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Appartient au dossier : Cartier : un diamant gros comme le Ritz

Cartier dans la cour des Grands

Cartier symbolise l’élégance et le raffinement. Ses parures s’intègrent parfaitement bien dans les toilettes portées par les plus belles femmes quelles que soient les époques.

Sommaire

Cartier et la société


Lorsque Cartier s’installe au Boulevard des Italiens et plus tard Rue de la Paix, les diverses strates sociales se côtoient depuis le Second Empire. Ceci grâce à la présence des théâtres, de l’Opéra, des restaurants, Maxim’s (Rue Royale), des glaciers, Tortoni aujourd’hui disparu.

La salle à manger de la Princesse Mathilde
La salle à manger de la Princesse Mathilde, 24 rue de Courcelles, peint par Giraud Sébastien Charles (Domaine public)


Dans sa chronique « Trente ans de dîners en ville », Gabriel-Louis Pringué analyse finement et avec humour cette société cosmopolite : l’aristocratie, la bourgeoisie, la diplomatie, les affaires, la justice. Ce « Beau monde » se fréquente mais ne se mélange pas. Chaque société possède un jour de la semaine pour lancer des invitations à des dîners, des concerts, ou des œuvres caritatives. Pour Cartier, c’est une aubaine de les fréquenter, de les observer, de bien connaître leur goût en matière vestimentaire, de décoration intérieure. Les aristocrates, les Castellane, les Montesquiou, les actrices, Sarah Bernhardt, Gaby Deslys, les courtisanes, la Païva, Liane de Pougy, régentent Paris. Elles fréquentent les boutiques de mode, de parfumeurs, Worth, Cheruit, Guerlain, prennent le thé à l’hôtel du Ritz, situés près de la Place Vendôme. Elles n’ont que peu de chemin pour admirer les vitrines de Cartier, y entrer et choisir des parures pour compléter, embellir leurs toilettes.
 

Exposition universelle 1900
Vue panoramique de l’Exposition universelle de 1900, Lucien Baylac, Library of Congress

Paris brille de mille feux durant la Belle Époque. Paris se trouve au centre de l’univers de l’élégance et du bel art de vivre à la française. Paris attire une masse de sociétés étrangères venues des Amériques du Nord et du Sud, de la Russie, de l’Inde, sans oublier nos « voisins » représentés par la Grande-Bretagne, l’Espagne, l’Italie… Les Expositions universelles qui se tiennent à Paris de 1844 à 1937 ainsi que l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes en 1925, attirent les touristes des quatre coins du monde. Ces Expositions deviennent de véritables vitrines qui exposent les productions industrielles, architecturales artistiques.

L’élite américaine nouvellement enrichie grâce aux constructions de lignes de chemins de fers, de fabrications d’armement, ou appartenant aux milieux des affaires, des banques, les Astor, les Vanderbilt, les Pierpont Morgan redorent leurs « titres » en épousant l’aristocratie française ou anglaise – Anna Gould devient comtesse en épousant Boniface de Castellane, puis duchesse de Talleyrand et princesse de Sagan en seconde noce avec Hélie de Talleyrand-Périgord, Consuelo Vanderbildt épouse Charles Spencer-Churchill et devient donc neuvième duchesse de Marlborough. Dans leur corbeille de mariage, elles reçoivent de somptueux bijoux de Cartier. De même, les sud-américaines, Errazuriz, Alvear, Yturbe viennent à Paris faire leurs « achats » : robes, bijoux, mobilier du 18e siècle. Les maharadjas viennent des Indes à Paris avec leurs caisses pleines de diamants, pierres précieuses et perles. Connaissant Cartier de bonne réputation, ils lui apportent leurs pierreries. Et à Cartier de concevoir des parures en tenant compte de la mode de l’Inde et non celle de la France. Il en est de même pour les têtes couronnées et l’élite russes, le Tsar Nicolas II, le Prince Félix Youssoupov. Cartier conçoit des parures, des accessoires dans le style russe et non français.

Boîte en or et émail du tsar Nicolas II
Boîte avec monogramme du tsar Nicolas II, Wikimedia Commons, Walters art Museum (CC BY-SA 3.0)

Cartier doit jouer avec tact le rôle de confident et de conseiller pour proposer telle parure à telle clientèle. Cartier y tisse un réseau amical. Par l’intermédiaire de Boni de Castellane, grand amateur du 18e siècle, Cartier en apprend les arcanes des arts décoratifs. D’où la création de ravissants objets décoratifs rappelant les styles Louis XV et Louis XVI pour orner les consoles, les tables, les bibliothèques : petites sculptures animalières, florales de jade, de coraux, d’or, de pendulettes, de petits cadres pour des photos de familles.
Pendant la Première Guerre mondiale, tous les hommes partent au front. Les femmes de la haute société travaillent comme infirmières et transforment leur habitation en hôpital pour soigner les blessés. Jean Cocteau décrit cet univers dans son roman, publié en 1923, Thomas l’imposteur dont l’histoire se déroule en 1914.
Les Années folles donnent naissance à une nouvelle corporation appelée : Café Society. Ce n’est plus le gratin cher à Marcel Proust ou Edith Wharton, mais un mélange de mondains, de mécènes, d’artistes. La Café Society préfigure la Jet set qui prend naissance vers les années 1950. Pour oublier les horreurs de la Deuxième Guerre mondiale – sorte de répétition des Années folles après la Première Guerre mondiale – cette société mène la danse, organise des fêtes grandioses comme celles d’Etienne de Beaumont, la princesse de Broglie. Les bals sont à thèmes : Bal des Pierreries, Bal du Temps perdu. Alexis de Redé, collectionneur de mobilier XVIIIe siècle, reçoit Daisy Fellowes, écrivain et journaliste de mode, Cecil Beaton, photographe anglais, les Rothshchild dans son appartement en l’Hôtel Lambert. Ces convives s’habillent avec élégance et raffinement, se parent de beaux bijoux sortant des ateliers de Boucheron, Van Cleef & Arpels et, bien sûr, Cartier.

Robe du soir Dior
Boîte avec monogramme du tsar Nicolas II, Wikimedia Commons, Walters art Museum (CC BY-SA 3.0)



La mode suit le cours logique du regain des festivités avec une bombe lancée par le couturier Christian Dior : le New Look, expression dite par Carmel Snow, rédactrice en chef de Harper’s Bazaar. Les photographes, Henry Clarke, Richard Avedon, Irving Penn entre autres, publient ces événements dans les revues comme Vogue, Harper’s Bazar…
L’apothéose est atteinte par Charles de Beistegui, d’origine basque et décorateur d’intérieur, qui organise avec l’aide d’Emilio Terry, architecte et décorateur, une fête costumée en son Palais Labia à Venise. La soirée s’illumine et éblouit les invités célèbres dans les arts, l’aristocratie, la mode, la joaillerie, la diplomatie, s’intègre dans la mémoire des convives qui la classent comme Bal du Siècle. Les robes des dames sont dessinées par Dali, Christian Dior, Nina Ricci, Jacques Fath qui entrent « Chez les heureux du monde » (titre du roman d’Edith Wharton). Les bijoux de Cartier ruissellent sur ces toilettes extravagantes mais somptueuses.
 

Collier
Collier Cartier porté par Mona Bismarck, Wikimedia Commons, Jorfer (Domaine public)



En observant l’évolution de l’élite qui fait marcher le « Commerce » pour l’organisation de leurs fêtes, Cartier va créer des mallettes de pique-niques, des nécessaires de voyages avec des matériaux précieux à glisser dans leur automobile, dans la même lignée que Hermès, Goyard, Vuitton.


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Cartier et ses anecdotes

  • La montre-bracelet est créée fin XIXe siècle, se répand et se popularise. En 1904, Louis Cartier fabrique pour son ami, l’aviateur Alberto Santos-Dumont, une montre-bracelet de la marque conçue pour être portée au poignet avec un bracelet de cuir.
  • Auteur de Chéri, La Naissance du jour, Colette fait la connaissance de Cartier qui lui explique les légendes qui entourent les pierres précieuses, leurs effets maléfiques, les différences entre ces joyaux. Elle retient ses leçons et les transpose dans la nouvelle Gigi. Dans ce court roman, une tante, ancienne mondaine, apprend à sa nièce promise à un beau mariage à reconnaître les pierres précieuses. Editée en 1944, Colette offre et dédicace un exemplaire à Cartier.
  • En 1924, Cartier crée la célèbre bague aux trois anneaux appelée Trinity. Un « martien  »de simplicité dans un océan de bijoux somptueux. Cette bague est toujours aujourd’hui l’un des bijoux les plus vendus au monde. Jean Cocteau la commande en deux exemplaires : un pour lui et un autre pour Raymond Radiguet, auteur du Bal du Comte d’Orgel, avec lequel il partage la vie. Lorsque Jean Cocteau devient académicien en 1955, ses amis dont Chanel, Francine Weisweiller, femme de banquier et mécène, offrent une émeraude de 2,84 carats pour la première et des rubis et diamants pour la seconde. Cocteau dessine lui-même la silhouette de l’épée.
  • Domptée par son mari, la magnifique « mégère »Elizabeth Taylor apprivoise les diamants pour mieux les croquer surtout ceux en forme de poire. Richard Burton offre à sa femme le célèbre diamant de Cartier (69,42 carats).
  • D’origine mexicaine, l’actrice Maria Felix arrive chez Cartier avec une cage contenant un bébé alligator  pour servir de modèle de bijou. Elle demande au joaillier de lui créer un collier composé de deux crocodiles un en diamants jaunes-fantaisie de 60,02 carats et un autre en émeraudes de 66,86 carats. Ces deux alligators peuvent se séparer et se porter en broche.
  • La Duchesse  de Windsor, Barbara Hutton, et bien d’autres souhaitent la panthère comme motif de leurs parures.
    La qualité des pierres exceptionnelles et aussi leur grosseur deviennent des sujets de convoitises. Toutes les extravagances et exigences de la clientèle mettent au défi Cartier qui réussit à concevoir les bijoux même après de nombreuses années de tâtonnement pour arriver à un degré de perfection. À chaque évolution de la vie sociale, Cartier adapte ou anticipe tout en privilégiant la qualité, la beauté et l’intemporalité de ses créations. Et aussi, Cartier suit avec assiduité l’actualité : bâtons de maréchaux pour Pétain et Foch (Guerre), épées d’académiciens (Littérature), reproduction d’une maquette en or du module Apollo qui a atterri sur la lune (Science).  
Boîte en or
Boite en or Cartier 1967, Flik’r, Clive Kandel (CC BY-ND 2.0)


Impeccable dans son smoking, Sean Connery conduit l’Aston Martin avec désinvolture dans un paysage d’une beauté à couper le souffle. Bond, James Bond, l’agent secret immatriculé 007 de Sa Gracieuse Majesté, revoit toutes ses aventures en compagnies de fascinantes créatures embijoutées. Il sourit et pense que « les diamants sont éternels ».

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Publié le 04/12/2013

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