la réussite de tous. Dans ce cadre, la circulaire n° 2012-202 du 18-12-2012 fait de l’accueil des enfants de moins de 3 ans en école maternelle une priorité, avec pour objectif d’atteindre 50% de scolarisation dans les zones les plus défavorisées.


Pour en savoir plus :

Une école pour les tout-petits : accueillir les enfants de deux ans et leurs parents pour une première scolarisation
Anne Gantelet et Georges Gauzente, Hachette, 2004
Rassemble une série d’informations issues de l’expérience des enseignants autour des enjeux de l’enseignement précoce. Ce recueil de données permet de proposer à l’enseignant des pratiques adaptées aux sections des petits enfants.©Electre
À la Bpi, niveau 2, 372.3 GAU

Réussir le développement de la scolarisation des enfants de moins de 3 ans
Dossier de presse du 4 avril 2016
Refonder l’école maternelle, c’est insister sur sa place fondamentale comme première étape de la réussite de tous les élèves, c’est donner les moyens de construire des bases solides et durables pour chacun des enfants. L’école maternelle permet de repérer les éventuelles fragilités et d’accompagner l’enfant à intégrer la communauté scolaire. Dès le plus jeune âge, elle lui apprend « le métier d’élève ».

À chaque enfant son mode d’accueil

La diversité des points de vue et des travaux de recherche, parfois contradictoires, dessine une réalité complexe. Il convient ainsi de réfléchir au mode de garde le plus adapté à la singularité de chaque enfant, en respectant les étapes de son développement et des apprentissages.

En France,une proportion importante d’enfants connaîtra dès ses premières années la collectivité au travers de lieux d’accueil très diversifiés. Les parents peuvent choisir entre un système de garde (nourrices, membre de la famille) et un système préscolaire (crèches, écoles maternelles). Parmi ces structures, « les classes passerelles » et les « jardins maternels » proposent des cadres souples, qui permettent une socialisation et une séparation des parents progressives, en fonction de la maturité de chaque enfant.

 Afin de faciliter l’entrée à l’école maternelle, il est ainsi important d’accompagner les enfants comme les parents, en créant des conditions d’éveil et de socialisation adaptées et en soutenant les parents dans l’exercice de la fonction parentale.

Publié le 18/10/2016 - CC BY-SA 4.0

Sélection de références

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