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Appartient au dossier : Le télétravail, pour qui et pourquoi ?

Mesurer le travail

Le télétravail à marche forcée imposé par la crise sanitaire a fait perdre de nombreux repères aux travailleurs qui en ont fait l’expérience. Les modalités d’encadrement du travail ont, elles aussi, été bouleversées par l’exercice à distance. Entre obligation légale et organisation du travail, Balises fait le point sur les façons de mesurer le travail.

Hommes pointant au travail, 1914, photographie sépia
Hommes pointant, Musée de l’horlogerie, [CC BY 2.0] via Flickr

En économie, le travail est un facteur de production. Les travailleurs sont rémunérés en fonction de la durée de cette activité, de sa technicité et de sa valeur sur le marché de l’emploi.

L’emploi a un coût pour l’employeur. Ce dernier s’assure donc que le travail est bien effectué et cherche à ce que le temps de travail soit bien exploité, car de l’optimisation du facteur travail dépend la productivité et la rentabilité de son entreprise. Du côté des salariés, la mesure du travail permet de poser des limites et garantit une rémunération minimale et des droits. Le travail est donc une variable adaptable dans certaines limites posées par la loi.

Contrôler le temps de travail

Le temps de travail correspond au temps qu’une personne employée consacre à son employeur et pendant lequel elle est à sa disposition pour effectuer des tâches conformes à ses directives. Elle ne peut disposer de ce temps pour ses occupations personnelles. La durée de ce travail effectif est encadrée par la loi. Elle est fixée, à temps complet, à trente-cinq heures par semaine en France et entre trente et quarante heures hebdomadaires pour la plupart des pays industrialisés.

Il s’agit d’une référence permettant de poser des limites et de calculer la durée maximale des heures de travail consécutives, le droit au repos, le temps de restauration ou de pause, ou ce qui sera rémunéré en heures supplémentaires. L’aménagement des horaires de travail est encadré par le Code du travail, des conventions collectives ou des accords de branche, qui déterminent par exemple les compensations proposées pour le temps d’habillage ou les astreintes.

Lorsque plusieurs types d’horaires coexistent dans l’entreprise, l’employeur est tenu de mesurer les heures de travail de ses salariés et doit pouvoir produire des justificatifs. Ces informations sont tenues à la disposition de l’inspection du travail et des délégués du personnel pendant un an. Il peut s’agir de registres signés par l’employé ou renseignés par le responsable hiérarchique, des données produites par une pointeuse, de justificatifs d’absence ou de déplacements, une demande de congés, etc. L’entreprise est dispensée du relevé horaire ou hebdomadaire quand les horaires de travail sont les mêmes pour tous. Il suffit d’afficher les plages horaires de travail et de les déclarer à l’inspection du travail. Les employés doivent s’y conformer. Certains contrats de travail, pour les cadres essentiellement, prévoient des forfait jours ou forfait heures. Les bénéficiaires ne sont pas soumis à des plages horaires ou des jours de présence spécifiques pour effectuer leur travail.

Une décision de la Cour de justice européenne de mai 2019 somme les États membres d’étendre l’obligation de la mesure du temps de travail journalière et hebdomadaire à tous les employeurs, ce qui pourrait remettre en question les forfaits jours et obliger tous les employeurs à tenir des registres de présence plus précis.

Bien que nécessaires, ces mesures basées sur des plages de disponibilités ou de présence ne reflètent pas la réalité du travail.

Mesurer le travail effectué

L’objet et les modalités du travail varient selon l’entreprise, les tâches à effectuer, leur variété, la polyvalence exigée mais aussi le statut du travailleur : salarié, indépendant, cadre… 

Mesurer par la quantité de travail

Dans l’organisation du travail industriel, du type tayloriste, les tâches sont identifiées et le travail est divisé. Les gestes sont étudiés, des protocoles établis pour que l’humain accompagne le fonctionnement des machines en continu de façon optimale. Le travail peut également suivre le rythme de production depuis la Loi Travail de 2016 qui autorise la modulation des horaires hebdomadaires en fonction des besoins de la production ou de la saisonnalité de l’activité.

Le travail se mesure alors à l’aide de deux indicateurs objectifs : en temps de présence sur l’outil de travail et en terme d’unités de production.

Pour certains indépendants, le travail est mesuré à l’acte et rémunéré forfaitairement. Il est décorrélé du temps de travail. Par exemple, une infirmière libérale effectue un soin, en cabinet ou à domicile, selon un tarif forfaitaire, un médecin se rémunère à la visite, un livreur aux courses réalisées. Une part du  travail reste invisible : le temps passé à l’enregistrement administratif, la tenue de ses comptes ou celui passé en déplacement…

Pour la plupart des salariés, c’est le temps de travail hebdomadaire ou journalier qui atteste de leur fiabilité. La culture du présentéisme est très ancrée en France et une personne derrière son bureau est réputée au travail jusqu’à la fin de sa journée. Si elle reste après les horaires de travail, elle fait preuve de zèle et d’investissement. Son travail est contrôlé par son responsable hiérarchique qui vérifie sa présence à son poste de travail et qui procède à l’examen ponctuel des tâches confiées. 

Mesure par objectifs ou par mission

Les commerciaux et chargés de clientèle sont bien souvent soumis à des objectifs qui déterminent en partie leur rémunération et attestent de leur investissement professionnel.

Dans les sociétés de service informatique ou les sociétés d’intérim, des contrats temporaires peuvent être établis pour une durée estimée qui doit correspondre au temps nécessaire à la mise en œuvre d’un projet informatique ou d’une mission.

Les tâches et fonctions des salariés sont généralement définies dans une fiche de poste. Sans être une obligation légale, ce document constitue un référentiel auquel se rapporter en cas de conflit entre l’employé et l’employeur. L’employeur peut également mettre en place des entretiens d’évaluation afin de vérifier que les tâches ont bien été remplies et fixer de nouveaux objectifs qui entrent dans le cadre des fonctions de l’agent.

Le télétravail, révélateur de l’évolution du travail

femme en télétravail
École polytechnique sur FlickR, CC BY-SA 2.0

Le travail a beaucoup changé sous l’influence des innovations numériques. Il est devenu plus éclaté dans le temps et dans l’espace et le cadre professionnel se confond parfois avec la vie personnelle. Par ailleurs, le présentéisme et la surcharge de travail sont questionnés par des enquêtes récentes, dont celles de la DARES, organisme d’études du ministère du Travail. Certaines recommandent des rythmes différents voire allégés de travail pour une meilleure efficacité du travailleur. Le critère du temps de présence perd donc en pertinence pour mesurer le travail effectué.

Avec le télétravail, un nouveau pas est franchi : l’employé n’est plus sous surveillance visuelle.

De nombreuses entreprises avaient anticipé les mutations du travail et privilégié une culture du résultat, habituellement réservée aux cadres. Le salarié est autonome et responsable de la gestion de son temps et de ses moyens. Les tâches confiées sont listées et planifiées. Un contrôle de leur avancée est généralement prévu. Dans ces entreprises, l’organisation du travail a pu être transposée à distance pendant la période de télétravail imposée par la crise sanitaire.

D’autres n’y étaient pas préparées et ont reproduit leur moyens de contrôle de travail usuels, en posant des mouchards sur les ordinateurs des salariés ou en multipliant les appels téléphoniques par exemple. Le personnel encadrant a pu peiner à trouver sa place dans cette organisation, entre absence et omniprésence. Quant aux salariés, même ceux bien accompagnés par leur hiérarchie ont pu être déstabilisés par le bouleversement dans l’organisation de leur travail et de ses modalités d’encadrement. Ils ont pu ressentir l’obligation de justifier de leur implication par une forme de présentéisme virtuel, reproduisant le principe du contrôle par le temps de travail sous des formes nouvelles.

L’expérimentation du télétravail imposé a permis de faire prendre conscience aux salariés et à leur encadrement que les modalités du travail peuvent évoluer et que d’autres organisations sont possibles, même si elles ne sont pas forcément à la convenance ou à la portée de tous. Cette période particulière permet aussi de rappeler que les changements techniques ne feront pas évoluer le rapport au travail et à son organisation s’ils ne sont pas accompagnés par une réflexion humaine sur le sujet.

Publié le 02/06/2020 - CC BY-SA 4.0

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