Sélection

Cinq BD pour sortir des cases
Sélection Angoulême 2025

Les personnages qui tracent leur propre chemin en dehors des normes ou à rebours des injonctions de la société, sont nombreux·ses dans la sélection officielle du festival de la BD d’Angoulême 2025. Balises présente cinq histoires de quête de soi émouvantes, innovantes, mais toujours inspirantes.

Qu’il s’agisse de luttes intimes, de remises en question profondes ou de voyages initiatiques, chacune des BD proposées par Balises et issues de la riche sélection officielle d’Angoulême 2025, invite à repenser les normes et à célébrer la liberté d’être soi-même.

Publié le 04/02/2025 - CC BY-NC-SA 4.0

Notre sélection

Impénétrable

Alix Garin
Le Lombard, 2024

Un jour, Alix a mal lors d’un rapport sexuel avec son compagnon. C’est le début d’un long chemin vers une guérison tant médicale qu’intime, qu’elle nous dévoile à travers un témoignage touchant sur ce que peuvent être le désir, la thérapie, la sexualité, l’amour et le couple.

Cette autobiographie graphique est un geste humble et courageux : l’autrice se met à nu pour nous parler du vaginisme dont elle a souffert. L’errance médicale qu’elle dessine est révélatrice de la place trouble qu’occupe encore la sexualité aujourd’hui, à la fois omniprésente et taboue. Pourtant, ni le plaisir ni le désir ne sont évidents et beaucoup de vécus sont toujours passés sous silence. Impénétrable questionne ces injonctions – comme la corrélation entre couple et sexualité –, ces violences aussi qui nous constituent. Mais elle le fait avec un dessin particulièrement agréable, tour à tour drôle, doux et puissant. Les couleurs alternent, de froides à lumineuses, elles deviennent brûlantes, pour rendre compte de ce qui se passe dans le corps d’Alix. On y puise de l’optimisme, comme par ailleurs dans sa belle relation avec son compagnon.

À la Bpi, Nouvelle génération, RG GAR I

La Harde

Marijpol
Atrabile, 2024

Petra, Denise et Ulla vivent en colocation. La première est culturiste de haut-niveau, la deuxième professeure de yoga et vendeuse de venin de serpent, la troisième une archéologue géante. Leur quotidien est bouleversé lorsqu’elles commencent à nouer des liens avec leurs jeunes voisin·es livré·es à eux-mêmes.

Ce roman graphique nous plonge dans un monde futuriste où les corps sont souvent hors normes : greffes animales, obésité, gigantisme, hypertrichose, bodybuilding… Petra, Ulla et Denise se démarquent par leur apparence, source pour elles de plaisir et de fierté, mais aussi de gêne, d’hypersexualisation et de rejet. Les illustrations produisent d’ailleurs intelligemment le même effet à la lecture : nous ressentons un plaisir devant ces représentations de corps différents et puissants, mêlé à un sentiment d’étrangeté. Mais l’histoire se focalise surtout sur leur bienveillance envers la fratrie qu’elles prennent sous leurs ailes : Marijpol dépeint, tout en bichromie violette et en délicatesse, l’attachement réciproque qui se crée et la complexité des émotions que cela suscite chez les trois amies. Résolument queer, La Harde nous tend un miroir déformant pour interroger les normes autour du corps, du couple, de la famille ou encore de la féminité. Cette famille choisie, aux différences harmonieuses, donne de l’espoir.

À la Bpi, Nouvelle génération, RG MAR H

Mean Girls Club. La vague rose

Ryan Heshka
Les Requins marteaux, 2024

Mean Girls Club nous plonge dans un univers pulp et déjanté, où un gang de femmes défie l’autorité patriarcale. Le maire, exaspéré par leurs frasques, tente par tous les moyens de les faire disparaître. Mais, dépassé par la violence et l’ingéniosité du groupe, il échoue lamentablement. Pour venir à bout de ces rebelles, il fait alors chanter Roxy, la forçant à infiltrer le club. Déchirée entre sa mission et l’énergie dévastatrice du gang, elle se retrouve face à un dilemme : trahir celles et ceux qui l’accueillent dans leur débauche furieuse ou succomber à leur rage vengeresse.

Le message, volontairement caricatural, donne toute sa force au récit. En exagérant la révolte des protagonistes, Ryan Heshka transforme leur vengeance en un défouloir jubilatoire. Cette approche cathartique fait écho au sexisme systémique et omniprésent de notre société. La radicalité du propos, loin d’être gratuite, sert une relecture engagée des récits traditionnels tout en offrant au lectorat une échappée libératrice. Le style graphique s’empare des codes esthétiques stéréotypés des comics des années 1950 pour établir un contraste avec la brutalité de l’action. Le trait épais et les couleurs roses et noires créent un visuel fort, en parfaite cohérence avec l’univers punk du récit. Le dynamisme du découpage accentue l’effet explosif de chaque planche.

Au final, Mean Girls Club est une œuvre punk et jouissive, qui nous offre une lecture aussi nécessaire qu’amusante.

À la Bpi, Nouvelle génération, RG HES M

En territoire ennemi

Carole Lobel
L'Association, 2024

Comment l’amour peut-il devenir un piège ? C’est la question que soulève Carole Lobel dans En territoire ennemi, un roman graphique à la fois intime et percutant. Carole, issue d’une famille stricte et religieuse, s’émancipe en intégrant les Beaux-Arts, où elle laisse libre cours à son talent de dessinatrice. Sa rencontre avec Stéphane bouleverse son quotidien : il lui fait découvrir l’amour, la vie à deux et les joies d’un jeune couple. Mais, peu à peu, Stéphane s’enlise dans des idéologies extrêmes et adopte un comportement oppressant, isolant Carole du monde extérieur. Elle passe alors d’un carcan familial à un foyer sous tension, confrontée à une relation toxique qui ébranle son identité.

Ce récit autobiographique, illustré au stylo bille, traduit l’urgence et la cruauté de l’expérience que vit la protagoniste : l’emprise. Chaque trait semble témoigner de la lutte intérieure de l’autrice et de son cheminement vers l’émancipation, tant personnelle qu’artistique. En territoire ennemi interroge avec justesse nos rapports à l’autre et montre la manière insidieuse dont une relation ou des idées toxiques peuvent se développer.

À la Bpi, Nouvelle génération, RG LOB E

Terrible. L'enfant, la jeune fille et la sorcière

Henry Gaël
Dupuis, 2024

Ana emmène son petit frère, Noé, en promenade en forêt, où elle a donné rendez-vous à son amoureux. Noé s’ennuie pendant que les deux se bécotent. Il explore les environs et se faufile dans une grotte qui mène à un monde étrange et fantastique. Ana se lance à sa poursuite, mais trop tard, Noé a disparu. Elle parcourt ce monde singulier, peuplé de personnages pas très malins et d’autres issus du folklore russe, comme la belle Vassilissa et sa poupée magique, mais aussi de monstres cruels, tels que la sorcière Yaga. Sa quête s’avère longue et difficile, mais, au fil des épreuves et du temps, Ana grandit.

La narration emprunte aux codes du conte de fées pour mieux les détourner et donner naissance à une bande dessinée pour adultes. Derrière la douceur des couleurs et des dessins se cache une histoire cruelle et trash, ponctuée de scènes dures ou même crues. Cynique, provocateur et un brin gore, le récit fait rire tout en explorant la construction d’une personnalité. L’héroïne, embarquée bien malgré elle dans des situations délicates, se forge un caractère, pourtant déjà bien affirmé, et trace sa voie.

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