Sélection

Appartient au dossier : Effractions 2021

Cinq romans en lice pour le prix Effractions 2021

Le prix Effractions, remis par la Société des Gens de Lettres (SGDL) et la Bpi, récompense un ouvrage, romanesque ou non fictionnel, qui s’approprie le réel pour jeter un regard singulier sur les enjeux de notre temps.

Balises vous propose de découvrir les cinq romans en compétition pour le Prix Effractions 2021.

Publié le 15/02/2021 - CC BY-NC-SA 4.0

Les livres en compétition

Black Manoo

Gauz
Le Nouvel Attila, 2020

Black Manoo débarque à Paris avec son vrai-faux passeport ivoirien un 15 août caniculaire des années quatre-vingt-dix. Il imaginait la porte des Lilas comme une arche fleurie plutôt qu’une deux fois quatre voies, mais les quartiers populaires de l’Est parisien seront désormais son village. Tel la Zazie de Queneau, Black Manoo arpente poétiquement la ville et se l’approprie avec une gouaille jubilatoire.

Du deal de la place Stalingrad au Danger, squat multiculturel du quartier Danube, en passant par le Moukou, boîte afro au pied du siège du Parti communiste français, le roman dresse une cartographie du Paris encore populaire des années quatre-vingt-dix, où se rencontraient vieux ouvriers et sans-papiers. On y lit en filigrane l’histoire des vagues de migrations qui ont fait l’Est parisien, incarnées dans les amitiés que noue Black Manoo avec un vieil auvergnat de la rue de l’Orillon, la star des bals poussières abidjanais Gun Morgan ou le dealer défroqué Lass Kader.

Il émane du texte une douce nostalgie et une grande tendresse pour la ville d’adoption de Gauz. L’auteur, ivoirien également, a découvert Paris dans les mêmes années que son héros.

À la Bpi, niveau 3, 846.3 GAUZ 4 BL

Freshkills

Lucie Taïeb
La Contre-Allée, 2020

À son ouverture en 1947, la décharge de Fresh Kills, au sud de New York, ne devait rester en activité que trois ans. En 2001, après avoir accueilli une partie des débris du World Trade Center, Fresh Kills ferme enfin. Entre-temps, le site est devenu la plus grande décharge à ciel ouvert du monde. Aujourd’hui, cette enclave d’un millier d’hectares de Staten Island est sur le point d’être recouverte par un immense parc, construit sur les déchets.

C’est autour de ce refoulement du rebut, d’abord dans les marges urbaines puis sous terre, que débute le projet d’écriture de Lucie Taïeb. Découverte par l’autrice dans les pages d’Outremonde de Don DeLillo, qui évoque sa présence monstrueuse aux portes de la ville, la décharge apparaît comme une figure du refoulé. À l’écart mais visible depuis la pointe sud de Manhattan, elle devient un symbole de notre déni de réalité face aux traces que nous laissons sur Terre.

Enquêtant sur ce lieu hors normes et sur les mutations du tissu urbain qui l’entoure, Lucie Taïeb compose un texte qui, comme son objet d’étude, procède par strates. À mesure que ses recherches progressent, son travail d’élaboration poétique vient se superposer aux discours historiques et techniques glanés dans les archives et les thèses de spécialistes. Cette sédimentation de l’écriture devient à son tour l’image de ce que l’humanité construit sur ses ruines et ses déchets, que ce soit pour en sauvegarder la mémoire ou pour les pousser dans l’oubli. À travers cette mise en forme littéraire de l’enquête, Freshkills devient la preuve tangible de l’impossibilité, pour tout ce que nous cherchons à enfouir, de rester souterrain.

À la Bpi, niveau 3, 840″20″ TAIE 4 FR

La Tannerie

Celia Levi
Tristram, 2020

Sa formation de libraire terminée, Jeanne quitte la Bretagne pour tenter sa chance à Paris. Carrière, amours, amitiés : tout un monde, aussi excitant qu’angoissant, s’ouvre à elle. Mais, dans l’incapacité à trouver un emploi stable, Jeanne enchaîne les contrats courts à la Tannerie, lieu artistique alternatif implanté sur le canal de l’Ourcq. Dans ce microcosme dont les vœux d‘inclusivité dissimulent mal la précarité effective des employés, Jeanne fait ses premières expériences de l’engagement politique, apprend les codes d’un entre-soi fondé sur la distinction culturelle, et tombe éperdument amoureuse.

S’il nous plonge dans un monde immédiatement contemporain, La Tannerie évoque plutôt, par sa forme très classique, les grands romans initiatiques du 19e siècle. À la manière d’un héros de Flaubert, Jeanne court d’illusions en déceptions. La narration indolente comme les dialogues très écrits permettent à Celia Levi d’épingler toutes les postures de ses personnages, sans jamais céder à la caricature. Analysant finement les mécanismes de domination sociale, La Tannerie dévoile ainsi, à travers l’expérience de la jeune ingénue qu’est Jeanne, les processus d’exclusion qui se jouent aussi bien à l’échelle des individus qu’à celle, plus large, de l’espace urbain gagné par la gentrification.

À la Bpi, niveau 3, 840″20″ LEVI 4 TA

Les Nuits d'été

Thomas Flahaut
Éditions de l'Olivier, 2020

À l’été 2016, entre Franche-Comté et Jura suisse, des ouvriers frontaliers se relaient jour et nuit à l’usine de fabrication de pièces destinées à l’industrie automobile, en Suisse. Bruit, odeur, cadence, machines… Dès les premières pages, le décor est planté.

Thomas vient d’y être engagé. Il a tenté d’échapper à une vie toute tracée en faisant des études et a échoué, sans oser l’avouer à ses parents. Il retrouve Mehdi, ami d’enfance, qui depuis des années passe ses nuits à l’usine et ses journées sur les marchés pour aider son père. Mehdi rêve d’ailleurs et s’oublie dans de folles courses à moto, seule passion pour tenter d’oublier la fatigue, le bruit des machines, un futur incertain. Et, il y a Louise, la sœur jumelle de Thomas. Cette brillante étudiante en sociologie débute une étude sur le monde ouvrier. Tous trois, enfants des classes populaires, aspirent à une vie meilleure. Cet été-là, tout bascule : la fermeture annoncée de l’usine va profondément remanier l’équilibre du quartier et le destin de ces trois personnages.

Après le très remarqué Otswald, Thomas Flahaut poursuit son exploration de la culture ouvrière. Dans Les Nuits d’été, il explore la fin du monde ouvrier, mais compose aussi un roman de l’intime où se nouent relations amoureuses et amitiés intenses. Son écriture précise et poétique dessine le portrait de jeunes adultes qui se cherchent un destin, entre rêves, espoirs et désillusions.

À la Bpi, niveau 3, 840″20″ FLAH 4 NU

Octobre Liban

Camille Ammoun
Inculte, 2020

À l’automne 2019, en pleine révolution libanaise, le narrateur d’Octobre Liban arpente à Beyrouth une rue longue de plus de quatre kilomètres. Du rond-point de Daoura jusqu’à la place de l’Étoile où siège le parlement, la ville sert de matière pour raconter l’histoire politique récente d’un Liban brisé par la guerre civile, divisé et corrompu, mais porté par une révolte inédite.

Le texte court de Camille Ammoun apparaît d’abord comme un manifeste en faveur de la révolution. L’écriture sensuelle rend la topographie organique pour mieux défendre la réappropriation de la ville par ses habitants et de la nation représentée par un corps social qui se constituerait enfin. « Puis tout s’est arrêté », indique le dernier chapitre. La pandémie et le confinement étouffent dès le printemps 2020 le mouvement populaire, avant que l’explosion du 4 août sur le port de Beyrouth ne mette la ville, littéralement, à terre. Le souffle poétique d’Octobre Liban concourt à maintenir vivante la mémoire d’une époque révolue et d’une organisation urbaine en partie disparue.

À la Bpi, niveau 3, 840″20″ AMMO 4 OC

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