Dossier

Arts

Un bâtiment combien de vies ?
ou la transformation comme acte de création

« Comme le cuisinier, l’architecte aurait son garde-manger et ferait sa recette en fonction de ce qui reste »

Patrick Bouchain

Affiche de l'exposition de la Cité de l'architecture & du patrimoine

La Cité de l’Architecture à Paris présente une exposition jusqu’en septembre 2015 intitulée « Un bâtiment combien de vies ? ». Le titre sous forme de question nous interroge : et si pour construire nous n’avions plus besoin de démolir systématiquement ?La Cité de l’Architecture à Paris présente une exposition jusqu’en septembre 2015 intitulée « Un bâtiment combien de vies ? ». Le titre sous forme de question nous interroge : et si pour construire nous n’avions plus besoin de démolir systématiquement ?

Le pavillon français à la biennale de Venise de 2014 posait lui aussi une question  « La modernité : promesse ou menace ?», en déclinaison de la thématique générale sur « Absorber la modernité ».  Tandis que le Pavillon de l’Arsenal, avec « Matière grise » en 2014, interrogeait la réutilisation des matériaux, le Pavillon réitère  en 2015 et propose une nouvelle exposition, « Métamorphoses », axée sur la transformation des surfaces de bureaux parisiens en logements.   

Comment comprendre aujourd’hui ces questionnements autour de la création architecturale et les remises en cause des grands principes de la modernité ?

La transformation, une idée neuve ? 

La  transformation a bien été la première innovation architecturale. Aux siècles précédents, la rareté et la difficulté de mise en œuvre des matériaux rendaient évidente leur réutilisation (une église sur un temple antique, des logements dans une enceinte fortifiée, etc). Au 19e siècle, Viollet-le-Duc apporte une valeur créative à la conservation des monuments historiques en les estimant transformables. Ce n’est qu’à partir de l’ère industrielle que la récupération ou le réemploi apparaissent comme des idées contraires à la modernité architecturale.
 

Le temps d’une vie…

Le concept de modernité en Occident depuis le 20e siècle repose sur une rupture avec le passé, incarné par le principe de table rase et d’irréversibilité, conditions même du progrès. L’idée fondatrice du mouvement moderne, énoncée en 1896 par l’architecte Louis Sullivan selon laquelle « la forme suit la fonction », est à l’origine de l’architecture fonctionnaliste, véritable fil rouge de toute architecture se réclamant alors de l’avant-garde. L’usage d’un bâtiment devient immuable, et sa transformation une méthode à négliger : il n’a qu’une vie. Les plus grands architectes (Le Corbusier, Mies Van der Rohe, Frank Lloyd Wright…) ont cru à un monde nouveau, dont l’architecture au vocabulaire entièrement renouvelé devait refléter l’image.  Par la suite, le post-modernisme n’a pas davantage laissé place au concept de réemploi. Les grands architectes du 20e siècle ont construit leur réputation sur des bâtiments sortis ex nihilo, véritables manifestes de la société de consommation et d’abondance illimitées. Est-on aujourd’hui à la fin d’un cycle où seul le  « geste architectural » est évalué, et pour lequel la fondation Louis Vuitton de Frank Gehry constituerait une sorte de chant du cygne ? 

 

…et le temps de plusieurs vies 

Chateau d'eau habité
Chateau d’eau habité à Thorpeness – Suffolk [domaine public Wikimedia commons]

En ce siècle naissant, les conditions sont très différentes : les matières premières s’épuisent, la conscience environnementale s’aiguise, la fin de l’ère industrielle change les paradigmes pour placer la notion de progrès sur d’autres champs.
Dans ce contexte, le réemploi dans le domaine de l’architecture, s’il n’est pas une idée nouvelle, prend un sens différent. La réhabilitation n’est en effet plus considérée comme une mission peu gratifiante mais au contraire comme un défi créatif, une opportunité, tant d’un point de vue esthétique, qu’économique ou écologique.  Faire du neuf avec du vieux devient une évidence. Les idées foisonnent et concernent autant la sauvegarde des monuments historiques que la réutilisation d’un bâtiment dénué de prestige, comme les friches industrielles ou les constructions des Trente glorieuses, laissées en déshérence. La grande nouveauté réside surtout ici : la préoccupation du bâti banal, notamment celui du 20e siècle, au cours duquel les constructions ont été particulièrement nombreuses avec un réemploi quasi nul. Tout devient alors matière à réutilisation par une transformation créative : des piscines en musées, des silos en hôtels, des moulins en restaurants, des filatures en appartements, des palaces en logements, des pavillons ordinaires en maisons design à énergie passive. Le plus grand défi pour le 21e siècle semble se nicher dans l’exploration du legs du 20e siècle. La production éditoriale, depuis les années 80, reflète cette prise de conscience, relayée par les expositions récentes.

En 2012, la Cité de l’architecture organise un colloque autour du thème « la logique de transformation ». Parmi les intervenants, Renzo Piano, l’architecte du Centre Pompidou, nous livre sa conception, constituant une forme d’introduction au sujet : la logique de transformation » .

Publié le 30/04/2015

Dans ce dossier

Article

Bibliothèque Pompeu Fabra à Barcelone
Bibliothèque de l'université Pompeu Fabra - Barcelone dans un ancien réservoir d’eau (1874) par Lluis Clotet , 1992-1999- [Domaine public - Wikimedia commons]

30/04/2015

Arts

« Architecturer, c’est transformer, organiser les mutations de ce qui est déjà là »  Jean Nouvel

Article

La Piscine de Roubaix
La Piscine de Roubaix, musée d’art et d’industrie, architectes : Albert Baert 1927-32/ Jean-Paul Philippon 1998/2001-By Camster2 [CC BY-SA 3.0], via Wikimedia Commons

30/04/2015

Arts

"Ne rien perdre et gagner sur tout"    Lacaton & Vassal

Article

Archives du monde du travail
Le centre des archives du monde du travail de Roubaix dans l'ancienne usine Motte-Bossut [photo Velvet CC BY-SA 3.0, Wikimedia commons]

30/04/2015

Arts

"Le patrimoine, c'est ce qui est disponible" Marc Barani