Annaka Stretta est une photographe de 23 ans. Après des études d’art à Bruxelles, elle revient à Paris pour effectuer son service civique à la Bibliothèque publique d’information, au service Cinéma. Dans son projet Don’t be scared, girls, elle photographie et donne la parole à des femmes victimes de harcèlement de rue. Pour Balises, elle revient sur sa démarche et son engagement féministe.
Peux-tu nous raconter la genèse de ton projet Don’t be scared, girls ?
En 2022, en deuxième année à l’École supérieure des Arts de l’image le Septante-cinq de Bruxelles, un professeur nous a proposé un sujet sur les traumatismes. On devait recueillir le témoignage d’une personne sur les traumatismes qu’elle a pu vivre. Moi, j’ai sollicité une de mes amies qui avait été agressée dans un bus. Elle a accepté de se confier. Lors de nos échanges, nous nous sommes rendues compte qu’on avait quasi les mêmes histoires. À ce moment-là, je me suis dit qu’il y avait quelque chose à faire : parler de tout ce qui nous arrive dans la rue, en tant que femme, car c’est lourd à porter. Pour mon projet de fin d’année, j’ai donc décidé de travailler sur le harcèlement de rue. Je voulais interroger et photographier plusieurs femmes d’âges et de milieux différents. Je souhaitais qu’elles me racontent leur histoire, ce qui les avait marquées, ce qu’elles avaient vécu.
Comment as-tu contacté ces femmes ? Combien étaient-elles ?
Ça s’est fait essentiellement de bouche à oreille, un peu à Bruxelles, un peu à Paris. Il s’agissait d’une quinzaine de femmes en tout, de ma famille, d’amies ou d’amies d’amies, qui savaient que je recherchais des témoignages de femmes qui avaient subi du harcèlement dans l’espace public.
Est-ce qu’il y avait un point commun parmi ces témoignages, une sorte d’invariant ?
Le point commun c’était le lieu des agressions : la rue, les espaces publics. Mais en parlant avec des femmes, je me suis rendue compte que les histoires étaient toutes un peu différentes, malgré leur caractère tellement systématique. C’était assez intéressant de constater qu’en fait c’était devenu presque une forme de banalité : en quelque sorte, c’était normal. Sinon, concernant les points communs, les agressions avaient souvent lieu dans les transports. Et les formes d’agressions étaient assez récurrentes. Beaucoup de verbal : se faire insulter quand on ne veut pas répondre, quand on ne veut pas donner son numéro de téléphone… Et puis il y a aussi les contacts physiques non sollicités : le toucher des fesses, par exemple.
Le harcèlement de rue, ce n’est pas une question d’âge…
Toutes les femmes que j’ai interrogées avaient vécu des expériences proches de l’agression, quel que soit leur âge. Ce qui était différent, c’était la manière dont elles en parlaient. Les femmes de ma génération, entre 20 et 25 ans, utilisaient le terme d’agression. Chez elles, il y avait une véritable prise de conscience : il s’agissait d’agressions, et ce n’était pas normal. Quand on montait en âge, c’était plutôt : « Oh, je me suis fait embêter » ou « Il m’est arrivé ce petit truc. » J’ai photographié une femme de 78 ans. La manière dont elle me parlait des agressions qu’elle avait subies était complètement différente. Pour elle c’était… un peu normal. Il y avait quelque chose de l’ordre du passage obligatoire, même si, quand elle m’en parlait, je sentais bien que ça l’avait traumatisée. Elle m’a aussi dit, avec une sorte de soulagement : « Maintenant plus personne ne m’embête, plus personne ne me regarde. » La fameuse invisibilité des femmes de plus de 50 ans !
Dans les témoignages que tu as recueillis, les agresseurs étaient-ils toujours des hommes ?
Dans toutes les histoires que j’ai entendues, oui.
As-tu cherché à interroger des hommes victimes de harcèlement de rue ?
Non, ce n’était pas mon projet. Ça a été dur à expliquer, parce que j’étais dans une école où il y avait une majorité d’hommes professeurs. Certains ne comprenaient vraiment pas l’intérêt de mon travail. L’un d’entre eux m’a demandé pourquoi je ne voulais pas interroger des hommes. C’était simple. Je voulais faire un projet pour les femmes par les femmes. Je recherche ça dans la photo. J’avais aussi tellement d’amies, de membres de ma famille qui avaient vécu ces expériences-là. Je voulais que ces histoires soient racontées. C’était une forte volonté féministe, un vrai engagement.
Comment as-tu réussi à obtenir la confiance de ces femmes et à les faire témoigner sur des sujets aussi intimes ?
Quand c’étaient des amies, j’ai juste enregistré nos conversations. C’était simple, car elles me faisaient confiance. Pour les autres, je leur demandais si elles étaient d’accord pour faire des photos d’elles chez elles, parce que je voulais qu’elles se sentent en sécurité, à l’aise. Je savais qu’on allait parler de choses pas forcément faciles.
Je parlais souvent de l’expérience que j’avais vécue, pour pouvoir lancer le sujet et expliquer ce que je recherchais dans ce témoignage. Je les laissais me raconter ce qu’elles souhaitaient. Je les coupais très peu, je posais très peu de questions. C’était souvent : « Comment tu te sentais ? » « Est-ce que ça t’a fait réfléchir ? » « Est-ce que tu y penses encore beaucoup aujourd’hui ? » Après je faisais le tri.
Justement, comme ton projet porte sur le traumatisme, qu’en reste-t-il ? Est-ce une histoire qu’elles racontent avec un peu d’indifférence, ou cela a-t-il changé des choses dans leurs vies ?
Ça dépend. Il y avait des sortes de guerrières qui avaient une approche de combat, qui ne laissaient pas cela changer leur vie, et d’autres pour qui c’était plus compliqué.
Tu sentais que ce n’était pas guéri, qu’elles s’empêchaient de faire des choses ?
Oui peut-être un peu. Ou alors qu’il y avait… pas de la honte, mais par exemple, beaucoup m’ont dit : « J’ai vraiment été trop bête, en fait. »
Une forme de culpabilité ?
Oui. Parfois, j’ai réalisé des entretiens à plusieurs parce que c’était plus facile de rebondir. Ce qui était assez beau dans ces moments-là, c’est qu’il y avait un échange, de vraies discussions, pour se rassurer, pour se dire que c’était normal de ressentir tout ça. Ça permettait à chacune de déculpabiliser. Pour moi aussi ce projet a été libérateur, parce qu’il m’a permis de me guérir de plein de choses. Je me suis dit que je n’étais pas la seule à vivre tout ça, que beaucoup de monde le vivait.
Est-ce que tu dirais que ce sont plus les femmes âgées qui se sentent coupables ?
Oui. On m’a souvent demandé par exemple de couper l’enregistreur, pour me raconter des choses qui n’ont pas été intégrées ensuite, bien évidemment. Il y a eu des formes de « Faut pas que ça se sache ».
Parmi les témoignages, certains étaient-ils plus difficiles à entendre que d’autres ?
Oui, ce projet a été assez intense ! À la fin, j’avais beaucoup de témoignages. Je voulais qu’il y en ait beaucoup. Parce que, quand je raconte mon expérience, par exemple à mon père ou à mon frère, ils comprennent ce qu’il m’est arrivé, mais ils n’ont pas les détails. Ils ne savent pas exactement ce qu’il s’est passé. C’est quand je leur raconte qu’ils me disent : « Ah ouais, quand même ! » Je voulais que les gens qui lisent ces témoignages aient cette même réaction, qu’il y ait une véritable prise de conscience autour de ces agressions et du concret de ce qui se joue. Voilà ce qui se passe, à la minute, voilà ce qu’on ressent. Quand je suis arrivée devant un de mes professeurs avec tous ces témoignages, toutes ces images – c’était assez lourd, c’est vrai – il m’a dit : « Mais tu ne trouves pas ça un peu redondant ? » Je lui ai répondu : « Imaginez notre quotidien, alors. Si c’est redondant pour vous de les lire, alors imaginez ce que c’est pour nous de les vivre ! » C’est systémique, c’est épuisant. Ça me fait d’ailleurs penser à ce que disait la photographe Marie Docher lors de sa conférence pour Contre-chant le 4 mai 2024 à la Bpi : la majorité des étudiant·es des écoles d’art sont des femmes, mais la majorité des enseignant·es sont des hommes. Cela questionne la compréhension, de la part de ces enseignants, des vécus et des sensibilités des élèves, mais également la visibilité des femmes artistes dans les enseignements.
Quel témoignage t’a le plus marquée, chez les inconnues que tu as rencontrées ?
C’est la rencontre qui m’a inspiré le titre. Une amie d’amie, qui avait la quarantaine, m’a raconté une expérience qu’elle a vécue aux États-Unis. Ça me sortait complètement du contexte français ou belge, des pays francophones. Ce titre vient d’une remarque qu’un homme lui a faite. Je le trouvais parfait. Don’t be scared, girls, Ne soyez pas effrayées, les filles. Alors qu’en fait, c’est justement tout l’inverse ! Dans cette phrase, je trouve que tout est résumé : on nous dit qu’il ne faut pas qu’on ait peur, que tout va bien se passer. Sauf que cette phrase est terrifiante au possible. Je pense aussi à une autre femme, à une de ses paroles qui m’a profondément marquée : « Assez souvent, quand je sors le soir, j’ai le souffle court et je me demande si c’est le dernier soir où j’aurai une vie normale. » Elle est horrible cette phrase, elle dit tout. Elle est très juste et décrit parfaitement cette sensation d’être toujours sur le qui-vive.
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