La question des métamorphoses du travail est au centre des préoccupations actuelles. Bernard Stiegler, philosophe, auteur de La Société automatique et de L’Emploi est mort, vive le travail!, s’intéresse à ce sujet depuis longtemps. Il s’est engagé, au sein de l’IRI (Institut de recherche et d’innovation), dans une démarche originale d’expérimentation de ce qu’il appelle le « revenu contributif ». Entretien avec un visionnaire qui se confronte au réel.
Quelle distinction faites-vous entre le travail et l’emploi ?
Travailler, au sens où nous l’entendons à l’IRI, c’est produire quelque chose d’original, ajouter quelque chose au monde. Aujourd’hui nombreux sont ceux qui ont un emploi, mais qui ne travaillent pas. Cela ne veut pas dire qu’ils sont paresseux ! Selon une étude du MIT (Massachusetts Institute of Technology) parue il y a quatre ans, 47 % des emplois aux États-Unis peuvent être remplacés par des automates (robots, algorithmes). Les personnes qui occupent ces emplois ne travaillent pas, au sens strict du terme, elles servent une machine, mais ne s’en servent pas. Elles ne produisent rien d’original. Un enseignant, un charcutier, un artiste ou un parent, quand ils travaillent, inventent, innovent. Ce sont des singularités qui s’expriment. Les emplois génèrent ce que nous appelons de « l’entropie », ils appauvrissent le monde en produisant des standards reproductibles. Par exemple, certains médecins peuvent devenir des « concessionnaires de laboratoires » en appliquant des protocoles proposés par des logiciels fournis par les laboratoires. Bien sûr, les choses ne sont pas si tranchées : il y a des gens qui ont des emplois et qui travaillent, il y a des gens qui ne travaillent pas dans leur emploi, et puis il y a des artistes, par exemple, qui travaillent sans être employés et sans être reconnus comme artistes non plus. À l’IRI, nous pensons que beaucoup d’emplois vont disparaître : les algorithmes et les robots coûtent beaucoup moins cher. Surtout, cette diminution de l’emploi va créer un déséquilibre économique : moins d’emploi, c’est moins de pouvoir d’achat, donc moins de solvabilité des marchés. Une crise économique se profile inévitablement si nous n’anticipons pas. L’économie de demain devra redistribuer les gains de productivité obtenus par l’automatisation, redistribuer de l’argent qui donne du temps pour travailler hors emploi. C’est le principe du revenu contributif.
Quelle différence y a-t-il entre le revenu contributif et un revenu universel ?
Le revenu universel est inconditionnel et distribué à tous à partir d’un âge donné. Le revenu contributif, lui, est conditionnel. C’est un droit rechargeable, inspiré du régime des intermittents du spectacle. Pendant dix mois, ceux-ci peuvent toucher 70 % de leur ancien salaire à condition de pouvoir justifier de 507 heures pendant lesquelles ils ont été employés sous contrat. Ce régime des intermittents a été proposé dans les années trente par les grands patrons du cinéma pour recruter les meilleurs, avec l’intention de les rémunérer seulement le temps du projet et pas pendant leur formation. Ces patrons voulaient des créatifs, des personnes produisant ce que nous appelons de la « néguentropie ». Dans Intermittents et précaires, Antonella Corsani et Maurizio Lazzarato ont observé que les intermittents travaillent surtout quand ils ne sont pas employés. Le « vrai travail » est ce temps de liberté qu’ils ont de réfléchir, de se cultiver, ce n’est pas celui de la production proprement dite où ils sont dans un rapport de subordination et doivent remplir un contrat. Avec le revenu contributif, la collectivité investit dans des personnes. Elles sont encouragées à travailler à l’augmentation de leur puissance d’agir et au développement de leurs savoirs. Aujourd’hui, nous sommes dans l’anthropocène et nous avons, plus que jamais, besoin de personnes créatrices, de nouveaux métiers « néguentropiques » qui soient créatifs et anti-standards.
Quels sont ces nouveaux métiers ?
Nous avons besoin, par exemple, de « cobotiseurs ». Ce sont des personnes qui travaillent à former des automates modulaires pour qu’ils soient capables de travailler ensemble. Autre exemple, trente millions d’automobiles françaises doivent être reconditionnées pour passer d’un moteur diesel ou essence à un moteur électrique. Les mécaniciens de rues, actuellement dans une forme de travail informel, ont ce savoir-faire qui fait défaut dans les garages ou les entreprises. Certains métiers peuvent ainsi être requalifiés en développant une culture du savoir-faire.
Comment pensez-vous financer ce revenu contributif ?
Je ne le sais pas encore, mais nous avons des hypothèses et des discussions avec des financeurs potentiels. Surtout, nous avons lancé un projet d’expérimentation sur dix ans avec Plaine Commune. Nous travaillons sur deux échelles. Le revenu contributif a une dimension de redistribution et, de ce fait, doit être organisé à l’échelle nationale, voire européenne. Mais l’analyse, les propositions d’activité concrètes, la mobilisation des savoir-faire, elles, sont à organiser à l’échelle des territoires avec les collectivités locales, les élus, les populations qui vivent là, les structures et institutions existantes : associations, services de santé, services culturels, et bien sûr l’ensemble du secteur économique, des start-up aux grandes entreprises. Nous avons le projet de tester le revenu contributif sur un échantillon de jeunes personnes (entre 100 et 200 sans doute), pour une part au moins, encore à l’école. Pourquoi ? Parce que c’est un changement de vision du monde, il faut que la personne se dise : « j’investis dans le développement de mes capacités ». Mon espoir, c’est que ce revenu contributif encourage les adolescents à travailler, d’abord à l’école, puis dans la société : des associations au monde industriel, qui va lui-même devoir évoluer en ce sens de toute évidence, en passant par les services publics. Il s’agit de développer une économie contributive capable de résoudre des problèmes vitaux : lutter contre le réchauffement climatique, la destruction de la biodiversité, l’addiction généralisée, etc. Cette économie-là doit se substituer progressivement à l’économie de prédation, qui est insolvable. Il s’agit de faire en sorte que les personnes se réapproprient leur avenir, que les habitants s’emparent du devenir de leur territoire, à commencer par leur habitat, et, selon les termes d’Amartya Sen, prix Nobel d’économie en 1988, de « réencapaciter » les individus.
Propos recueillis par Catherine Revest, Bpi Article paru initialement dans le numéro 26 du magazine de ligne en ligne
L'Emploi est mort, vive le travail ! : entretien avec Ariel Kyrou
Bernard Stiegler & Ariel Kyrou
Éditions Mille et une nuits, 2015
À l’heure où l’automatisation déferle sur tous les secteurs de l’économie mondiale, Bernard Stiegler milite pour que cette mutation soit pensée et accompagnée. La fin de l’emploi est l’occasion de réinventer le travail, de reposer les fondements de l’économie pour qu’elle devienne contributive et non plus destructrice.
À la Bpi, niveau 2, 305.34 STI
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