Arts déco : l’Exposition de 1925
Véritables vitrines pour mettre en avant la production de chaque pays, les expositions internationales sont de formidables témoins de l’évolution des arts et des mentalités. À l’occasion du centenaire de celle de 1925, retour sur un évènement révélateur d’un paradoxe tenace : alors que l’Art déco, principalement français, séduit le public, le monde a déjà dans ses cartons un autre projet, le style international, autrement connu sous le nom de mouvement moderne.
Note de la rédaction
Pas moins de huit expositions, dans toute la France, célèbrent le centenaire de l’Exposition de 1925. Les illustrations de cet article proviennent des dossiers de presse fournis par les institutions (Cité de l’architecture et du patrimoine et bibliothèque Forney).
Pourquoi 1925 ?
L’année 1925 marque le point d’orgue du mouvement Art déco avec l’Exposition internationale des Arts décoratifs et industriels modernes à Paris, la Ville Lumière, vers laquelle le monde entier tourne son regard. Le nom de l’exposition a souvent amené le public à la réduire au seul mouvement « Art déco », alors que son propos est beaucoup plus riche et qu’elle laisse percevoir deux tendances fondamentales : l’opposition entre art décoratif et production industrielle, entre artisanat et industrie.
La première tendance correspond à « l’Art déco » proprement dit, héritière d’une tradition française de l’élégance. La seconde, illustrée par le pavillon-manifeste de Le Corbusier, fait référence à l’« Esprit nouveau », ou modernisme. Elle est plus soucieuse des réalités sociales et techniques et vise une symbiose avec la société industrielle naissante. Le début du 20e siècle est marqué par quantité de découvertes : machines à vapeur, force hydraulique, électricité, moteur à explosion, moyens de transport… Ces innovations permettent le développement des entreprises industrielles et commerciales, répondent à des préoccupations d’hygiène et suivent l’évolution des idées sociales. Les arts ne pouvaient y rester indifférents.
L’Exposition de 1925, révélatrice des contradictions d’une époque
Prévue dès 1906, repoussée plusieurs fois notamment en raison de la première guerre « industrialisée » mondiale, l’Exposition internationale (et non universelle car elle ne touche pas toutes les activités humaines) ouvre en avril 1925.
Dans sa conception initiale, l’exposition devait mettre l’accent sur la nécessité de développer un art social, conforme aux transformations de la société. Son intention était de contribuer à la diffusion des styles modernes français, en retard sur le reste de l’Europe. Mais le mouvement hollandais De Stijl et le Bauhaus allemand en sont absents, tandis que les pavillons français, particulièrement nombreux, présentent un Art déco à la française, appliqué à tous les domaines des arts. Ce style impose son empreinte à l’ensemble de la manifestation et éclipse l’« Esprit nouveau ». Pourtant, dans l’intitulé de l’exposition, les organisateurs avaient imposé le terme « industriel » après celui d’« art décoratif ».
L’ambition de la France était de s’inscrire dans ce mouvement et de répondre aux besoins d’une nouvelle classe sociale issue de l’industrialisation, pour laquelle il fallait créer des habitats, un ameublement, des objets adaptés. Dès 1907, l’association allemande des artisans (Deutscher Werkbund) réunit des artistes et des industriels dans le but de concilier industrie, modernité et esthétique.
En 1909, dans la mission de préfiguration de l’Exposition, le critique d’art Roger Marx visait un art international, moderne et social : « Une telle exposition […] ferait cesser l’antagonisme entre l’ingénieur et l’architecte […]. Ni le théâtre, ni la musique, ni la danse n’en seraient exclus ; l’art de la cité, l’art de la rue, l’art des jardins, l’art des fêtes populaires lui devraient d’être remis en honneur. »
Les ambitions de ce vaste programme encyclopédique ne seront pas entièrement concrétisées. La Grande Guerre est passée par là, et les préoccupations de Roger Marx sont négligées au profit d’une gigantesque fête : celle des Années folles, qui célébraient la fin des années sombres et sanglantes de la guerre, où s’étaient engloutis les derniers fastes de la Belle Époque. L’Exposition de 1925 reflète l’image d’une société qui ne sait ou ne veut pas choisir, qui veut profiter de la paix retrouvée, alors que les prémices d’un art mondial et moderne ne demandent qu’à éclore. Il faudra attendre la fin des années 1930 pour que le modernisme et le style international, en germe à l’Exposition, supplantent l’Art déco en France.
À défaut d’avoir été la vitrine des avant-gardes, l’Exposition a permis aux artistes représentatifs de ce style très français d’essaimer son esthétique à travers le monde. En outre, le mouvement Art déco ne sera appelé ainsi qu’à partir des années 1960, en référence à l’Exposition de 1925.
Le contexte artistique du début du 20e siècle
Avec l’arrivée du fauvisme et l’éclatement de la couleur en peinture, du futurisme et de l’ode à la vitesse, de la culture noire et de la diffusion du jazz par la Revue nègre, des ballets russes de Diaghilev et des costumes et décors de Léon Bakst, et enfin surtout du cubisme, c’est une nouvelle vision plastique du monde qui prend forme au début du 20e siècle.
L’Exposition internationale des Arts décoratifs et industriels modernes voulait réagir contre l’exubérance du Style 1900, l’Art nouveau, appelé aussi par ses détracteurs le « style nouille ». L’Art nouveau est le premier style international, conçu comme un art total et transgressif, dégagé des convenances qui entravaient jusque-là la création. Les formes codifiées de l’académisme volent en éclats pour laisser place à une liberté totale, dans tous les domaines, et s’illustrent par l’usage intensif de la courbe et des formes organiques, tant en arts décoratifs qu’en architecture.
L’Art nouveau s’inscrit aussi dans une tradition d’élégance française, destiné à une clientèle aisée. Il perd de son aura dès 1905, mais prépare le terrain aux futures évolutions, grâce à la libération des formes.
L’Art déco, dès les années 1910, en garde le luxe et les ornements mais les géométrise (la rose schématisée en est l’emblème). Le modernisme, quant à lui, retient ses formes cubiques et dépouillées, qui s’illustrent jusque dans l’art des jardins. À l’Exposition de 1925, les deux tendances ont en commun cette réaction face à l’exubérance de l’Art nouveau. Mais chacune a apporté une réponse différente, suivant néanmoins le même mot d’ordre : une production originale, sans pastiche du passé.
Les « modernes » contre les « contemporains »
Dans une étude préliminaire à l’Exposition de 1925, publiée dans la revue Art et Décoration, Guillaume Janneau fait une distinction entre moderne et contemporain : le contemporain est une « constatation d’un état de fait, mais non profession d’une doctrine » et le moderne « définit une esthétique ». Les contemporains – ou traditionalistes – seront ainsi ceux qui restent attachés à une tradition de l’élégance française s’inscrivant dans la lignée des grands styles dont le dernier est le style Louis-Philippe.
Les modernes – ou modernistes -, influencés par l’industrie et la technologie, « tiennent pour acquis les progrès du monde civilisé » qui impliquent un « esprit nouveau ».
Si les contemporains restent les plus nombreux, l’Exposition de 1925 est considérée comme le chant du cygne d’une esthétique du luxe, qui perdure néanmoins dans la spectaculaire décoration des paquebots dans les années 1930.
Le pavillon de l’Ambassade française, aménagé par la Société des Artistes Décorateurs, réunit les contemporains et les modernes : André Groult, Jean Dunand, à côté de Pierre Chareau et Robert Mallet-Stevens. Il fait néanmoins l’objet de critiques sévères, illustrant la controverse de l’époque : « En choisissant comme thème une Ambassade plutôt qu’une Maison du Peuple, la Société des Artistes Décorateurs a donné la mesure de l’esprit dans lequel travaillent nos architectes, nos meubliers, nos ornemanistes. Mais ces architectes et ces meubliers ne sont pas seulement réactionnaires par leur dévotion aux “puissances d’argent”, mais aussi par leur incompréhension des exigences qu’impose la vie moderne. » (Waldemar-George dans la revue L’Amour de l’art).
En 1929, la rupture est consommée. Avec dix ans de retard sur le mouvement hollandais De Stijl, le constructivisme russe et le Bauhaus allemand, l’Union des artistes modernes (UAM), fondée par Robert Mallet-Stevens, René Herbst et Pierre Chareau est rejointe par une trentaine d’artistes, dont les architectes Charlotte Perriand et Le Corbusier. Alliance du pratique et de l’esthétique, souplesse des aménagements, polyvalence du mobilier, principes d’économie et mise à contribution des dernières innovations techniques, foi dans le progrès technique partagé par le plus grand nombre : le Style international est en marche.
Publié le 21/10/2025 - CC BY-SA 4.0
Pour aller plus loin
Les Années 20
Anne Bony
Éditions du Regard, 1989
Au lendemain de la Guerre de 1914, le monde entier est en proie au désarroi, d’un bout à l’autre du globe, l’heure est aux remises en cause. Partout, le besoin de renaissance est immense. La Révolution russe a donné toutes leurs forces à ses avant-gardes, d’Allemagne et d’Autriche se lèvent des mouvements rénovateurs, les États-Unis prennent pied sur le vieux continent…L’envie est irrépressible d’agir, d’oublier, d’imaginer de nouvelles valeurs, un nouvel esprit. Apparaissent alors, Bauhaus, Vhutemas, de Stijl,…
À la Bpi, 704-7 ANN vol. 1 et 704-7 ANN vol. 2
Les Années 20. L'Âge des métropoles
Musée des Beaux-arts de Montréal
Gallimard, 1991
Le catalogue de cette immense exposition met en évidence l’apport des métropoles dans la création artistique. Ce thème est centré sur les trois grands creusets culturels que furent Berlin, Paris et New York entre 1919 et 1929. Cet ouvrage offre une synthèse historique d’envergure sur ces Années folles.
À la Bpi, 704-7 ANN vol.1
1925, quand l'Art déco séduit le monde : [exposition, Paris, Cité de l'architecture et du patrimoine, du 15 octobre 2013 au 17 février 2014]
Cité de l'Architecture et du Patrimoine
Norma, 2013
1925 est une date historique qui, pour les Français, s’identifie avec l’Exposition des arts décoratifs de Paris, illustration d’une gloire et d’une puissance retrouvées, illusion d’une paix universelle. Pour n’être point la plus considérable des Expositions françaises, elle sera, malgré les critiques, celle qui aura le plus de retentissement et, sans doute, la plus grande influence dans le monde. De très nombreux architectes et décorateurs français sont appelés sur les grands chantiers internationaux de la décennie qui suit. Les ambassades françaises et les paquebots ont été leur cheval de Troie. Après la Première Guerre mondiale qui a amené son lot de désolation, la reconstruction a vu apparaître les premiers exemples du nouveau style. En 1925, il faut être « moderne ». Le développement de l’aviation et de l’automobile l’exige, voyant surgir les premiers garages et aérodromes. L’Art déco est souvent associé au luxe, mais il a orienté aussi le dessin des habitations à bon marché et des cités-jardins. Les grands magasins et les boutiques se développent et créent leurs lignes de décoration. La femme moderne fait son apparition. Elle est incarnée par la garçonne qui fume, conduit, pilote des avions et choisit son architecte-décorateur. Elle n’oublie pas d’être élégante et les couturiers ou couturières, ami·es des architectes, inventent pour elle le sportswear. Les étranger·ères à Montparnasse, car Paris en 1925 est le centre du monde, ont introduit un levain neuf dans la vieille pâte de nos couleurs. Le cubisme s’impose certes pour un appel à un ordre géométrique fait de carrés, de losanges et de zigzags, mais Joséphine Baker, laissant tomber un instant sa ceinture de bananes, remet les pendules à l’heure en rappelant ce que l’art moderne et le nouveau mouvement doivent à la culture africaine.
Plus qu’une date, 1925 est donc un état d’esprit : comment les « Années folles » succèdent à la « Belle Époque », l’Art déco à l’Art nouveau, comment aussi à travers cette apparente continuité apparaissent et s’imposent les caractéristiques d’un art mondial et moderne impatient d’éclore. Ce mouvement Art déco, né dans le champagne d’une paix retrouvée, sera salué pour son glamour et son invention, adopté et adapté par chacun, chaque pays, dans une effervescence toujours renouvelée des motifs, des formes et des couleurs. Aujourd’hui, les Art Deco Societies du monde entier, désirant préserver et garder le souvenir de ce patrimoine commun, rappellent son universalité rayonnante.
À la Bpi, 704-73 DEC
L'Art déco
Victoria Charles
Parkstone, 2013
Ouvrage présentant le style Art déco, un mouvement qui fut érigé sur les cendres d’un monde dévasté par la Première Guerre mondiale. Analyse son influence dans l’architecture, la peinture, le mobilier et la sculpture.
À la Bpi, 704-73 CHA
L'année 1925. L'Esprit d'une époque : [colloque, Université de Nanterre, 13-15 mars 2008]
Centre des sciences de la littérature française
Presses universitaires de Paris Ouest, 2012
Pour restituer l’esprit de cette époque qui, à tant d’égards, dialogue avec la nôtre, il fallait réunir des spécialistes de disciplines différentes : de littérature française et comparée, d’études anglo-américaines, de Kulturwissenschaft, des hispanistes, des slavistes, des italianistes et des historien·nes du sport.
À la Bpi, 81(091) »19″ BOU
Le Paris de la modernité, 1905-1925 : [exposition, Paris, au Petit Palais, du 12 novembre 2023 au 14 avril 2024]
Juliette Singer
Paris Musées, 2023
Un panorama de l’effervescence et de la créativité qui anime Paris durant les années 1905-1925. À travers la mode, la photographie, le cinéma, la peinture, la sculpture, le dessin mais aussi la danse, le design, l’architecture et l’industrie, le catalogue aborde les ruptures et les continuités de cette période, avec ses avancées artistiques, technologiques et sociales. © Électre 2023
À la Bpi, 704.407 PAR
Les 101 mots de l'Art déco à l'usage de tous
Philippe Rivoirard, Emmanuel Bréon, Victor Bréon et Charlotte Rivoirard
Archibooks et Sautereau éditeur, 2013
Présentation des caractéristiques esthétiques et des principaux créateurs représentatifs du mouvement de l’Art déco qui s’épanouit en Europe et dans le monde des années 1920 aux années 1940.
À la Bpi, 704-73 DEC
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