Questions/Réponses

À qui profite la semaine de quatre jours ?

Un utilisateur d’Eurêkoi, service de réponses et recommandations à distance assuré par des bibliothécaires, s’interroge sur le bénéfice de la semaine de quatre jours de travail. Qui souhaite cette organisation du travail et qui en tirera un réel bénéfice ? Les bibliothécaires de la Bibliothèque publique d’information (Bpi) lui répondent. Les franciliens les plus curieux pourront approfondir le sujet lors de la rencontre « Tout savoir sur la semaine de 4 jours » organisée le 20 février 2025 par la Bpi.

Image par F1 Digitals, via Pixabay [CC0]

« Organiser le travail sur quatre jours par semaine, contre cinq aujourd’hui, est-ce vraiment réalisable ? interroge un article de Franceinfo, publié le 19 octobre 2024, intitulé « Semaine de quatre jours : où en est la France ? ». L’article pointe les différences de point de vue sur le sujet entre Gabriel Attal, l’ancien Premier ministre, qui annonçait en janvier 2024 une expérimentation dans la Fonction publique, et l’ex-ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, qui souhaitait la fin des 35 heures et le retour aux 39 heures. Quelques jours avant la publication de cet article, le 16 octobre 2024, un rapport d’information parlementaire sur la semaine de quatre jours invitait à la prudence. Cette organisation « n’est ni un remède universel aux maux qui affectent le monde du travail, ni une fausse bonne idée sans avenir » en était la conclusion, assortie d’une recommandation : laisser la main libre aux entreprises. C’est pourtant une idée qui, sur le principe, séduit les actif·ves comme les dirigeant·es d’entreprise. Mais mesurent-ils tous les enjeux de cette organisation ?

Une demande sociale

D’après l’enquête de l’Ifop de mars 2024, 77 % des actif·ves plébiscitent le dispositif de 32 heures réalisées en quatre jours, y voyant l’avantage d’un meilleur équilibre de vie et d’une meilleure santé physique ou mentale.

Cet article de Vie publique, intitulé « Semaine en 4 jours : avantages et inconvénients pour les actifs » nuance les bénéfices. Il cite des chiffres : « Selon le ministère du Travail, environ 10 000 salariés expérimentaient la semaine en quatre jours début 2023 », et s’appuie sur l’étude menée en 2023 par le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Crédoc) pour « connaître les aspirations de la population active et les motivations des employeurs qui expérimentent la semaine en quatre jours et les horaires flexibles ». L’enquête révèle que « l’intérêt porté à la semaine en quatre jours est comparable dans toutes les catégories de population. On n’observe notamment pas de différences significatives en fonction des catégories professionnelles, ou entre les actifs occupés et les demandeurs d’emploi. La situation familiale ou l’âge n’ont pas non plus d’impact significatif sur la probabilité d’être favorable au passage à la semaine en quatre jours. L’attrait pour la semaine en quatre jours est peu sensible au genre : 48 % des femmes et 49 % des hommes estiment qu’ils en seraient plus satisfaits ». Pourtant, la synthèse de l’étude du Crédoc s’intitule « Semaine en quatre jours, horaires flexibles : des formules qui séduisent, mais dont les avantages pour l’ensemble des salariés restent à démontrer » et pointe « certaines limites révélées par les expérimentations, au-delà de l’adhésion “de principe” des
salariés ».

Des incidences économiques variées pour les salariés

L’article de Vie publique résume les retours exprimés suite à ces expérimentations. Pour les parents d’enfants en âge scolaire ou préscolaire, les conséquences économiques et organisationnelles varient en fonction des situations. Selon les dirigeant·es ou DRH interrogé·es, les salarié·es ayant des enfants non scolarisés peuvent faire part d’économies parfois possibles d’un jour de garde hebdomadaire. A contrario, les salarié·es ayant des enfants scolarisés peuvent au contraire regretter des frais supplémentaires de garde, liés à l’extension journalière des heures de travail.

Certains DRH ou dirigeant·s évoquent également la surprise des salarié·es qui découvrent que la semaine en quatre jours implique qu’ils ou elles bénéficient de moins de tickets restaurant. En contrepoint, les salarié·es motorisé·es soulignent des économies de carburant.

Une meilleure productivité pour les entreprises ?

Dans Décideurs magazine, un journal consacré à la vie des affaires, on trouve, en date du 13 janvier 2025, un exposé de la première expérimentation de la semaine des quatre jours à grande échelle en France. Cette expérimentation est menée par 4jours.work, une entreprise sociale qui propose un accompagnement payant des entreprises dans plusieurs pays pour passer à la semaine de quatre jours, en partenariat avec l’EM Lyon Business School qui analysera les résultats dès 2025. L’objectif est de « démocratiser cette organisation du travail en passant du débat d’opinion à des faits ». Philippe du Payrat, le cofondateur de 4jours.work l’affirme  :

« La semaine de quatre jours, c’est comme le Bitcoin : tout le monde en parle, très peu en ont et savent comment en avoir. »

Il prétend proposer une méthodologie de test aux sociétés de la semaine de 32 heures réparties sur quatre jours, sans diminution de salaire pour leurs collaborateur·rices, et adaptée à toutes les entreprises. Pour lui, cette organisation du temps de travail « libère du temps pour les gens, qui vont le réinvestir sur d’autres thématiques, ce qui permet de modifier la société pour le meilleur ». Sur les 350 entreprises dans 20 pays accompagnées par 4jours.work, 91 % de ces sociétés auraient souhaité maintenir cette organisation à l’issue de six mois d’expérimentation en raison des bons résultats obtenus en termes de gestion du personnel et de productivité.

Dans ce dossier réalisé par le Centre d’études de l’emploi et du travail (CEET) qui a pour titre « La semaine de quatre jours : travailler moins tout en travaillant… plus ? », on lit que, « si la semaine de quatre jours est souvent mise en œuvre au nom du bien-être au travail, celui-ci est surtout conçu comme un moyen de mobiliser les salariés en vue de gains de productivité. Ce souci de la performance économique se traduit par des semaines de travail compressées ou intensifiées puisque la semaine de quatre jours n’implique en général ni une baisse, ni une diminution de la charge de travail. D’ailleurs, cette organisation du temps de travail recouvre des réalités très diverses dans les entreprises selon les secteurs et les catégories socioprofessionnelles des salariés concernés. »

En contrepoint, on pourra lire le témoignage d’un chef d’entreprise, Julien Le Corre, intitulé «  Comment la semaine de quatre jours a planté ma boîte » qui a instauré cette organisation en 2020 dans son agence, placée en liquidation judiciaire trois ans plus tard.

« L’ancien chef d’entreprise impute […] cet échec au manque d’alignement entre les associés et au manque de concertation avec les collaborateurs : “J’ai eu tendance à surpondérer la valeur que la semaine de quatre jours pouvait avoir aux yeux des collaborateurs. À la fois en termes de bien-être et d’attachement à l’entreprise.[…] La semaine de quatre jours ne peut pas être le centre de la proposition de valeur d’une entreprise : on ne rejoint pas et on ne reste pas dans une entreprise pour ça mais parce qu’on aime les projets sur lesquels on travaille et les gens avec lesquels on travaille.” »

Redonner du sens au travail

La question du temps de travail en soulève une autre : celle du sens du travail. 

Jean-Claude Rennwald, dans la conclusion de son ouvrage La Semaine de quatre jours : pour une révolution du temps, aux éditions de l’atelier (2024), cite les économistes français Thomas Coutrot et Coralie Perez qui s’interrogent sur la question du sens du travail. 

« Dans cette perspective, ils estiment que le travail prend son sens – profondément politique – au regard des enjeux de transformation qui le caractérisent. “Trois dimensions, écrivent-ils, nous semblent structurer ces enjeux : l’impact du travail sur le monde (l’utilité sociale), sur les normes de la vie en commun (la cohérence éthique) et sur le travailleur lui-même (la capacité de développement)”.  »

Ils invitent à redéfinir les finalités et les modalités de la réduction du temps de travail à l’aune des enjeux contemporains :

« Elle pourrait désormais viser non seulement à réduire l’emprise du travail sur la vie des travailleurs, mais à faire reculer la subordination pour redonner du sens au travail. »

Eurêkoi – Bibliothèque publique d’information

Publié le 17/02/2025 - CC BY-SA 4.0

Pour aller plus loin

Redonner du sens au travail. Une aspiration révolutionnaire

Thomas Coutrot et Coralie Perez
Seuil, 2022

Démissions en chaîne, refus des bullshit jobs, méfiance vis-à-vis des grandes entreprises, préférence pour le télétravail, réhabilitation des activités manuelles, réorientations en milieu de carrière : les questionnements sur le sens du travail n’ont jamais été aussi nombreux. La pandémie a provoqué un débat sur les travailleurs « essentiels », qui sont pourtant moins payés et considérés que les « premiers de cordée ». Quant à la crise écologique, elle impose de réorienter nos emplois. À l’heure où le management par les chiffres a envahi le secteur privé comme la fonction publique, il est crucial de s’interroger sur le contenu et la finalité de nos activités professionnelles. Il fut un temps où l’on cherchait avant tout à occuper un emploi. Aujourd’hui, il se pourrait bien que la priorité soit donnée au sens du travail. C’est là que se produit actuellement une révolution, guidée par les nouvelles exigences sociales et les défis écologiques.

Thomas Coutrot est statisticien et économiste, chef du département Conditions de travail et santé de la DARES au ministère du Travail de 2003 à 2022.
Coralie Perez est socio-économiste, ingénieure de recherche à l’université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne et membre du Centre d’économie de la Sorbonne.
(Présentation sur le site des Éditions du Seuil)

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