Très jeunes, Claudine Bories et Patrice Chagnard sont tombés amoureux du cinéma. Ils en ont chacun fait leur métier. Ils se sont ensuite rencontrés grâce à cette passion commune. Depuis, ils se sont peu à peu mis à réaliser ensemble leurs films documentaires, formant un couple de cinéastes en prise avec la vie.
Quels sont vos parcours respectifs avant votre rencontre ?
Claudine Bories (C. B.) : J’ai quitté le lycée à seize ans, en même temps que je quittais mes parents. J’ai d’abord fait du théâtre comme comédienne. J’ai intégré l’équipe du théâtre de la Commune d’Aubervilliers. Puis, j’en ai eu assez d’être comédienne, je trouvais trop compliqué d’être toujours en train de solliciter les désirs. On continue à le faire en réalisant, mais alors c’est le film qui suscite le désir, ce n’est pas soi-même… Je suis tombée amoureuse du cinéma très jeune. À l’époque, le cinéma était comme un miroir du monde, il révélait quelque chose de profond de ce que nous étions en train de vivre. J’étais née dans un milieu ouvrier très modeste et je trouvais essentiel de porter un regard de cinéma sur ce milieu. J’ai donc tourné mon premier film, Femmes d’Aubervilliers, en 1977, produit par le théâtre de la Commune. Je n’avais aucune formation de cinéma, mais c’était une période très ouverte et, dans le cadre de notre activité de Maison de la culture, je recevais de grands réalisateurs, Renoir, Truffaut, Godard, qui venaient au théâtre en banlieue présenter leurs films. Ils m’ont beaucoup appris. Ma formation n’est donc pas du tout scolaire. C’est la rencontre de la scène qui a été pour moi fondamentale ; que ce soit en jouant ou en filmant, pour moi il s’agit toujours d’une scène qui permet la rencontre avec un Autre.
Patrice Chagnard (P. C.) : Je pourrais parler de ma passion pour le cinéma dans les mêmes termes que Claudine. J’ai également quitté très tôt ma famille, mais la mienne était bourgeoise. À dix-sept ans, j’étais secrétaire général du ciné-club de la ville de Grenoble qui était le plus important de France. Après, je suis parti dans la grande aventure hippie qui a été pour moi un moment fondateur. J’ai fait plusieurs fois « la route des Indes » comme on disait alors, et j’ai gardé de cette expérience deux passions : la rencontre des peuples et la recherche spirituelle. Quand je suis revenu en France, je pense que j’ai choisi le documentaire parce qu’il me permettait de réunir ces deux passions et celle du cinéma. C’était une façon de continuer le voyage autrement. Dans ces années-là, les chrétiens n’avaient pas peur d’exercer un regard critique sur la société, sur l’ordre du monde et aussi sur eux-mêmes. C’était l’époque de la théologie de la libération. Il était beaucoup question de l’émancipation des peuples, et aussi de la rencontre entre les différentes traditions spirituelles, entre l’Orient et l’Occident. Toutes ces questions me touchaient. Le cinéma était pour moi le moyen de les aborder de façon personnelle, en me tenant à l’écart des images pieuses, du discours, de l’idéologie qui sont si pesants surtout quand il s’agit de religion ou de spiritualité. Pour moi, le cinéma a toujours été un outil pour rejoindre la vie, c’est-à-dire pour échapper justement à l’enfermement dans les images.
Depuis ces débuts, vous avez chacun de votre côté constitué une œuvre en tant qu’auteur de films documentaires. Et puis, vient la rencontre…
P. C. : En 1993, avec quelques autres réalisateurs, on a fondé l’Association des cinéastes documentaristes (ADDOC). Cela répondait à un besoin de sortir de l’isolement, de parler de nos désirs et de nos pratiques de cinéastes. C’est là, à l’occasion d’un atelier sur la question de la vérité et du mensonge dans le cinéma documentaire, que Claudine et moi nous sommes connus.
C. B. : Nous avons commencé par collaborer aux films de l’un et de l’autre. Et c’est à force de collaborer que la question de la coréalisation est devenue évidente.
P. C. : Elle s’est imposée ! En fait, ce désir était là assez tôt, mais c’était compliqué côté « ego « . Alors, on y a été tout doucement… La coréalisation a commencé avec Et nos rêves en 2006.
Dans les films de Claudine, il y a beaucoup de femmes, dans ceux de Patrice, il y a beaucoup d’hommes. Et à partir du moment où vous coréalisez, il y a des hommes et des femmes.
P. C. : À partir du moment où on réalise ensemble, il y a beaucoup de choses qui se rencontrent.
C. B. : Oui, il y a nos deux histoires, mais pas seulement individuelles…
P. C. : Les Arrivants, c’est typique. On a travaillé assez longtemps sur ce projet avant de trouver la forme que nous allions lui donner. Au début, c’était l’idée d’un film qui s’appellerait Paris port de mer. Je découvrais que les gens que j’étais allé chercher à l’autre bout du monde pendant vingt ans étaient maintenant dans Paris ! Le voyage, je pouvais le faire à pied, en traversant la Seine et en allant d’un quartier à un autre. On a commencé à imaginer un film autour de ça. Et Claudine m’a dit « Ah oui, mais la question, c’est la parole, parce que ça, ce ne sont que des images, mais où est-ce que ça parle ? » Alors on a cherché l’endroit qui était l’Ellis Island de tous ces immigrants. Et nous sommes tombés sur ce lieu qui s’appelle la CAFDA — la Coordination de l’accueil des familles demandeuses d’asile — qui est un lieu de parole par excellence, ce qui répondait à la question de Claudine.
C. B. : Depuis toujours je cherche à mettre en scène la parole. Ça vient certainement du théâtre, mais ça vient aussi plus simplement de ce que je suis. Pour moi, la parole est quelque chose d’absolument vital, elle ne donne pas seulement du sens, elle est sens.
Dans ce film, le point de vue du traducteur vous permet d’avoir une position pivot dans la circulation de la parole entre les accueillants de la CAFDA et les arrivants. Et grâce aux sous-titres, au son, à l’image, et à la place que vous avez su trouver, il y a une intelligence de ce qui est vécu par les uns et les autres.
C. B. : Le traducteur était en effet un des pôles dans chaque situation. Sa place dans les scènes que nous filmions créait d’emblée une dramaturgie.
P. C. : Cette présence permettait une mise en scène de la parole qui était en jeu entre les arrivants et les accueillants.
C. B. : Le cinéma direct permet de découvrir ce genre de dispositif et de l’intégrer. On arrive sur un tournage sans savoir exactement ce qui va se passer, quelle va être notre place. On observe et on cherche. Il s’agit de trouver, à travers ce qui se passe, ce qui nous intéresse vraiment. Il faut traverser la réalité qui se présente souvent de manière très confuse. Une fois qu’on a trouvé ce qu’on cherchait de façon parfois inconsciente, il faut absolument se fier à ça même si cela semble aberrant.
P. C. : Le cinéma est l’outil pour que quelque chose se révèle. Il y a quelque chose qu’on ne sait pas et qu’on ne saurait pas sans le cinéma.
C. B. : Et c’est parce qu’on fait confiance à ça qu’au bout il y a (peut-être) un film.
P. C. : Le fait de me demander « où je mets la caméra ? » me donne une intelligence du réel. Je ne me place pas abstraitement, mais en fonction de l’angle que la caméra me suggère, pour avoir une image plus juste, plus vraie de la situation que je suis en train de vivre et que je ne comprends pas. Et parce que le cinéma m’indique cette place, il m’indique aussi une manière de comprendre ce que je vois.
Dans Les Règles du jeu, vous filmez des jeunes qui suivent une formation délivrée par Ingeus, société spécialisée dans l’insertion professionnelle. Il y a toute une mise en scène préexistante au film de la part de l’entreprise de coaching. Le documentaire est-il un outil pour dévoiler cette mise en scène du réel ?
C. B. : Oui et non, car cette mise en scène du réel sert aussi le film.
P. C. : De toute façon, lorsqu’on filme des gens, ils se mettent toujours en scène. Mais il y a une manière de se mettre en scène qui peut répondre à notre désir, qui peut répondre au désir que la caméra inspire par sa présence, par son insistance. Quand je dis la caméra, c’est aussi la personne qui est derrière, c’est aussi nous bien sûr, notre présence, notre manière de ne rien demander, par exemple, qui crée chez la personne filmée comme une attirance magnétique à donner quelque chose. Et souvent, le meilleur de ce cinéma-là naît de cette alchimie. Dans Les Règles du jeu, une complicité s’est établie entre le personnage de Lolita, la caméra et nous. Lolita sait très bien comment elle est regardée, elle sait que nous l’aimons. Du coup, elle a envie de donner quelque chose d’elle-même. Elle devient un personnage important et la directrice d’Ingeus se met à la regarder autrement. Au lieu de dire « la caméra crée du jeu et donc du faux ou de l’artificiel », on peut dire l’inverse : elle crée du plus vrai encore.
C. B. : Oui, mais pas toujours. Par exemple, dans Monsieur contre Madame, quand j’avais affaire à Monsieur H., cet homme très narcissique pouvait complètement pervertir ce principe.
P. C. : Il voulait faire sa propre mise en scène.
C. B. : Oui, et au montage on a dû couper des moments pourtant forts avec lui parce ça prenait toute la place et ça nous faisait basculer dans autre chose. Ce n’est donc pas toujours simple !
P. C. : Oui, c’est une alchimie subtile.
Bande-annonce du film Les Arrivants, 2009
Bande-annonce du film Les Règles du jeu, 2014
Propos recueillis par Florence Verdeille et Lorenzo Weiss, Bpi
Article paru initialement dans le numéro 24 du magazine de ligne en ligne.
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