Sélection

Cinq romans en lice pour le prix littéraire Effractions 2020

Entrer dans la vie des personnages, prêter l’oreille à leurs récits ou à ce que les faits disent d’eux, décrire le déroulement des événements pour saisir l’épaisseur des choses et la réalité du monde… certains romans entraînent leurs lecteurs bien au-delà de l’intrigue et des péripéties. Les ouvrages sélectionnés par la Bpi et la Société des gens de lettres pour le prix littéraire Effractions sont de ceux-là. 

Balises vous présente les cinq ouvrages en compétition pour l’édition 2020.

Publié le 10/02/2020 - CC BY-SA 4.0

Sélection de références

Avant que j'oublie

Anne Pauly
Verdier, 2019

À la mort de son père, Anne assume les démarches habituelles. Avec l’aide de son frère, elle organise la cérémonie, elle envoie les faire-part, elle règle les détails des obsèques avec la compagnie des pompes funèbres. Puis, Anne vide la maison et trie les affaires de son père. Elle se souvient. Elle repense à lui, à la vie qu’il a vécu et, au fil du récit, elle dessine le portrait d’un homme qu’elle redécouvre. Il a été le fils d’un boucher ayant décidé de quitter l’Alsace suite à son annexion par le Troisième Reich. Il est devenu ouvrier sans doute parce qu’il habitait trop loin de l’école pour pouvoir continuer ses études. Il a vécu l’euphorie des Trente Glorieuses, mais il a vite été déçu par le consumérisme. Il finit, nous raconte sa fille, par noyer ses déceptions dans l’alcool alors que sa femme trouve refuge dans la religion.
Au premier abord, le portrait est peu flatteur : l’homme est alcoolique, violent, peu soigneux. Mais progressivement, la narratrice dévoile un autre visage. Elle souligne sa grande tendresse, sa sensibilité et son sens de l’humour.

Dans ce récit en forme de témoignage, Anne Pauly raconte la mort, l’enterrement et surtout le deuil. Elle oscille entre regrets, culpabilité et mélancolie, et fait le constat de l’absence avec pudeur et humour. Anne Pauly livre un texte drôle et intimiste. Elle porte un regard lucide sur le monde et sur le temps qui passe à travers le portrait émouvant d’un homme abîmé par la vie, tout en contradictions et en ambivalences.

Dans un style vivant, incisif et parfois déchirant, l’autrice écrit un sublime roman sur la relation père / fille. L’écriture de ce deuil provoque une épiphanie qui donne une couleur résolument optimiste au récit.

À la Bpi, niveau 3, 840″20″ PAUL.A 4 AV

Cora dans la spirale

Vincent Message
Seuil, 2019

Perdue dans la foule massée sur le quai, Cora Salme attend le métro du matin. Elle sait que la reprise sera rude, qu’il va falloir se réhabituer à la pression quotidienne des machines et des corps.
De retour de congé maternité, elle reprend son travail chez Borélia, une compagnie d’assurances en pleine restructuration suite à la crise de 2008. Rachetée par des actionnaires en quête de performance, l’entreprise familiale connaît un changement drastique de politique managériale, visant à optimiser les méthodes et les coûts. Bientôt, Cora se retrouve dans le viseur. Sans cesse contrôlée, harcelée par son supérieur, pressée par les chiffres, elle perd le fragile équilibre qu’elle s’était construit. Brutalement, le temps et le monde s’accélèrent : Cora est entrée dans la spirale.

Grand roman de nos mutations contemporaines, Cora dans la spirale décortique la complexité d’un système qui broie inexorablement les individus. Dépossédée d’elle-même, Cora porte la sauvagerie d’un monde ravagé par la violence économique et sociale. En intriquant capitalisme et féminisme, Vincent Message réussit un roman puissant, dense et précis, bouleversant portrait d’une femme et d’une époque en crise. En décrivant ces points de basculement et de rupture, il affirme la précieuse nécessité d’inventer des espaces de résistance et de désirs, les seuls qui puissent nous sauver de la brutalité du monde.

À la Bpi, niveau 3, 840″20″ MESS 4 CO

Francis Rissin, roman de Martin Mongin

Francis Rissin

Martin Mongin
Tusitala, 2019

Des affiches mystérieuses. Une intrigue audacieuse. Une narration prodigieuse. Un personnage insaisissable. Un roman inclassable, d’une actualité redoutable. Voilà comment résumer les 600 pages de Francis Rissin, le premier roman de Martin Mongin.

​Difficile de définir ce roman, tant il s’inscrit au-delà du genre romanesque. Le lecteur navigue entre le roman politique, le polar, le journal intime, la biographie ou encore le fantastique. Il est tout aussi difficile de définir le personnage central du roman, le fameux Francis Rissin, personnalité politique à la fois omniprésente et évanescente, tantôt convoitée, tantôt redoutée, qui est tour à tour sujet de recherche universitaire, incarnation d’un espoir, ou encore objet d’une enquête policière… Francis Rissin est à la fois intangible et étrangement familier. Une fois que l’on a vu, lu ou entendu son nom, on ne l’oublie plus. Enveloppé de mystère, ce nom représente à la fois tout et rien. Alors qu’il semble cristalliser les espoirs d’une nation, alors qu’on le voit martelé un peu partout, alors qu’on se demande même si Francis Rissin n’est pas l’autre nom de Dieu, personne ne sait qui est Francis Rissin. Même sur Google, la requête « Francis Rissin » n’aboutit à aucun résultat !

Et pourtant, le chapitre central du roman lui donne la parole. À la première personne, Francis Rissin dénonce avec virulence le système politique français et se présente comme un sauveur. Il est partout et en même temps « aussi impalpable que le vent ». Et il n’apparaît pas seulement sur ces étranges affiches bleues et blanches qui peuplent les murs partout en France : Francis Rissin, ce sont aussi des bustes en terre cuite à son effigie (alors que personne ne l’a jamais vu) remplaçant les bustes de Marianne dans plusieurs mairies de France, une exposition « Visages de Francis Rissin » au Centre Pompidou à Paris, ou encore les Archives Francis Rissin… Le récit joue sur la schizophrénie supposée du personnage et sur le fait que ce nom, Francis Rissin, qui résonne tel un écho entêtant, est celui d’un individu multiple. Au bout d’un certain temps, on ne sait plus si on traque Francis Rissin ou si c’est l’inverse. Le roman tout entier prend la forme d’un jeu de piste, sorte d’enquête géante qui s’appuie en réalité sur des archives fictives et de faux témoignages.

La construction pyramidale du roman est parfaitement maîtrisée. L’auteur brouille malicieusement non seulement les frontières entre les genres, mais aussi les pistes pouvant mener à Francis Rissin, tout en bousculant avec brio les liens entre littérature et politique, parvenant à sonder la société actuelle à travers la fiction. Ce roman est là pour saisir et décrypter les angoisses du présent. Il résonne bruyamment avec la crise politique et les revendications sociales qui secouent la France depuis plusieurs mois. À travers ce roman, c’est tout l’inconscient collectif qui s’exprime et qui cherche à s’identifier à la figure providentielle et résolument contemporaine de Francis Rissin, sorte de super-héros de la politique moderne dont l’histoire s’achève de manière délicieusement surprenante.

À la Bpi, niveau 3, 840″20″ MONG 4 FR

Les Furtifs

Alain Damasio
La Volte, 2019

Dans les villes de 2041, nul ne peut plus prétendre à l’anonymat. Réalité augmentée, publicités ciblées, « expériences premium » destinées aux plus aisés : tout y est fondé sur la reconnaissance de l’identité de chacun, à chaque instant. Dans cet univers de surveillance continue, une légende urbaine commence à prendre de l’importance : il existerait une espèce inconnue, capable d’échapper au regard humain et à toutes les technologies en se déplaçant à grande vitesse et en s’adaptant par des mutations quasi-instantanées à son environnement. Ces mystérieux « Furtifs » sont au cœur des recherches d’une unité militaire secrète, le Récif, où vient d’entrer Lorca Varèse, convaincu que la disparition de sa fille de quatre ans a un rapport avec l’existence de ces créatures insaisissables.

Récit polyphonique à six narrateurs, Les Furtifs est une aventure du langage autant qu’une épopée de science-fiction. Au travers de ces six voix bien distinctes, Alain Damasio déploie toute l’étendue de sa virtuosité stylistique, forgeant une langue mouvante, instable, en proie à des mutations poétiques qui reflètent le rapport sensible au monde des Furtifs et de cette poignée de personnages qui, en les approchant, s’imprègnent de leurs capacités.
Autour de ce passionnant exercice d’équilibriste, Damasio construit un récit riche en rebondissements et d’une puissance visuelle fulgurante, où s’entremêlent un univers SF fortement politique, qui interroge la privatisation galopante de tous les espaces publics, et une forme de merveilleux héritée du conte, propre à réenchanter notre rapport au monde et à remettre en question la place que s’y est octroyée l’humanité.

À la Bpi, niveau 3, 840″20″ DAMA 4 FU

Un monde sans rivage

Hélène Gaudy
Actes Sud, 2019

Été 1897. Ils sont trois scientifiques, trois Suédois, à quitter l’île de Danskoya en ballon, avec ce rêve fou d’atteindre le territoire le plus au nord jamais foulé par les hommes.
Èté 1930. Des pêcheurs découvrent par hasard, sur une île reculée, les restes d’un campement et trois corps figés dans la glace. Parmi les objets exhumés, un appareil photo dont les pellicules, miraculeusement préservées par le froid, vont révéler des images oniriques, seules témoins d’un voyage sans retour.

À partir de ces clichés et du journal de bord de l’expédition, Hélène Gaudy retrace l’errance de ces explorateurs de l’Arctique. Dans ce « monde sans rivage », titre de l’œuvre, plus de frontières, plus de repères : seulement le silence, et l’immensité de paysages aussi inhabitables qu’envoûtants.
Ce récit inclassable, à la fois enquête historique et reportage littéraire, est aussi une méditation sur l’image et la mémoire, qui dresse à petites touches des portraits d’hommes émouvants dans leur désir de découvertes. Le texte, d’une grande poésie, laisse toute leur place aux blancs de l’histoire, à l’image de ces photos retrouvées où l’effacement du temps se confond avec la blancheur de la banquise et de ses habitants.

À la Bpi, niveau 3, 840″20″ GAUD.H 4 MO

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