Rien ne nous y préparait – Tout nous y préparait
La beauté fragile des bibliothèques
Le 26 novembre 2024, un mardi, jour de fermeture hebdomadaire de la Bpi, Wolfgang Tillmans recréait une bibliothèque à échelle réduite : ses lecteurs et lectrices, ses bibliothécaires, leurs gestes et interactions, étaient capturés le temps d’un tournage. Pour sa dernière exposition, le Centre Pompidou donne carte blanche à l’artiste allemand, qui investira, du 13 juin au 22 septembre 2025, le niveau 2 occupé par la Bpi avant son déménagement.
« Rien ne nous y préparait – Tout nous y préparait » est une proposition audacieuse et singulière du lauréat du Turner Prize : l’exposition est à la fois une rétrospective de l’œuvre de Wolfgang Tillmans et un hommage à ces lieux emblématiques et de transmission des savoirs que sont le Centre Pompidou et la Bpi. En se les appropriant selon sa propre géographie et à l’aune de sa pratique artistique, l’artiste adapte ces espaces qui nous sont chers. Il les transforme pour permettre de les redécouvrir de façon grandiose et originale.
Carte blanche pour un artiste international
Wolfgang Tillmans s’est fait connaître grâce à ses travaux inspirés par la contre-culture londonienne du début des années 1990, notamment avec son livre Four books (réédité en 2020). En 2000, il devient le premier artiste non anglophone primé par le Turner Prize, une distinction annuelle réservée aux artistes de moins de cinquante ans. Depuis plus de trois décennies, il explore une grande diversité de genres photographiques, allant du portrait à l’architecture, en passant par l’abstraction. Son œuvre est aussi marquée par des installations artistiques variées, qu’il déploie en interaction avec ses lieux d’exposition. Peu à peu, son travail a pris une tendance plus engagée, abordant des problématiques sociales et politiques.
Après avoir fait l’objet de rétrospectives majeures, à la Tate Modern de Londres (2017), au MoMA de New York (2022), ou en itinérance dans plusieurs grandes villes africaines, de Lagos à Kinshasa (2018-2022), le Centre Pompidou lui offre une carte blanche entre juin et septembre 2025, marquant son grand retour à Paris après une installation réalisée en 2002 au Palais de Tokyo. Il propose un parcours ambitieux, mêlant des travaux anciens, des créations plus récentes ainsi que des œuvres spécialement conçues pour le lieu. L’occasion aussi d’exposer des photographies en lien avec la France, notamment Lacanau (self), son premier autoportrait réalisé en 1986, à 18 ans, sur la plage girondine, ou Reims (1988), une photocopie numérique de l’immense cathédrale rémoise.
Vision sociale et politique d’un lieu hautement symbolique
Depuis deux ans, Wolfgang Tillmans s’est imprégné de l’ambiance du Centre Pompidou pour penser son exposition. Fasciné par le bâtiment conçu par les architectes Renzo Piano et Richard Rogers, il s’intéresse particulièrement au vaste espace vide, sans murs ni piliers, de chaque niveau de l’édifice. Pour mettre en valeur cette architecture atypique, Tillmans propose plusieurs dispositifs innovants, parmi lesquels une rampe permettant de se hisser sur une banque d’accueil à l’entrée de l’exposition, offrant un point de vue unique sur l’ensemble de l’étage. Des jeux de miroirs permettent, en outre, d’observer le plafond et les tuyaux iconiques qui le composent. Pour ce faire, l’artiste a travaillé sur une maquette, à l’échelle 1/10e, du deuxième étage du Centre Pompidou, qui est également exposée.
La Bpi, « une utopie du vivre-ensemble »
Wolfgang Tillmans
Au-delà de l’aspect architectural, Tillmans est aussi attiré par le projet culturel du Centre Pompidou. Son travail explore souvent les moyens de faire communauté. Lors de ses visites de la Bpi, il a d’ailleurs été frappé par ce qu’il décrit comme une « utopie du vivre-ensemble », où des milliers de personnes aux profils variés cohabitent dans un même espace. Depuis le début des années 2000, Tillmans développe le concept de Truth study center, ou Centre d’étude pour la vérité, qui s’attache aux thèmes de l’analyse de l’image et du rapport à la vérité. Il prend la forme de tables sur lesquelles l’artiste dispose des archives personnelles et des coupures de presse. Plus loin, les visiteur·euses peuvent voir l’engagement de Wolfgang Tillmans en faveur des droits de la communauté LGBTQ+, des minorités, de la préservation des libertés et avancées sociales, ou en soutien à l’unité de l’Europe, par le biais d’affiches ou de tee-shirts. Il expose également des œuvres et des publications d’artistes liés à sa fondation Between Bridges, qui œuvre pour la promotion de la démocratie via des expositions à Londres, Kyiv et Berlin.
Archéologie et traces du passé
« Rien ne nous y préparait – Tout nous y préparait » est également un hommage à la Bpi, comme lieu de transmission des savoirs. Tillmans a passé beaucoup de temps dans la bibliothèque, pour saisir la singularité du lieu au-delà de l’ambiance studieuse qui y règne. La Bpi à peine déménagée, l’artiste s’appuie sur les matériaux existants, le mobilier, les rayonnages, les ouvrages qu’il réutilise dans la scénographie, comme témoins de ce lieu de vie ou en tant que dispositif d’accrochage. La bibliothèque devient le support de l’exposition, les tables des vitrines de monstration, les bureaux d’information des points de vue sur un espace de savoirs sans cloison.
Tillmans recrée la bibliothèque en juxtaposant une sélection d’ouvrages dans l’ordre de classement de la bibliothèque. Son rapport aux livres et à l’imprimé prend tout son sens, avec la possibilité d’en feuilleter certains tirés de sa collection personnelle, ou la réutilisation de photocopieurs ou de lecteurs de microfilms. Le public est d’ailleurs invité à jouer un rôle actif à différents moments de l’exposition : les photocopies sont également permises ! Enfin, la captation de ce lieu à échelle minimale, et restituée sous un format gigantesque de soixante écrans, invite chaque personne à se projeter dans cet espace multiple. L’installation est un hommage aux activités de la Bpi, à son public et à la myriade d’émotions qu’elle éveille en chacun et chacune d’entre nous.
Cette exposition est une vibrante dédicace au projet du Centre Pompidou : rassembler, dans un même lieu, un grand musée d’art moderne et contemporain et une bibliothèque ouverte à tous les savoirs. Le travail photographique de Wolfgang Tillmans, la poésie de ses images, la sensibilité de sa démarche nous touchent profondément. Vive l’utopie, et vive 2030 !
Publié le 26/05/2025 - CC BY-SA 4.0
Pour aller plus loin
Wolfgang Tillmans : « Rien ne nous y préparait − Tout nous y préparait »
Du 13 juin au 22 septembre 2025, le Centre Pompidou donne carte blanche à l’artiste allemand Wolfgang Tillmans, qui imagine un projet inédit pour clôturer la programmation du bâtiment parisien. Il investit les 6 000 m2 du niveau 2 de la Bibliothèque publique d’information (Bpi) et y opère une transformation de l’espace autour d’une expérimentation curatoriale qui met en dialogue son œuvre avec l’espace de la bibliothèque, le questionnant à la fois comme architecture et comme lieu de transmission du savoir.
Four books
Wolfgang Tillmans
Taschen, 2020
Wolfgang Tillmans explore la photo et repousse ses limites avec plus d’ambition que les autres artistes de sa génération, notamment en réalisant des images abstraites dans une chambre noire sans appareil. Tillmans a fondu ses quatre précédents albums publiés par Taschen en un recueil unique dédié à la vie au tournant du millénaire. [Résumé de l’éditeur]
À la Bpi, 770 TILL
To look without fear
Wolfgang Tillmans
Museum of Modern Art, 2022
Créateur visionnaire et polymathe intrépide, Wolfgang Tillmans allie l’inventivité formelle à une orientation éthique qui aborde les questions les plus pressantes de la vie actuelle. Si son travail transcende les limites d’une seule discipline artistique, il est surtout connu pour sa vaste production photographique. Qu’il s’agisse de documents tranchants sur les mouvements sociaux, de natures mortes sur le rebord d’une fenêtre, de portraits sensibles ou d’études architecturales, d’images extatiques de la vie nocturne ou d’abstractions sans caméra, d’observations astronomiques ou de nus intimes, il a exploré pratiquement tous les genres photographiques imaginables, expérimentant sans cesse de nouvelles façons de créer des images et d’approfondir l’expérience des spectateur·ices. Publié à l’occasion d’une grande exposition de l’œuvre de Tillmans au Museum of Modern Art, ce volume abondamment illustré passe en revue quatre décennies de la carrière de l’artiste. Un groupe exceptionnel d’auteur·ices propose des essais variés qui abordent les principaux aspects de sa pratique multiforme, et un nouveau texte de Tillmans lui-même élucide la méthodologie particulière qui sous-tend son système de présentation des photographies.
À la Bpi, 770 TILL
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