Portrait

Antoine Rigot, « Quelqu’un qui se dépasse… »

Arts

Sur la route (photo © Jean-Pierre Estournet)

La vie d’Antoine Rigot pourrait faire le succès d’un biopic hollywoodien. Heureusement, c’est le documentariste Guillaume Kozakiewiez qui en a filmé certains moments. Salto Mortale montre, au plus près, le combat quotidien d’un homme et d’un artiste pour retrouver l’usage de son corps. Aujourd’hui, l’ancien fildefériste continue d’avancer.

Antoine Rigot et sa compagne Agathe Olivier se sont rencontrés à l’École nationale du cirque Annie Fratellini. Il est acrobate, elle est funambule. Très vite, ils se rejoignent sur le fil et multiplient prouesses et récompenses : médaille d’argent au Festival mondial du cirque de demain en 1983, Grand prix national de cirque en 1993. Au milieu des années 1980, ils participent à la création du Cirque du Soleil, puis au début des années 1990, à la Volière Dromesko, spectacle inclassable qui se joue au milieu des oiseaux, sous la coupole transparente d’un chapiteau-volière. « Hirondelles d’un soir », écrit Igor Dromesko sur le programme, « un couple valse sur un fil ».
Avec pour scène un câble d’acier de 12 mm, Antoine et Agathe mélangent théâtre, danse et cirque et imaginent Amore Captus, ou l’histoire d’une rencontre entre un acrobate et une funambule. Dans la foulée, ils fondent en 1996 leur propre compagnie : Les Colporteurs. Premier spectacle des Colporteurs, Filao s’inspire du Baron perché d’Italo Calvino et fait dialoguer funambules et trapézistes. En 2000, pendant des vacances, un grave accident prive Antoine Rigot de l’usage de ses jambes et marque un brusque arrêt dans la trajectoire des Colporteurs. Assez vite, cependant, celui-ci s’engage dans un travail de mise en scène, puis participe à ses propres spectacles. Un fil sous la neige, Sur la route et Le Bal des intouchables, trois volets très différents, forment ainsi une trilogie autour de son expérience.

La trilogie du fil

photographie du Bal des intouchables
Le Bal des intouchables © photo Jean-Pierre Estournet

Créé en 2006, Un fil sous la neige est une performance circassienne inédite. La plupart du temps, le fil n’est qu’un numéro, souvent un solo, dans le déroulé d’un spectacle de cirque. Pour la première fois, il est l’agrès exclusivement utilisé pendant toute la représentation. Un fil sous la neige rassemble sept funambules venus d’univers différents. « Ce spectacle a réuni des artistes qui, souvent sans se connaitre, s’admiraient déjà», se souvient Antoine Rigot, « avec beaucoup de générosité, chacun donnait ses secrets, partageait son savoir».

Pendant une heure et demie, les fildeféristes évoluent simultanément sur sept fils, parallèles, superposés, croisés, placés à différentes hauteurs. Du sol, Antoine Rigot introduit le spectacle puis le conclut avec Agathe. À travers ses compagnons du fil, il raconte et partage son histoire.

Parmi eux, se trouve Sanja Kosonen. Trois ans plus tard, cette artiste finlandaise va interpréter avec Antoine Rigot Sur la route, un duo librement inspiré d’Œdipe sur la route d’Henry Bauchau. Durablement marqué par la lecture de ce roman, Antoine Rigot voit dans la figure d’Antigone, qui accompagne son père Œdipe, dans son errance, la représentation de l’énergie féminine, pour lui si précieuse. Avec sa démarche chaloupée, Antoine Rigot invente dans ce spectacle « l’étrange langage de son nouveau corps ».

C’est après avoir vu Sur la route que Guillaume Kozakiewiez contacte Antoine Rigot. Salto Mortale accompagnera la naissance du dernier volet de la trilogie : Le Bal des intouchables. Créé en 2012, le spectacle s’ouvre à d’autres agrès : trapèze, mât chinois, corde souple. Il réunit huit circassiens et quatre musiciens autour des questions de la différence et de la marginalité.

(Se) raconter des histoires

Chaque création est un nouveau défi. « À chaque fois, je me lance dans l’inconnu », reconnaît Antoine Rigot, « comme si, à chaque fois, c’était un départ à zéro. » Le prochain défi est de taille ! Sous la toile de Jheronimus, en tournée en 2017, s’inspire directement du Jardin des délices, le triptyque de Jérôme Bosch. Le synopsis (en cours d’écriture) s’appuie sur la composition du tableau. Moins marqué par le poids des dogmes religieux que d’autres peintures de l’artiste néerlandais, le tableau peut faire l’objet de multiples interprétations. Chaque détail trouve une correspondance dans l’imaginaire des Colporteurs et se trouve transposé dans une scène, un jeu de lumière ou un costume. « Certaines scènes dans le tableau ouvrent des possibilités clownesques », se réjouit Antoine Rigot, formé au départ aux cascades burlesques et à l’art de la reprise.

« Le burlesque était une dimension importante d’Amore Captus, je viens de là. Je le recherche tout le temps. Je rêve que le burlesque prenne plus de place dans nos spectacles. »

S’appuyant sur des références littéraires et artistiques, cherchant à construire une dramaturgie, les spectacles des Colporteurs restent pour autant des spectacles de cirque.

« Notre langage, c’est le corps. On ne cherche pas à imposer une histoire, on recherche une forme qui laisse le public libre de se raconter une histoire. Pour moi, l’art du cirque peut être une chorégraphie poétique. Ce qui me fait rêver, c’est lorsqu’un artiste dépasse sa technique, et qu’il est juste dans le plaisir du geste et du don. Quelqu’un qui se dépasse lui-même raconte déjà beaucoup. »

C’est sans doute ce que se sont dit les personnes qui ont vu, un soir, près de Montpellier, avant le début du spectacle, Antoine Rigot, sur un fil tendu à treize mètres de haut, traverser les cents mètres qui séparaient les sommets de deux chapiteaux. C’est encore plus sûrement ce que pensent tous les spectateurs de Salto Mortale.

Article paru initialement dans le numéro 19 du magazine de ligne en ligne.

NB : Une reprise est une petite intervention souvent burlesque ou clownesque qui permet l’installation d’un numéro ou le démontage d’un matériel.

Publié le 05/01/2016 - CC BY-SA 3.0 FR

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