Appartient au dossier : 40 ans / 40 romans
40 ans / 40 romans : les années 2000
Quoi de commun entre la veine fantastique d’Haruki Murakami, le roman poétique – et politique – de Roberto Bolaño ou les visions post-apocalyptiques de Cormac McCarthy ?
Pas grand-chose en réalité, si ce n’est une certaine idée de la création romanesque, comme outil de compréhension du monde et de soi-même… et le recours à une forme mouvante et mondiale, appelée roman, qui ne cesse de se réinventer, faisant écho à la phrase célèbre de Somerset Maugham : « Il y a trois règles à respecter pour écrire un roman. Malheureusement, personne ne les connaît ».
Publié le 18/09/2017 - CC BY-NC-SA 4.0
Sélection de références
Le Cri du sablier
Chloé Delaume
Gallimard, 2003
À l’origine il y a le drame, l’assassinat de la mère par le père, qui se suicide aussitôt. L’événement laisse Chloé Delaume, alors enfant, aphone, aphasique. Plusieurs décennies plus tard, l’écriture devient le moyen de laver la souillure, de tuer enfin figurativement l’image du père.
Longue profération, Le Cri du sablier bouscule les mots, les transforme en matière mouvante, magmatique, à même de faire sentir les répercussions sans fin de l’onde de choc provoquée par le crime paternel. D’une profonde singularité, l’œuvre de Chloé Delaume transforme le matériau personnel en geste mythologique, ce qui en fait un des projets autobiographiques les plus fascinants de notre époque.
À la Bpi, niveau 3, 840″20″ DELA 4 CR
Persépolis
Marjane Satrapi
L'Association, 2007
Fille unique d’une famille aisée et progressiste, la petite Marjane n’apprécie pas du tout les changements que lui impose en 1980 la révolution islamique iranienne : port du voile, séparation des filles et des garçons… Du haut de ses dix ans, elle observe les adultes autour d’elle. Enflammée – elle se rêve prophète ! -, elle voudrait participer aux manifestations. Mais, les emprisonnements des amis et des proches se multiplient et, bientôt, la guerre avec l’Irak éclate.
« Dessiné à hauteur d’enfant », Persepolis connaît dès sa sortie, en 2000, un succès exceptionnel pour une bande dessinée, tant en France qu’à l’étranger. L’histoire attachante de cette fillette et de sa famille est servie par un graphisme particulièrement expressif, en noir et blanc.
À la Bpi, niveau 1, RG SAT P1
Une histoire d'amour et de ténèbres
Amos Oz
Gallimard, 2004
« Mon père avait une faiblesse pour le sublime, et ma mère une propension pour la résignation et la mélancolie. »
Dans Une histoire d’amour et de ténèbres, l’auteur convoque tous les personnages de son enfance, parents et grands-parents, famille, voisins et amis, en re-créant un monde disparu. Il mêle son présent au souvenir des siens, européens convaincus ayant fui l’antisémitisme pour s’installer à Jérusalem, où l’émigration ne ressemble pas au paradis annoncé (intellectuels polyglottes condamnés à parler un hébreu hésitant, à exercer des tâches ingrates, à vivre dans un certain dénuement…).
Ce texte inclassable, à la structure complexe, composé de récits enchâssés, d’épisodes drôlatiques et de scènes émouvantes ou pathétiques, mêle la chronique intime et l’Histoire. Le suicide précoce de la mère d’Amos, souvent évoqué au cours du roman, clôt ce récit magistral d’une enfance aux premiers jours de l’État hébreu.
À la Bpi, niveau 3, 892.4 OZ 4 SI
Sarinagara
Philippe Forest
Gallimard, 2006
En 1997, dans L’Enfant éternel, Philippe Forest a raconté l’insupportable et inconcevable douleur de voir mourir sa fille de quatre ans. Le titre de ce livre de deuil impossible était emprunté à Mallarmé qui lui aussi perdit un enfant. Installé avec sa femme au Japon, Philippe Forest se tourne à nouveau vers des auteurs qui ont traversé l’extrême douleur : le poète Kobayashi Issa et le romancier Natsume Sôseki ont perdu leurs enfants. Le photographe Yamahata Yosuke a été le premier, le 10 août 1945, à Nagasaki, à photographier les corps calcinés.
Si le chagrin ne s’efface pas, Philippe Forest trouve pourtant (sarinagara en japonais) au Japon une forme d’apaisement. Le Japon, écrit-il, « fut pour nous le pays d’après, celui où survivre à la vérité reprenait un sens, où il ne s’agissait plus de choisir entre le souvenir et l’oubli mais où l’oubli devenait la condition mystérieuse et nouvelle du souvenir. »
À la Bpi, niveau 3, 840″19″ FORE 4 SA
Beaux seins, belles fesses
Mo Yan
Seuil, 2004
Lorsque Shangguan Lushi donne enfin naissance à un garçon, après avoir élevé sept filles, c’est une véritable délivrance pour toute la famille. Jintong, par sa veulerie et son indécrottable manie d’être accroché aux seins de sa mère, ne sera certes pas à la hauteur des attentes de la famille ; mais lui et ses sœurs traverseront ensemble cinquante ans d’Histoire de la Chine contemporaine, affrontant mille épreuves infligées à la famille.
Rocambolesque, parcourant toute la gamme du registre épique au burlesque, Beaux seins, belles fesses dresse le portrait au vitriol d’un pays en proie à toutes les formes de violences. Conjuguant au folklore de la Chine rurale quelques touches de réalisme magique qui lui ont souvent valu d’être comparé à Cent ans de solitude, ce roman-fleuve, malgré sa forme baroque et monumentale, reste toujours à hauteur d’homme et rend un hommage puissant à un peuple balloté par les cahots de l’Histoire.
À la Bpi, niveau 3, 895.1 MOYA 4 FE
L’Intérieur de la nuit
Léonora Miano
Pocket, 2006
Même si elle vient assister sa mère, qui est en train de mourir, Ayané n’est pas la bienvenue dans son village natal. Elle, qui a quitté son pays pour la France, peine à y retrouver ses racines. Tandis qu’elle cherche sa place dans ce monde qui la rejette, une sanglante révolte contre le pouvoir politique en place s’organise…
Dans ce pays d’Afrique imaginaire, c’est le spectre des génocides et des guerres civiles qui plane. Ayané devra faire face à cette menace sourde tout en tentant de se réapproprier les codes qui régissent ses relations avec les autres femmes du village. A la confluence des représentations occidentales de l’Afrique et de l’authenticité des coutumes camerounaises, Léonora Miano prend à bras le corps, dans le magistral premier roman qu’est L’Intérieur de la nuit, les enjeux politiques nés de la brutalité des colonisations et interroge avec acuité la place des femmes dans les sociétés traditionnelles.
À la Bpi, niveau 3, 846.3 MIAN
Kafka sur le rivage
Haruki Murakami
Belfond, 2005
Les héros d’Haruki Murakami franchissent souvent une frontière qui sépare le monde réel d’un monde parallèle où ils recherchent une vérité qui n’appartient qu’à eux… Kafka sur le rivage est peut-être son plus beau roman, qui joue sur ce passage d’un monde à l’autre, dans un registre à la fois tragique, poétique et ironique. Deux quêtes initiatiques s’y mêlent, celle d’un jeune adolescent abandonné par sa mère, poursuivi par une terrible prophétie, et celle d’un vieillard, qui sait parler aux chats et dont l’apparente candeur masque une sagesse singulière. Au bout de leur voyage, se trouve la porte qui sépare deux mondes, le nôtre et un monde fantastique, symbolique et spirituel.
Tissant étroitement réalisme et fantastique, culture occidentale et culture japonaise, l’écriture limpide, inventive et extrêmement poétique de Murakami absorbe totalement le lecteur dans son univers si particulier. Humour, amour, sagesse, folie, tous les ingrédients d’une trame romanesque d’une extraordinaire créativité sont réunis dans ce roman jubilatoire. Il faut plonger complètement dans ces histoires enchevêtrées de nos deux héros pour en apprécier toutes les trouvailles, en décrypter tous les symboles et continuer d’en imaginer le sens que l’auteur, avec une très grande maîtrise, suggère mais laisse ouvert. Quel que soit le sens que chaque lecteur leur attribuera, le souvenir de la merveilleuse bibliothèque Komura où trouve refuge le jeune Tamura, ou celui des rencontres du vieux Nakata -chats, fantômes ou humains- laisseront en lui une empreinte durable, souriante et mélancolique…
Auteur japonais aux influences occidentales prégnantes, Murakami est nourri de musique, de littérature et de philosophie. Volontairement anti-conformiste, refusant de faire entrer la littérature dans des cases, mêlant tous les genres, il a créé une œuvre particulièrement foisonnante, parfois déroutante, mais toujours passionnante.
À la Bpi, niveau 3, 895.6 MURA.H 4 UM
2666
Roberto Bolaño
C. Bourgois, 2008
Avec 2666, l’écrivain chilien Roberto Bolaño nous offre une étourdissante chevauchée dans les mondes d’hier et d’aujourd’hui tendue vers d’inévitables apocalypses où l’histoire – la grande – qu’elle soit celle des Aztèques, de la Seconde Guerre mondiale, de la traversée contemporaine de la violence en Amérique latine ou du combat des Black Panthers est le théâtre d’expériences confuses, multiples et précaires où l’individu se trace une route indécise.
Actrices et acteurs tantôt jouets de forces impondérables ou brillants, par éclats, de leurs singularités, qu’ils soient professeur d’université, boxeur malmené, général priapique d’armée en attente de déroute, baronne aux vies aventureuses, journaliste-détective sur les pas d’assassinats de femmes inexpliqués… entrecroisent leurs destins.
Figure de cette composition carnavalesque, Benno von Arcimboldi, écrivain à l’existence douteuse construite sur les emprunts, totem à l’horizon qui régule les espoirs et les désirs, est une pierre d’angle prolifique car « il est nécessaire qu’il y ait beaucoup de livres, beaucoup de beaux sapins, pour qu’ils veillent du coin de l’œil le livre qui importe réellement, la foutue grotte de notre malheur, la fleur magique de l’hiver ».
2666 est l’ultime signature romanesque de Roberto Bolaño. L’œuvre est inachevée par le décès de son auteur. Elle en tire peut-être une subtile vaillance qui suspend l’épuisement, laisse de l’air et fait poésie.
À la Bpi, niveau 3, 868.49 BOLA 4 DO
La Route
Cormac McCarthy
Ed. de l'Olivier, 2008
On ne sait pas vraiment ce qui s’est passé, ce qui a jeté l’homme et son jeune fils sur les routes. Toujours est-il qu’ils marchent, depuis des années, en direction du sud. Ils poussent un caddie où sont rassemblées leurs affaires. Ils ont froid et faim. Il leur faut trouver les moyens de survivre dans ce pays dévasté, d’échapper aux autres hommes qu’ils croisent parfois et qui sont de potentiels anthropophages. Dans cet environnement hostile, l’amour mutuel entre le père et l’enfant reste la dernière barrière face à la barbarie.
Roman post-apocalyptique à l’écriture envoûtante, La Route ravive chez le lecteur une angoisse primitive et le marque durablement.
À la Bpi, niveau 3, 821 MCCA.C 4 RO
Le Village de l’Allemand
Boualem Sansal
Gallimard, 2009
À l’origine, il y a deux frères, Rachel et Malrich, nés d’une mère algérienne et d’un père allemand. Élevés ensemble dans une cité de banlieue parisienne, l’aîné a réussi son intégration sociale là où l’autre ne jure que par la révolte. Dès les premières pages du récit, pourtant, Malrich nous apprend que Rachel a mis fin à ses jours. Le fondement de cet acte, inexpliqué et violent, se trouve au croisement des journaux intimes des deux frères, entre secret familial et barbarie collective.
Au cœur du Village de l’Allemand, il est une voix qui s’élève : celle, brûlante et insoumise, de l’écrivain. En reliant la Shoah (sujet tabou en Algérie), la guerre civile algérienne et la situation des banlieues françaises, Boualem Sansal trace une histoire frontale des grandes ignominies. Du nazisme à l’islamisme, tous les fanatismes font des ravages : il y a urgence à les dire, les dénoncer, les combattre.
À la Bpi, niveau 3, 846.1 SANS 2
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