Portrait

Malachi Farrell, l’homme qui fait danser les poubelles

Arts

Malachi Farrell © Delphine Nicolas

Les installations de Malachi Farrell immergent le spectateur dans des chorégraphies de machines et d’objets articulés, accompagnées de sons et d’effets de lumière. Leurs titres évoquent des faits de société, des événements politiques ou historiques. Il expose dans l’Atelier des enfants, espace du Centre Pompidou dédié aux 6-12 ans, du 18 octobre 2014 au 23 mars 2015. 

On avait imaginé le rencontrer dans son atelier, à Malakoff. Mais Malachi Farrell, regard acier dans un visage émacié, est là, au Centre Pompidou, pour l’installation d’une de ses formidables machines: O’Black(Atelier clandestin). Reflet des activités alentour, l’œuvre met en scène une forme d’exploitation contemporaine et est emblématique de son travail. L’artiste prépare également son exposition : Surround, à l’Atelier des enfants. Ce jour de mai, le ciel est gris et il faudra composer avec la pluie. On s’installe quand même en terrasse. « Un thé au lait », demande-t-il, « parce que je suis irlandais ». Aucun accent décelable chez lui qui, né à Dublin en 1970, a passé toute son enfance à Paris.
Lorsqu’on l’interroge pour savoir si son travail s’adresse à des enfants, Malachi Farrell balaye la fumée de sa cigarette avant de répondre : « ça fait des années que je pense que j’ai un travail qui peut intéresser “le jeune public” mais, jusqu’à présent, l’opportunité ne s’était jamais véritablement présentée ». Il a pris en tout cas cette proposition très au sérieux, d’autant que celle-ci a, par hasard, rencontré ses autres projets en cours. Pendant l’année scolaire passée, Malachi Farrell a été artiste en résidence dans une école primaire du 18ème arrondissement de Paris, et invité à intervenir dans un collège de Seine-Saint-Denis. Son « challenge » : regrouper toutes ces expériences. Son Atelier des enfants n’est donc pas une proposition artistique créée spécialement pour les enfants, mais a été conçu avec eux. Il a dû pour cela adapter son mode de production. Usinées en amont, les pièces ont été assemblées dans les écoles. Certaines des machines fabriquées ainsi sont présentes dans l’exposition.

Rendre sensible à ce qui nous entoure

Avec les enfants, Malachi Farrell a choisi de travailler sur l’environnement. Un thème présent depuis toujours dans son œuvre mais qui, selon lui, est mal compris par ceux qui s’intéressent à son travail. Engagé, il refuse de l’être au sens politique du terme. Surtout, il ne veut pas être un donneur de leçons. Ce qui l’intéresse, ce n’est pas de dénoncer mais de rendre sensible à ce qui nous entoure. D’où le titre, Surround. Aujourd’hui, dans la mer, on trouve autant de déchets en plastique que de poissons. Une fois ce constat établi, qu’est-ce qu’on fait ? Des poissons en plastique qui s’agitent comme les feuilles aux branches d’un arbre. Un « recyclage » poétique pour parler joyeusement de notre malheur.  Sur la table de bistrot en partie mouillée, Malachi déroule les planches du projet. Il a imaginé un parcours avec trois ambiances. À l’entrée, la mer, origine de tout, accueille les visiteurs. Par analogie, Malachi Farrell installe des transats et dix Ocean Drums. Inspirés des tambours ancestraux, ces instruments restituent le bruit des vagues grâce aux mouvements de billes en métal. Mais, comme toutes les autres installations, ils ne s’animent qu’en présence du spectateur. Suit une forêt mouvante en PVC qui, avec ses «poissons feuilles », semble issue de la mer. Enfin, dernière ambiance : l’urbain. « Ici, c’est : danser avec les poubelles », résume Malachi Farrell. Pour lui, la ville est en crise. L’artiste, tout juste rentré de Mexico, raconte la mégapole grandie trop vite, ses écrans lumineux omniprésents et ses câbles à même le sol. Il veut rendre sensibles l’environnement urbain, sa vie et ses mouvements, par la danse frénétique de tubes de plastique et la chorégraphie silencieuse de casseroles.

l'atelier de l'artiste
Ocean Drums © Claire Mineur 

Contourner les contraintes

Silencieuse ? D’ordinaire, les installations de l’Irlandais sont accompagnées d’une bande-son métallique, rugueuse, stridente. «Je n’ai pas le droit de faire du bruit », explique-t-il. Les contraintes du lieu, ouvert, et les normes de sécurité pour accueillir les enfants s’additionnent ici. La différence avec une exposition « classique » dans un musée est peut- être là : monter une exposition pour enfants s’avère bien plus compliqué. Mais si ces contraintes influent sur le cours de son projet, rien ne semble pouvoir réfréner l’enthousiasme de Malachi Farrell. Il rêve de faire venir du Salvador des musiciennes « scientifiques » dont il se sent proche : quarante violonistes qui ont fabriqué leurs instruments à partir de boîtes de conserves. Volubile, l’artiste une fois lancé ne s’arrête plus. Il explique s’être formé à tous les corps de métiers : fraiseur, tourneur,… Il peut ainsi fabriquer ses machines tout seul. Comprendre le fonctionnement d’un appareil l’émerveille ; l’application, « la mise à mort de l’engin » dit-il, presque pas. Peut-être parce que toutes les potentialités se réduisent, d’un coup, à une seule. Derrière l’esthétique pauvre de ses installations, Malachi Farrell a recours à une technologie sophistiquée qui allie informatique, électronique et mécanique. Mais la perfection aseptisée d’une machine ne l’intéresse pas. « J’essaie », dit-il, « de trouver des caractères dans les machines », pour ensuite les mettre en scène et créer des ambiances.
Au moment de se quitter, il interroge à son tour. Il voudrait voir la bibliothèque. On improvise au pas de course une visite des trois niveaux. Malachi Farrell se souvient d’être venu là, étudiant, pour voir des vidéos mais il avait oublié l’immensité des lieux. « C’est un monstre ! », s’exclame-t-il. Un compliment dans la bouche de celui qui fabrique de si monumentales machines.

Marie-Hélène Gatto, Bpi
Article paru initialement dans de ligne en ligne n°15

Publié le 03/02/2015 - CC BY-SA 3.0 FR

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