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La mue du documentaire animalier

Blockbuster, plaidoyer écologique, film contemplatif… le cinéma documentaire sur les animaux se diversifie et se complexifie. Pour accompagner le cycle « Nous & les autres animaux », à la Bpi jusqu’au 2 décembre 2024, Balises vous propose le panorama d’un genre en pleine mutation.

Photo en noir et blanc, représentant un lion, posant pour un tournage de film. Il est assis sur un banc, et regarde la caméra tenue par un homme. Autour de cet homme, des projecteurs de cinéma, et trois autres hommes qui observent la scène. La photo semble avoir été prise durant la première moitié du 20<sup>e</sup> siècle, au vu des vêtements des personnages et du matériel cinématographique.
© Depositphotos.com, tous droits réservés (contributeur : everett225)

Le documentaire animalier « classique », une fable ?

Suivre une famille de suricates dans le désert du Kalahari, assister à la reproduction des requins blancs dans l’océan Atlantique : le documentaire animalier dit « classique » est le compagnon parfait des dimanches après-midi en famille devant la télévision ! Empreints d’anthropomorphisme, ces films dépeignent la faune sauvage en lui prêtant des traits humains : de la sollicitude maternelle d’une femelle kangourou à la rivalité entre frères léopards. Ce type de documentaire a toujours fait les beaux jours des diffuseurs tels que la BBC ou FranceTV. Pourtant, il apparaît très formaté dans son contenu comme dans sa forme : approche pédagogique, utilisation des voix off, interviews de spécialistes, etc. Le parangon du genre est le documentaire qui suit un groupe de lions ou une famille de baleines dans d’extraordinaires odyssées. Mais depuis quelques années, de petits animaux, moins « glamour », tirent leur épingle du jeu : batraciens et insectes sont les nouvelles stars, à l’image de la série documentaire de David Attenborough diffusée en 2023 sur la BBC, Big Little Journeys (2023).

« L’animal le plus… » : le blockbuster animalier

Parmi les dix premiers succès du box-office mondial, catégorie documentaire, figurent quatre films animaliers, dont La Marche de l’empereur (2005) de Luc Jacquet. Un succès public qui inscrit le genre du côté du spectaculaire, avec des moyens et une esthétique dignes des plus grands blockbusters (voix off de stars, actions, rebondissements, images saisissantes…). En France, le film documentaire sur les animaux s’est très tôt développé pour le grand écran. Dès 1956, Le Monde du silence, réalisé par Jacques-Yves Cousteau et Louis Malle avec un équipement de pointe, obtient la Palme d’or au Festival de Cannes. Sur petit écran, les films documentaires animaliers connaissent un succès grandissant. Diffusés en prime time, ils s’adressent à une très large audience. Les plateformes de vidéo à la demande suivent le mouvement, avec la production de documentaires à très gros budget, comme Our Planet, une des séries les plus regardées en 2019 sur Netflix.

Un déploiement de moyens pour des productions coûteuses qui doivent rencontrer le public le plus large possible. Quitte à « truquer » le réel, en faisant appel par exemple à des « animaux imprégnés » (élevés en contact avec des humain·es), que l’on fait passer pour sauvages. Ou à mettre l’accent sur la violence, la cruauté du règne animal, à grands renforts de superlatifs. Une spectacularisation accentuée par les réseaux sociaux où les animaux règnent en maîtres, pourvu qu’ils soient « les plus » (mignons, grands, rapides, dangereux…).

Quand les artistes s’y mettent

De nombreux·euses artistes ont été attiré·es par la veine du documentaire, permettant ainsi au genre de se renouveler : narration plus sensible, évolution des techniques utilisées, vision de l’animal moins anthropomorphique… Le biologiste Jean Painlevé est un précurseur de ce mouvement. Avec ses films L’Hippocampe (1934) et Le Vampire (1945), il explore le monde avec une approche visuelle scientifique, poétique et surréaliste. Dans Primate (1974) ou Zoo (1993), Frederick Wiseman, réalisateur mis à l’honneur par la Bpi à l’automne 2024, a appliqué au documentaire animalier ses techniques spécifiques : immersion, narration visuelle sans commentaire. Enfin, connu pour ses films de fiction et ses documentaires sur des sujets humains, Werner Herzog a exploré – notamment dans Grizzly Man (2005) – la relation singulière entre les humain·es et la nature, en adoptant un point de vue philosophique et introspectif. En intégrant la spécificité du langage, du comportement et des interactions sociales des animaux dans leurs œuvres, les artistes ont restitué la réalité de manière plus complexe et fidèle.

Le documentaire au service de la cause animale

Dans le contexte de la sixième extinction de masse, le documentaire animalier fait figure d’archive d’un monde en train de disparaître. Rapidement, une veine du film documentaire cesse d’envisager l’animal comme un objet. Il s’agit alors pour les réalisateur·rices de filmer avec respect, de se faire accepter sans s’imposer. Une préoccupation qui n’a pas toujours été centrale, comme le rappellent douloureusement les scènes de massacres de requins dans Le Monde du silence.

Avec cette perception de l’animal comme être doué de sensibilité et d’intelligence, on passe de la sauvagerie spectaculaire du monde animal à la fragilité d’un écosystème à protéger. Certains films deviennent ainsi un moyen d’éveiller les consciences, à l’image de Green de Patrick Rouxel (2009), qui montre les effets de la déforestation sur une orang-outan, ou Blackfish de Gabriela Cowperthwaite (2013), sur les conséquences de la captivité pour les cétacés. D’autres, moins spectaculaires, comme les films de Sylvère Petit, invitent à une cohabitation des vivants. Le réalisateur confiait à Balises, en juin 2024, vouloir « pousser les oiseaux, les virus, les loups ou les tilleuls dans le champ de l’attention des primates sociaux », pour une « nouvelle culture du vivant ».

Publié le 11/11/2024 - CC BY-SA 4.0

Pour aller plus loin

Le Cinéma des animaux

Camille Brunel
UV Éditions, 2018

Une enquête critique sur les animaux dans le cinéma documentaire et de fiction. Le bestiaire cinématographique s’élargissant sans cesse grâce au progrès de la technique et à un souci croissant pour la biodiversité, l’auteur interroge la mise en scène des animaux (sauvages, de rente ou de compagnie) et des lieux animaliers (milieux naturels, abattoirs, parcs à thèmes, etc.). © Électre 2018

À la Bpi, niveau 3, 791.049 BRU

Le Film animalier. Rhétoriques d'un genre du film scientifique, 1950-2000

Frédérique Calcagno-Tristant
L'Harmattan, 2005

Cette approche sémio-cognitive du film animalier étudie le rapport image-science et montre le caractère hybride d’un genre appartenant tantôt au film de science, de recherche ou d’enseignement, au documentaire, à la fiction… tantôt à plusieurs de ces catégories.

À la Bpi, niveau 3, 791.22 CAL

L'Animal sauvage à la télévision. Naissance et évolution d'une catégorie

Zelda Crottaz
INA, 2012

À partir de l’analyse d’émissions animalières réalisées des années 1960 aux années 1990, Frédéric Rossif étudie l’émergence du documentaire animalier en tant que genre télévisuel à part entière, ainsi que l’évolution des relations entre les êtres humains et la nature.

À la Bpi, niveau 3, 791.24 ROS

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