Interview

Les Urban Sketchers croquent la vie au Centre Pompidou
Entretien avec Marion Rivolier

Arts

Marion Rivolier à Paris, par David Rivolier

Ils cherchent à capturer l’âme d’un lieu et vous proposent de découvrir l’art du croquis in situ : ce sont les Urban Sketchers, les dessinateurs de rue. Invitée à fêter la fin des travaux de la chenille et la nouvelle entrée des publics par la piazza, l’artiste Marion Rivolier, en charge du collectif Urban Sketchers Paris depuis 2012, répond aux questions de Balises, dans le cadre de la manifestation « Destination Pompidou ! », les 26 et 27 juin.

Quelle est la genèse de la communauté d’Urban Sketchers à Paris ?

Nous appartenons au réseau Urban Sketchers fondé en 2007 à Seattle par le journaliste et illustrateur Gabriel Campanario. Ce réseau est un collectif d’artistes ouvert à tous, destiné à promouvoir la valeur narrative, artistique et éducative du croquis et du dessin sur le vif. Le partage des dessins via les réseaux sociaux permet de créer des liens entre les croqueurs du monde entier, près de chez eux ou en voyage. Une fois par an, nous nous retrouvons lors d’un symposium international, à chaque fois dans une ville différente, pour partager, apprendre, enseigner et nous rencontrer. Les derniers symposiums se sont déroulés à Chicago, Porto et Amsterdam en 2019. Urban Sketchers Paris est une association loi 1901 et compte une centaine d’adhérents qui se rencontrent chaque semaine. Grâce aux réseaux sociaux, nous nous donnons rendez-vous dans un lieu pour dessiner ensemble sur le vif. Les sessions s’achèvent dans la convivialité d’un café. C’est ainsi l’occasion d’échanger entre dessinateurs amateurs ou confirmés autour des carnets et des expériences des uns et des autres. Le collectif Urban Sketchers France organise aussi des rencontres nationales depuis 2013, la première a eu lieu à Lyon et la dernière à La Rochelle en mai 2021. Ces rencontres rassemblent 300 à 350 dessinateurs français et européens.

Dessin de Marion Rivolier, avec l’aimable autorisation de Marion Rivolier

Quelles valeurs spécifiques animent les Urban Sketchers ?

Comme l’indique le manifeste de notre collectif, nous dessinons sur le vif, sur des carnets. Toutes les techniques sont acceptées bien que nous privilégions les outils facilement transportables et pratiques à utiliser. Le dessin a une portée universelle et bienfaitrice : quel que soit l’âge, le milieu social, la profession ou le sexe, chacun est libre à travers cette pratique de raconter et de se raconter. Il s’agit de lutter contre l’isolement et le repli sur soi en offrant l’espace d’une précieuse liberté d’expression. Dessiner, c’est avant tout regarder pour s’ouvrir à soi et aux autres, c’est mettre des couleurs dans la vie.

En dehors des réseaux sociaux, comment transmettez-vous votre passion ?

Depuis 2019, nous proposons des ateliers de dessin sur le vif avec Le Secours populaire pour des enfants défavorisés. Nous voulions partager et transmettre notre passion du dessin à des Sketchers en herbe. Nous amenons ces enfants à croquer comme nous sur le vif, face aux œuvres, dans les musées, au sein des monuments. Ces lieux chargés d’art et d’histoire peuvent leur ouvrir l’esprit, aiguiser leur curiosité et développer leur créativité. Des ateliers ont aussi eu lieu pour les personnes détenues du centre pénitentiaire de Paris la Santé. À la faveur du projet « Nos prisons imaginaires » à la Conciergerie en 2020, les Urban Sketchers Paris ont pris le parti d’appuyer leur création sur une réalité carcérale et d’organiser des ateliers de croquis à destination des personnes détenues. Nous renouvelons cette expérience en 2021 pour une série de sept ateliers en cour de promenade.

Quelle est la place de ces dessins dans l’art ? Ces dessins peuvent-ils être considérés comme des documents d’archive ?

Sommes-nous du côté du reportage ou de l’art ? C’est une large question à laquelle chacun d’entre-nous répondra à sa manière. Ce qui est sûr, c’est que nous capturons des instants de vie, des événements ou des moments du quotidien, qui permettent de garder la mémoire des choses et des lieux. Nous travaillons beaucoup sur des carnets : cela permet de garder la chronologie des événements. Les dessins découverts en les feuilletant sont des cadeaux pour le lecteur qui peut plonger dans l’intimité des artistes.

L’espace urbain, les lieux culturels ou les grands paysages ne sont-ils pas devenus notre atelier véritable ? Reportage dessiné, documents d’archives ou œuvres, nous ne nous posons pas la question au moment où nous dessinons car ce qui compte vraiment est la justesse du regard par rapport à l’événement se déroulant sous nos yeux.

Dessin de Marion Rivolier, avec l’aimable autorisation de Marion Rivolier

Quelle est la spécificité du Centre Pompidou dans cet art ?

Un certain nombre d’Urban Sketchers adorent dessiner dans les lieux culturels. Beaucoup aiment aussi l’architecture et passent des heures à décrypter des bâtiments contemporains complexes en les dessinant. Ainsi le Centre Pompidou est, depuis des années, un parfait terrain de jeu. Nous nous y donnons souvent rendez-vous pour dessiner ensemble : par exemple pour l’exposition de Franck Gehry en 2015, ou au Forum autour d’un café. Plus personnellement, je suis parisienne depuis toujours et le Centre Pompidou est un peu ma « maison ». J’y passe des heures à peindre et dessiner les espaces, les vues sur Paris, les sculptures de l’exposition permanente sur les terrasses et toutes les expositions, dont la variété offre un champ d’expérimentation infini. Flâner, se reposer, aller consulter des ouvrages à la Bpi, dévaliser la librairie sont des occupations que j’apprécie particulièrement. Je peux voir défiler toute ma vie à travers les dessins faits au fil des ans au Centre Pompidou. C’est le pouvoir du dessin : se remémorer les bons (et les mauvais) souvenirs en feuilletant les pages de nos carnets.

Publié le 21/06/2021 - CC BY-SA 4.0

Pour aller plus loin

Blog international des Urban Sketchers

Blog regroupant les Urban Sketchers du monde entier.

Urban Sketchers à Paris

Le site de la communauté parisienne des Urban Sketchers.

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