Les figures du soldat dans les monuments commémoratifs
D’hier à aujourd’hui, les figures commémoratives du soldat restent les mêmes, gravées dans la pierre ou le bronze, mais convoquent des significations différentes. Quelle histoire portent ces corps sculptés ? Quels témoignages laissent-ils aux générations actuelles ? Comment perpétuons-nous ces hommages aux soldat·es ? Balises tente de décrypter ces figures à l’occasion de la projection du film Les Sentinelles de l’oubli de Jérôme Prieur en octobre 2024 au Centre Pompidou.
Une lecture de la guerre sur le corps des poilus
« Les monuments ne montrent pas que la guerre, ils ne font pas que célébrer les héros. Les statues contiennent l’endurance, la résignation, la colère, la douleur. »
Les Sentinelles de l’oubli, Mélisande Films, ECPAD / LCP, 2023
Dans le documentaire Les Sentinelles de l’oubli (2023), le réalisateur Jérôme Prieur filme de près les monuments aux morts et notamment les corps des soldats de pierre. Il s’arrête sur des détails, des gestes présents sur les sculptures, qui racontent souvent le patriotisme, mais aussi les traumatismes vécus sur le Front pendant la Première Guerre mondiale.
« Plus de trente mille fois, en France, on a gravé la pierre ou fondu le bronze, on a honoré le sacrifice de ces un million cinq cent mille hommes auxquels le ministère des Pensions, des Primes et des Allocations de Guerre avait accordé la mention “Mort pour France” », rappelle l’historienne Annette Becker dans son ouvrage Les Monuments aux morts. Mémoire de la Grande Guerre(1991). Chacune des 35 498 communes métropolitaines et ultramarines a, en effet, érigé son mémorial, avec l’aide des subventions de l’État, mais aussi grâce aux dons des habitant·es, pour que les figures des soldats soient présentes dans l’espace public et permettent aux générations suivantes de se souvenir.
Derrière les représentations, des choix politiques
En fonction de la couleur politique des communes, les corps des soldats symbolisent tantôt la glorification des héros qui ont su donner leur vie, tantôt la dénonciation de la guerre. L’écrivain Alexandre Vialatte (1901-1971) décrit d’ailleurs les choix municipaux à l’origine des représentations des soldats dans son roman Battling le ténébreux (1928) :
« Majorité réactionnaire ? J’offre le modèle numéro 4, le poilu debout, invincible, victorieux. Majorité rouge ? Je préconise le 4 bis, le soldat mourant, le cadavre, la guerre sans compensation. »
En Isère, à La-Côte-Saint-André, un soldat tête haute, main sur le cœur, lançant une grenade, adossé à une colonne surmontée d’un coq gaulois, glorifie l’esprit de sacrifice des hommes morts pour la France, tandis que la paysanne au travail rappelle l’engagement des femmes à l’arrière. Cette sculpture signée Alexandre Maspoli, commandée en 1919 par le maire René Sautreaux, glorifie « l’héroïsme et le travail pour la victoire ». À l’inverse, à Château-Thierry, dans l’Aisne, un cadavre à plat ventre, la tête dans la boue, suggère l’atrocité des conditions de vie et d’agonie. De même, dans Les Fantômes de Paul Landowski, monument commémoratif de la bataille de la Marne érigé à Oulchy-le-Château (Aisne), la fatigue et l’anéantissement sont imprimés sur les visages des poilus. « Autour de ces grands spectres, la terre s’éboule, s’entrouvre. Et ils réapparaissent debout, un peu incertains, les yeux clos. C’est tout », écrit dans ses carnets, en 1916, le sculpteur traumatisé par la guerre.
Les monuments aux morts constituent un témoignage des pertes humaines, des horreurs vécues par les soldats, mais aussi des douleurs ressenties par les familles des morts aux combats. Le sculpteur breton René Quillivic, par exemple, représente les épouses et mères en pleurs. Il s’est fait « le spécialiste régional de la détresse », selon Annette Becker. Pour symboliser la souffrance, l’artiste a représenté, toute ridée, l’une des habitantes de la ville de Fouesnant les plus meurtries par le deuil, Marie-Jeanne Kérangel, qui a perdu trois fils à la guerre.
Les monuments aux morts sont bien, comme l’affirme Jérôme Prieur dans Les Sentinelles de l’oubli, « des sarcophages pour enfouir les chagrins, pour continuer à se souvenir, pour parvenir à oublier », une sorte de pont entre hier et aujourd’hui, une invitation à tirer des leçons de l’histoire.
Un poilu symbole de la guerre en France
« On ne fait plus attention à eux, pas plus qu’aux panneaux de signalisation ou aux poteaux électriques. Ils ornent les places de village, ils sont au pied de la mairie, ils décorent le chevet des églises. Ces sentinelles, c’est comme un musée invisible ouvert à tous vents », constate Jérôme Prieur dans son film. Les collectivités territoriales considèrent effectivement ces monuments comme un patrimoine et une attraction culturelle. Les directions régionales des affaires culturelles (DRAC) travaillent depuis 2007 à son recensement et à sa reconnaissance, pour sa valeur historique, mémorielle et/ou artistique. 51 496 monuments commémoratifs de toutes les guerres sont recensés sur la base du patrimoine de guerre (consultée en octobre 2024). Certains d’entre eux ont même intégré les bases architecturales du ministère de la Culture.
Peu d’édifices commémoratifs ont été construits pour les conflits qui ont suivi la Grande Guerre. Bien souvent, les noms des soldats des conflits ultérieurs ont été ajoutés sur ceux qui ont été érigés pour se souvenir de la guerre de 14-18. Les monuments devenus polyvalents, la figure du soldat mort pour la France est donc le plus souvent un poilu, pétrifié pour l’éternité dans la conception de la guerre qu’avait le commanditaire de l’œuvre. Cela a pu se faire parce que, comme le rappelle Bruno Rivals dans Quand les monuments aux morts racontent la Grande Guerre (2019) : « L’érection des monuments obéit à un certain nombre de règles tacites, toujours respectées, y compris pour ceux jugés pacifistes, cet adjectif possédant par définition une connotation émotionnelle et idéologique : […] pouvoir s’inscrire dans le temps, tant sur le plan de l’esthétique que de la compréhension, donc en restant dans des schémas mentaux généraux, populationnels ou archétypaux (ainsi un coq sera toujours symbole de la France, même encore dans 200 ans), en présupposant “l’existence d’une réceptivité politico-sensible, qui est restée relativement homogène au cours des 150 dernières années”. »
De nouvelles figures de soldats
Les discours officiels du 11 novembre, prononcés au pied de ces monuments figés dans le temps, mentionnent d’autres sujets pour faire écho à l’actualité ou aux mort·es des autres guerres. La cérémonie se dirige progressivement vers un hommage au sacrifice des soldat·es français de toutes les guerres. C’est peu après la mort du dernier poilu, Lazare Ponticelli (en 2008 à 110 ans), que le président Sarkozy annonce dans son discours du 11 novembre 2011, la transformation de l’anniversaire de l’Armistice mettant fin à la guerre de 14-18 en « commémoration de tous les morts pour la France ». Le poilu, juché sur les monuments, reste la sentinelle universelle des villages, mais n’est plus qu’un soldat parmi les quatre générations de mobilisés morts pour la France.
La construction de monuments commémoratifs de la Grande Guerre a ainsi donné une visibilité à tou·tes les soldat·es morts pour la France. Jusque-là, seules les victoires militaires étaient honorées et seul le nom des officiers était mentionné.
Depuis 1962, la France est engagée dans des opérations extérieures dans lesquelles des soldat·es perdent la vie. Dans ces contingents composés uniquement de professionnel·les, les victimes sont moins nombreuses qu’en temps de guerre, mais méritent tout autant un hommage. Le législateur a donc voté une loi en 2012 pour que leurs noms soient inscrits sur les monuments aux morts communaux. Ils disposent désormais de leur propre mémorial au parc André-Citroën à Paris, inauguré le 11 novembre 2019. Le monument représente six soldats, dont une femme, dans des uniformes différents, portant un cercueil invisible. Une version très contemporaine et très institutionnelle des soldat·es mort·es pour la France.
Après la Première Guerre mondiale, toutes les communes de France ont érigé un monument de ceux qu’elles avaient perdus. Ces œuvres présentent un double témoignage, sur le déroulement de la guerre et sur les mentalités des survivants. Si les hommes sont avant tout représentés dans leur rôle de combattant, d’autres messages apparaissent : l’enracinement dans l’histoire de France, les souffrances des civils, des femmes en particulier, la ferveur religieuse et patriotique, mais aussi la haine de la guerre. Monuments aux morts, monuments commémoratifs, cimetières, nouvel art né en réponse au conflit extraordinaire que fut la Première Guerre mondiale, font partie intégrante de notre patrimoine. Si certains de ces monuments furent simplement achetés sur catalogue, de véritables œuvres d’art furent aussi commandées aux meilleurs sculpteurs de l’époque, tels Maillol ou Bourdelle. (Quatrième de couverture)
Sélection de monuments commémoratifs évoquant la création de la France du 20ᵉ siècle à travers l’architecture des lieux de remerciement de la Nation à ses enfants, entre deuil et mémoire.
Retrace les trois années de démobilisation qui ont suivi l’armistice du 11 novembre 1918 en France et la réadaptation difficile des combattants à la vie civile.
Cet article vise à explorer les débuts du culte du souvenir de la Grande Guerre en se focalisant sur les cérémonies civiques et religieuses qui ont eu lieu au cours des quatre années du conflit. Il tente de mettre en avant les enjeux de la commémoration pendant la guerre en interrogeant d’un côté, les relations entrecroisées entre le culte des morts et le travail du deuil et, de l’autre, celles entre le sacrifice des morts et la culture de guerre, c’est-à-dire les constellations d’images et les schémas de pensée qui ont permis la justification de la guerre. Dans cette perspective, nous plaçons l’émergence du culte du souvenir des morts de la Grande Guerre sous le prisme de la mobilisation nationale et de la guerre totale. (Extrait de l’article)
Le site du bureau de l’Action pédagogique et de l’Information mémorielles (BAPIM) pour promouvoir l’actualité mémorielle et proposer des ressources pédagogiques.
Une base collaborative éditée par le laboratoire UMR CNRS IRHiS (Institut de Recherches historiques du Septentrion. Université de Lille), en collaboration avec le ministère des Armées et certains de ses opérateurs, ainsi que les Rencontres de la photographie Arles, Canopée… La base recense et documente 53 503 monuments aux morts pour la France à travers le monde. Elle propose aussi une carte, un accès par auteur·rice du monument et un blog.
« Pour le commerce, la guerre présente beaucoup d’avantages, même après. »
Sur les ruines du plus grand carnage du 20e siècle, deux rescapés des tranchées, passablement abîmés, prennent leur revanche en réalisant une escroquerie aussi spectaculaire qu’amorale. Des sentiers de la gloire à la subversion de la patrie victorieuse, ils vont découvrir que la France ne plaisante pas avec ses morts…
Fresque d’une rare cruauté, remarquable par son architecture et sa puissance d’évocation, Au revoir là-haut est le grand roman de l’après-guerre de 14, de l’illusion de l’armistice, de l’État qui glorifie ses disparus et se débarrasse de vivants trop encombrants, de l’abomination érigée en vertu. (Extrait du quatrième de couverture)
À la Bpi, niveau 2, 840″20″ LEMA.P 4 AU
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