Portrait

Erik Satie

Musique

Portrait d'Erik Satie, via Wikimedia commons

Erik Satie. Un nom qui évoque généralement deux choses : les Gymnopédies, que chacun se fredonne dans la tête, et un visage, une silhouette de petit fonctionnaire, lunettes rondes, neutre.
Pour le reste ?
La mémoire d’un musicien, difficile à situer.
Une musique classique ? Une musique surréaliste, dadaïste ? Un farceur ? Un communiste alcoolique ?
2016 marque le 150e anniversaire de la naissance d’Erik Satie, l’occasion de découvrir le « résident d’Arcueil » et son monde de secrets, de pleins et de déliés, que le lecteur ou l’amateur de musique pourra percevoir au fur et à mesure des petites anecdotes qui émaillent la vie de cet artiste ayant traversé l’art de sa génération comme un marcheur tranquille, rentrant lentement, à la nuit tombée, des cabarets de Montmartre jusqu’aux quartiers populaires d’Arcueil, naviguant ainsi entre deux mondes.

L’enfance :1866-1887

«Je m’appelle Erik Satie comme tout le monde.»

Naissance en 1866, à Honfleur, le musée de cette ville balnéaire en témoigne encore aujourd’hui, d’un père traducteur et d’une mère d’origine écossaise. Il abandonne le C de Eric au profit d’un K, pour être plus celtique ? Viking ? Premier mystère.

Sa religion, d’abord anglican sous l’influence de sa mère. Après le décès précoce de cette dernière, on lui dira de devenir catholique et d’abjurer à 6 ans. Un mauvais souvenir ?
Monsieur Satie, dans les réunions politiques de la SFIO (Section française de l’Internationale ouvière), n’épargnera pas les curés.
Bon farceur, il deviendra plus tard maître de chapelle de sa propre Eglise, l’Église métropolitaine d’art de Jésus-conducteur, église dont il fut le fondateur et l’unique adepte. 

Après la mort de sa mère, il sera élevé par sa grand-mère à Honfleur.
La mort soudaine de cette grand-mère l’oblige à rejoindre son père à Paris, où il entrera au Conservatoire national de musique et effectuera sept années d’une scolarité peu brillante.

Impossible de démissionner. Seule solution, partir comme volontaire dans l’armée, ce qu’il fera en 1886, normalement pour trois ans. Mais après quatre mois, c’en est trop pour lui, et nouvelle pirouette pour échapper à sa condition : il s’expose durant toute une nuit au froid afin de contracter une congestion pulmonaire.
Ce qu’il réussit avec brio, se libérant ainsi de ses obligations militaires le 14 novembre 1887.

Les Gymnopédies et les Gnossiennes, aujourd’hui  chefs-d’œuvres reconnus du grand public, seront créées très rapidement, dès février-avril 1888. Il se déclarera Gymnopédiste pour se faire admettre au cabaret du Chat noir.

Erik Satie, Gnossiennes n°3, extrait, par Kim Kashkashian.

La période Montmartre : 1887-1898

«Un musicien médiéval et doux égaré dans ce siècle.»

Debussy, 27 octobre 1892.

S’ouvre pour Satie une période riche en rencontres artistiques et en collaborations. C’est le temps des cabarets et de la vie nocturne, des collaborations littéraires dans des revues à tirage confidentiel comme La Lanterne japonaise, ou La Revue blanche.

Ses fréquentations sont Victor Fumet, Contamine, Narcisse Lebeau, Alphonse Allais, Verlaine, Mallarmé, ou encore Debussy. Une rencontre toute Parisienne avec le Sâr Péladan  alias Joseph Aimé Péladan l’intronisera dans le mouvement artistique, symbolique et ésotérique de la Rose+Croix.
On joue alors ses créations au cours de fêtes et d’hommages à Wagner, il devient »Esotérik Satie », c’est ainsi que le surnommait  Alphonse Allais.


Grande surprise pour Satie en 1895 quand une inespérée rentrée d’argent de 7000 francs lui permet d’investir dans des brochures, papiers à en-tête de grande qualité, matériel de calligraphie, tampons, sceaux gravés d’après ses propres dessins…pour éditer son Cartulaire de l’Église métropolitaine d’art de Jésus-conducteur. Deux  numéros seront édités, pour le reste, il enverra des bulles d’excommunication à des cibles représentatives du tout Paris intellectuel.
Il affirme son image, en s’achetant sept costumes identiques, en velours de couleur moutarde, gagnant ainsi le surnom de «Velvet Gentleman».

Portrait d'Erik Satie
Portrait d’Erik Satie,  via Wikimedia commons .

Arcueil-Cachan : 1898-1925

«J’organise mon échec»

Victime de soucis d’argent continus, et après un bref séjour dans son «placard» de trois mètres sur trois à Montmartre, il s’installe en octobre 1898 à Arcueil à la maison dite des Quatre cheminées, au 34 Rue Couchy. Le logement vient d’être libéré par le clochard Bibi-la-purée, parent de Rodolphe Salis et ami de Verlaine.
Il ne nouera pas de liens rapidement avec la population locale, et continuera à se rendre régulièrement dans les cabarets de Montmartre, commençant à cultiver un penchant pour l’alcool.

«C’est fou combien de gens sont disposés à vous offrir un verre ! En revanche, vous ne trouverez personne pour vous lester un sandwich ».

Il continuera cependant à écrire et à produire de la musique, alors que ses Gymnopédies commencent à être jouées aux États-Unis, le 4 janvier 1905, orchestrées par Debussy.
Souvent mis en contradiction au regard de sa culture et de sa formation musicale, il s’inscrira, à 39 ans, au cours de contrepoint d’Albert Roussel à la Schola Cantorum. « Si je rate, tant pis. Cela voudrait dire que je n’avais rien dans le ventre. » Vingt ans après les Gymnopédies, il recevra son premier diplôme, à l’âge de 42 ans, avec la mention très bien, délivré par la Schola, et indiquant que l’élève Satie «[…] remplit les conditions requises pour se livrer exclusivement à l’étude de la composition ».
Mais il n’en peut plus du velours, qu’il ne peut « plus voir même en peinture ». Nouvelle tenue, en multiples exemplaires identiques, il choisira son uniforme de petit fonctionnaire, veston sombre, faux-cols, chapeau melon et parapluie. L’image que l’on garde de lui aujourd’hui.


En 1908, il se rapproche de la population d’Arcueil, contribue à la fondation du Patronage laïque d’Arcueil-Cachan et organise lui même la fête d’inauguration pour l’événement. Il se proposera pour emmener des enfants en vacances, et participera aussi à la création de la société historique « les Amis du vieil Arcueil ».
Il recommencera à fréquenter les cafés parisiens, le Montparnasse cette fois, et tissera des liens avec Tristan Tzara, Picasso, Ravel un peu, Jean Cocteau, Diaghilev

Mais ses revenus sont toujours faibles, et dans l’ignorance de ses amis, il mène une vie de pauvreté et de dénuement. Ses seules sources de revenus stables sont quelques cours de musique, et des musiques qu’il fera jouer dans certains cabarets, « de rudes saloperies » selon ses dires.
Il collaborera quelques temps, via une rubrique, au quotidien l’Humanité. Mais, déçu des réactions récoltées (« mes amis communistes sont, en art, des bourgeois déconcertants ») il renonce à poursuivre.
Il pose sa candidature dans la section SFIO d’Arcueil, sans victoire électorale cependant.
Une nouvelle génération d’artistes parisiens émerge, les Breton, Auric, Delaunay, Léger, Eluard, Brancusi.
Satie est connu, respecté, mais pas vraiment intronisé. Il sera photographié par Man Ray en février 1922.
Un groupe d’admirateurs et de disciples sera fondé, que l’on nommera l’Ecole d’Arcueil. Henri Sauguet, Roger Désormière, Henri Cliquet-Pleyel, Maxime-Benjamin Jacob et Jacques-Benoit Méchin forment le noyau dur, autour du maître. Le groupe sera rapidement dissous après la mort de Satie.

En 1925, Satie souffre d’une cirrhose hépatique « soigneusement cultivée », selon ses proches.
Ses amis Milhaud, Braque et Derain se relaient pour lui assurer des ressources régulières et une nourriture correcte. On veut lui éviter de rentrer chaque soir à Arcueil à pied, comme il en avait l’habitude. Il sera logé un temps dans des hôtels parisiens, puis à l’hôpital de Saint-Joseph, où il passera ses derniers jours avant de s’éteindre le 1er juillet 1925.
A son chevet Picasso, Survage, Robert Caby. A son enterrement, cette élite parisienne côtoiera pour la première fois les voisins de banlieue d’Erik Satie, au cimetière d’Arcueil.


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Partition d’Erik Satie,  via Wikimedia commons 

1925-2016 : Fortune, redécouverte et admiration.

« Certains artistes veulent être enterrés vivants. On a bien le temps d’être dans un cimetière. Mon rêve : être joué n’importe où, mais pas à l’opéra. »

Commence alors pour les plus proches de Satie, la découverte de son appartement. Madeleine Milhaud et Roger Désormière entrent dans un véritable taudis, une pièce encombrée de deux pianos accrochés l’un à l’autre, et d’une multitude de lettres reflétant une correspondance immense. Grand admirateur du style épistolaire, Satie, toujours dans un format très court de carte de visite, enverra de nombreuses lettres à la calligraphie minutieusement travaillée. Les retours de ses correspondants, par contre, ne sont pas ouverts. Les lettres s’entassent, vierges, en d’immenses paquets. Même un tableau, portrait de lui, sera seulement entrouvert dans un coin, avant de le remiser. On découvre même de sa main des lettres qu’il s’envoya à lui-même, pour se donner rendez-vous.


Erik Satie aura une fortune riche et sera source d’inspiration pour toute une génération de musiciens, qui découvrira avec délices ses partitions annotées pour distraire l’interprète seulement, comme « jouer comme un rossignol qui aurait mal aux dents » dans Embryons désséchés.
De son vivant, Satie n’aura pas joué le premier rôle. Des mouvements avant-gardistes, dadaïstes et surréalistes, il aura été la bande-son, la caution musicale. Il en aura été refusé des institutions académiques.
John Cage sera sidéré de découvrir qu’avant lui, il aura lui même «arrangé» son piano, en glissant une feuille sous les cordes pour lui donner un son de paille. Combien d’autres surprises encore peut receler le marcheur nocturne, du nord de Paris à sa banlieue sud, des Gymnopédies au patronage laïque d’Arcueil-Cachan.

«Tout le monde vous dira que je ne suis pas un musicien. C’est juste.»

Vienna art Orchestra, the minimalism of Erik Satie
Vienna art orchestra, The minimalism of Erik Satie, 1984.
Vienna art Orchestra, Gnossienne n°3, extrait.

 

Publié le 12/12/2016 - CC BY-SA 3.0 FR

Sélection de références

Erik Satie : correspondance presque parfaite

Erik Satie
Fayard : ; IMEC, 2000

À la Bpi, niveau 3, 78 SATI 

Erik Satie

Romaric Gergorin
Actes Sud, 2016

À la Bpi, niveau 3,  78 SATI

Les Raisonnements d'un têtu ; suivi de Mémoires d'un amnésique

Erik Satie
Voix d'encre, 2013

À la Bpi, niveau 3, 78 SATI 

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