Interview

Appartient au dossier : Cinéma du réel 2020

Mosco Boucault mène l’enquête

Cinéma

Mosco Boucault, Corleone, le parrain des parrains © Zek productions, 2019

Les films de Mosco Boucault présentent des personnages hors du commun qui se confient devant la caméra. Ces entretiens, basés sur une relation de confiance que le documentariste instaure, servent de matériau pour tisser le récit documentaire.
Alors que le festival documentaire Cinéma du réel 2020 lui consacre une rétrospective, Mosco Boucault parle à Balises de sa méthodologie d’enquête.

Comment choisissez-vous vos sujets d’enquête ?

C’est souvent une émotion livresque qui me guide. Je cherche alors à retrouver et à transmettre cette émotion. 
J’ai longtemps rêvé de faire un film sur les Brigades internationales en Espagne parce que j’avais été marqué, adolescent, par la lecture de L’Espoir d’André Malraux (1937) et de Pour qui sonne le glas d’Ernest Hemingway (1940). Je n’ai pas trouvé les témoins pour composer un récit documentaire et le projet ne s’est pas fait. Même chose avec la lecture de Hiéroglyphes d’Arthur Koestler (1954) et un projet sur les Kominterniens que je ne suis pas parvenu à agencer.

En revanche, la lecture d’Autocritique d’Edgar Morin (1959) sur l’envers de l’univers communiste a fait naître Mémoires d’Ex (1990). Celles d’On les nommait des étrangers de Gaston Laroche (1965) et de L’Affiche rouge de Philippe Ganier-Raymond (1975) sur la résistance des immigrés m’ont amené à réaliser Des « terroristes » à la retraite (1985). La Série noire de Marcel Duhamel a inspiré ma série Enquêtes de Police : Un crime à Abidjan (1998) et Philadelphie, la fusillade de Mole Street (1998). Ma passion pour Simenon m’a conduit à Roubaix, commissariat central, affaires courantes (2007). Et À visage découvert de Renato Curcio (1993) m’a mis sur la voie de Ils étaient les Brigades rouges (2011), des jeunes gens qui se référaient à la libération trahie de 1945 pour changer par les armes la société italienne en 1970.

Un commissaire de police interroge une jeune fille
Mosco Boucault, Roubaix commissariat central, affaires courantes © Zek productions, 2007 

Comment construisez-vous les entretiens que vous menez ?

Je conçois mes entretiens comme un flashback. Je remonte le temps pour essayer de comprendre le cheminement des protagonistes. Ensuite, je tresse les entretiens pour composer un récit documentaire collectif.

Je rencontre les personnages bien avant de commencer le tournage. Je passe du temps avec eux pour nous mettre en confiance. Comme beaucoup de mes collègues, je fais des tournages préparatoires avec des petites caméras d’amateur pour atténuer par la suite l’intrusion qu’est le tournage proprement dit.

Quel est votre positionnement pendant les entretiens ?

Je cherche surtout à créer une relation avec le personnage. Je n’essaie pas de lui arracher un témoignage mais je souhaite composer un récit avec lui. Le temps que l’on prend pour créer cette relation est essentiel. Petit à petit, l’entretien se transforme en récit. Pour Corleone, le parrain des parrains (2019), on m’avait accordé une journée d’entrevue avec l’homme de confiance de Salvatore Riina, Giovanni Brusca. J’en ai finalement obtenu sept. Une relation s’est créée, et perdure aujourd’hui encore.

Qu’est-ce qui fait qu’un personnage accepte de se livrer à vous ?

La caméra n’est pas un adversaire des personnages, comme on a tendance à le croire. Au contraire, elle peut être perçue comme un allié.
Sur le tournage d’Abidjan, au cours du violent interrogatoire du principal suspect, Abé, le commissaire Kouassi nous a demandé de partir. Il a dit : « Vous êtes l’ONU pour lui ». Nous avons continué à filmer, et Abé à résister. C’est peut-être ce qui explique qu’il nous a accordé un entretien par la suite. D’ailleurs, cela s’apparentait plus à une confession qu’à un entretien. Même sentiment avec Annie dans Roubaix commissariat central : elle me connaissait et s’est sentie rassurée par la présence de la caméra.

Dans d’autres situations, c’est mon « étrangeté » qui a favorisé l’ouverture. Avec les personnages de Philadelphie comme avec ceux de Corleone, le fait que je vienne d’ailleurs a favorisé l’approche. Si j’avais été une femme, je pense que ç’aurait été encore plus aisé et plus intense.

Policiers devant un immeuble
Mosco Boucault, Philadelphie, la fusillade de Mole Street © Elma productions, 1998 

Vous suivez souvent des policiers, pourquoi cette figure vous intéresse-t-elle ?

Le policier, comme le journaliste, est en quête d’une vérité. C’est une dynamique narrative qui m’a toujours attiré. L’enquête policière cherche à confondre les suspects pour les faire condamner. Le documentaire cherche à les comprendre pour, peut-être, les sauver.

J’ai toujours su gré au commissaire Kouassi comme à l’inspecteur Baker d’avoir eu le courage de me laisser m’entretenir, seul, sans surveillance, avec leurs suspects. Ces parenthèses m’ont permis de ne pas réduire un criminel à son seul crime, mais de le rattacher à moi, à nous, par sa part d’humanité. 

Publié le 11/03/2020 - CC BY-NC-SA 4.0

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