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Appartient au dossier : Climat • Paris 2015

Climat • L’écologie sonore
Musique et environnement

Le début des années 70 connaît l’émergence des grands thèmes écologiques, qui trouvent un écho chez un grand nombre de musiciens. Parmi eux, les membres du Weather Report (Bulletin météo), issus des diverses formations de Miles Davis, ou encore ceux de Earth (Terre), groupe de rock metal contemporain originaire de Seattle. Mais « climatique » la musique l’est au fond depuis les poèmes symphoniques de la fin du 19e siècle (La Moldau de Smetana ; La Mer de Debussy) et le début de la phonographie.
Plus qu’une tendance, la musique de notre époque semble ainsi porter comme emblèmes la Terre et l’avenir de son climat.

Écomimétisme

Cet écomimétisme, selon l’expression des auteurs du dossier consacré par la revue Circuit. Musiques contemporaines aux « empreintes écologiques », est bien plus qu’un effet de mode. L’ère de la machine qui enregistre, notamment les sons de la nature (des insectes aux pulsars), est aussi celle d’une prise de conscience: celle, angoissée, de l’irréversibilité des transformations que cette même nature connaît du fait de l’action humaine.

On en retrouve l’écho dans l’Océan sonore décrit par David Toop, et ses avatars : des productions emblématiques comme Koyaanisqatsi (dont la bande-son, signée Philip Glass, est pour beaucoup dans le succès du film), la musique ambient initiée par Brian Eno (« On Land ») ou, plus récemment, Biophilia de Björk.

Pour expliquer la genèse de Biophilia, la chanteuse islandaise explique : « Je me suis fondée sur les connexions entre la musique, la nature et la science. Des algorithmes ont été imaginés pour transcrire visuellement les sons que propulsent les éclairs, les cristaux ou l’ADN. Tout ce qui, dans la nature, fonctionne par vagues. »

Visuel Björk, Biophilia

Humaine nature

De manière symptomatique, dans ce discours comme dans les pratiques plus confidentielles qu’il popularise, la musique tend à s’effacer, ses repères (mélodie et harmonie, rythme, instruments, structures) se diluer : place aux vibrations, tantôt bucoliques (Annea Lockwood, A Sound Map of The Danube ; Bernard Fort) tectoniques, voire cosmiques (Alvin Lucier, Sferics), tantôt industrielles et urbaines. Que des artistes engagés dans « l’écologie sonore » comme Peter Cusack et Chris Watson aient fait leurs premières armes dans l’improvisation libre ou la musique indus n’est d’ailleurs pas surprenant : les intéresse autant la « nature humaine » que l’humaine nature, c’est-à-dire (pour eux) la nature « à portée de micro ». Loin d’être vierge, une nature altérée par l’humain.

Quiet American, Plumbing and Irrigation in South Asia (2003). Pochette de l’album.

Au contraire des innombrables productions sonores new-age mettant en scène une nature de synthèse (que l’on peut se procurer dans les magasins ayant fait de la pseudo-conscience écologique leur fonds de commerce) beaucoup des artistes-chercheurs en écologie sonore revendiquent une certaine subjectivité (celle de leur expérience), l’artifice dans le placement des micros, l’enregistrement, le montage et le mixage, et l’hybridité homme-nature. C’est le cas de Thomas Tilly, qui envisage « la forêt comme une ville », David Dunn (The Sound of Light in Trees) oAaron Ximm qui, sous le nom de Quiet Americanexamine l’acheminement de l’eau sous toutes ses formes, de l’irrigation des rizières du Vietnam au pompage de l’eau au Bangladesh (Plumbing and Irrigation of South Asia, 2003).

Artistes-chercheurs

Une certaine tradition philosophique (citons Bachelard, Raymond Ruyer, les romantiques allemands), n’a cessé de dénoncer le caractère mortifère de l’opposition entre imagination poétique et connaissance scientifique. C’est probablement cette opposition dont nous payons certaines des conséquences à travers les dérèglements climatiques. Par sa jeunesse, la discipline de l’écologie sonore et du field recording échappe heureusement à la stérilité de ces oppositions. La poétique, ici, stimule l’imagination scientifique.

Pochette Tomas Tilly, Script geometry
Thomas Tilly, Script Geometry (2014)

« En mars 2013, je suis parti travailler sur les stations du CNRS aux Nouragues, en Amazonie Guyanaise. Établies au cœur d’une zone de forêt primaire, ces stations accueillent des programmes de recherche scientifiques internationaux relatifs à la forêt tropicale et sa biodiversité. Durant les trente jours et trente nuits de mon séjour, j’ai écouté et capté l’environnement sonore de la zone en m’intéressant spécifiquement à la communication animale ; celle perceptible par l’oreille humaine, mais aussi celle inaudible, existant dans le spectre ultrasonique. Les travaux résultants sont une collection de compositions et de phonographies caractéristiques de la zone. »

Thomas Tilly, Script Geometry

Subjectivités sonores

Cette subjectivité, certains vont jusqu’à la prêter à l’environnement, comme Lionel Marchetti. « Doter le ruisseau, la neige, le roc d’une ouïe… » Pensée enfantine, certes ; appétit de connaissance, surtout. Portrait d’un Glacier, réalisé dans le bassin glaciaire de Tré-la-Tête dans le Massif du Mont-Blanc, en restitue l’expérience.

Dans un environnement analogue, mais une perspective radicalement opposée, la subjectivité de l’expérience domine également Cho Oyu, de Geir Jenssen, alpiniste et artiste sonore plus connu sous le nom de Biosphere : là, c’est le corps qui témoigne de la raréfaction de l’oxygène à haute-altitude, à travers l’omniprésence du souffle.

Pchette Lionel Marchetti, Portrait d'un glacier

Lionel Marchetti, Portrait d’un glacier (1998)

Pochette Biosphere, Cirque

Biosphere, Cirque (2000)

Publié le 15/10/2015 - CC BY-SA 4.0

Sélection de références

Circuit musiques contemporaines

Circuit, musiques contemporaines : Empreintes écologiques

Jonathan Goldman, Ricardo Dal Farra, Charles-Antoine Fréchette, Joël Chabade, Paul D. Miller alias DJ Spooky
Presses de l'Université de Montréal, 2015

« Nul besoin d’insister sur le fait que notre époque est imprégnée d’une inquiétude profonde quant à la survie de notre planète face aux diverses atteintes — récentes ou non — à sa santé écologique, écrit Jonathan Goldman dans son introduction « Chants de la Terre ? »

« Même si la musique est le plus immatériel des arts, les musiciens ne se sentent pas moins concernés que les autres artistes par la terre menacée. Plusieurs compositeurs de nos jours se réclament d’un point de vue explicitement écologiste.

Au sommaire de ce numéro d’actualité :

A la Bpi, niveau 3, 78(0) CIR

Extractions des espaces sauvages cybernétique de l'écoute, écologie sonore, textes 1981-2011

Extractions des espaces sauvages cybernétique de l'écoute, écologie sonore, textes 1981-2011

David Dunn
Van Dieren, 2011

L’insecte perçoit-il les sons qui sortent de ce grand orifice aux modulations étranges qui, pour nous, est une bouche humaine ?
Que dit l’oiseau moqueur lorsqu’il imite le son du trafic urbain ?
Qu’entend l’écureuil lorsque tombe un arbre dans une forêt, sans qu’aucune oreille humaine en perçoive le fracas ?
La musique n’est-elle qu’une production humaine ?

L’enjeu du « musical » demeure-t-il encore pertinent lorsque la technologie et l’art sonore placent l’auditeur humain en contact avec les sons émis par une forêt agonisante?

A la Bpi, Niveau 3, 780.61 DUNN

Earth Ear Douglas Quin

EARTH | EAR

La collection d’enregistrements réunis par le naturaliste Douglas Quin.

La Grande Clameur - COP 21

La Grande Clameur - COP 21

Composition du « son de la terre », paysage sonore électronique, initialement devant être diffusé pendant la grande marche du 29 novembre 2015 à Paris avant le début des négociations de la COP21.

Diffusion via les camions sono et téléphones mobiles avec propositions de clameurs vocales, et performances instrumentales en mixage sur la musique.

Echo Pond by Gmvl Lyon

Le Grand Orchestre de la Nature

Un concert dans le noir à la découverte des 1000 images sonores, proposé par le Groupe Musiques Vivantes Lyon.

Depuis quelques années, la pratique de la prise de son naturaliste (field recording) s’est considérablement développée, ouvrant aux musiques contemporaines un champs sonore jusque là inconnu, liée à un nouveau regard sur le monde qui nous entoure.

Un peu partout, sur les 5 continents, des “acharnés du son” explorent la forêt, la glace, les fonds sous-marins, l’intérieur des troncs, le monde animal ou végétal, prenant souvent de grands risques, à la recherche de l’inaudible, de l’inouï, du son présent sur toute la planète dans les endroits les plus inattendus. Micro-canons, paraboles, microcontacts ou hydrophones permettent chaque jour une exploration plus lointaine, plus précise, chargée de surprises et de découvertes à peine croyables : La nature aurait-elle tout inventé ?

De la prise de sons naturaliste à la composition musicale, « Le Grand Orchestre de la Nature » se présente comme un véritable concert mis en espace par un véritable orchestre de haut-parleurs.

Magazine des cultures digitales

MCD - MCD#79 - Nouveaux récits du climat

MCD#79 – Nouveaux récits du climat Réchauffement climatique, disparition des espèces animales, épuisement des ressources naturelles… Le changement, c’est maintenant… L’apocalypse, aussi.

Les scénarios qui se profilent sont dignes des meilleurs romans de science-fiction. Nous vivons une dystopie au quotidien, guettant l’indice de qualité de l’air, la montée des eaux, la fin du pétrole…

Sonorités - Les Cahiers de l'institut Musique Ecologie

Sonorités - Les Cahiers de l'institut Musique Ecologie

Depuis 2006, Sonorités propose une réflexion concernant l’écologie sonore et la recherche d’une qualité sonore à donner à notre environnement.

L’écologie ne pourrait être sans prendre en compte toutes les dimensions du sensible. Les numéros 8 et 9 de Sonorités ont thématisé deux problématiques majeures : la dimension sonore et l’architecture ainsi que la musique en tant que modèle de composition et d’interprétation du sonore. Il s’agit avec ce dixième numéro [Ecologie sensible – Oreille de l’Ecologie] de la revue d’inscrire notre domaine dans tout ce qui a trait à l’écologie. Le propos qui guide notre réflexion est qu’il est possible aussi de renverser la proposition en tentant de démontrer la nécessité pour l’écologie de ne rien ignorer de la dimension du sonore.

La revue Sonorités est disponible à la Bpi, Niveau 3, 780.0 SON

Wild Sanctuary

Wild Sanctuary : Le Grand Orchestre des Animaux

Depuis 1968, Bernie Krause et le Wild Sanctuary ont traversé le globe pour enregistrer, archiver, et rechercher les voix du « monde naturel », son paysage sonore.

En 2016, Le Grand Orchestre des Animaux a fait l’objet d’une exposition monumentale à la Fondation Cartier pour l’Art Contemporain. France Culture a consacré plusieurs émissions au travail de l’écoacousticien.

Forum Mondial pour une Ecologie Sonore

World Forum for Acoustic Ecology

Le Forum Mondial pour une écologie sonore, fondé en 1993, est une association internationale fédérant différentes organisations et personnalités (en Europe, Amérique du Nord, Japon et Australie), qui partagent une commune préoccupation concernant l’état des « paysages sonores » du monde.

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