Zeina Abirached est une illustratrice et autrice de bandes dessinées libanaise et française. Dans ses œuvres, elle fait dialoguer l’Orient et l’Occident à travers un travail de mémoire et de réflexion sur ses racines et son histoire. Lectrice compulsive, amatrice de théâtre, d’opéra et de musique, elle nous parle de ses lectures et des artistes qui l’inspirent au quotiden.
Zeina Abirached est l’invitée d’une rencontre avec le public, le samedi 2 février 2019 à la Bibliothèque publique d’information.
Quels sont les livres qui ont marqué votre enfance ?
Tous les soirs, ma mère me lisait Boucle d’or et les trois ours. Je connaissais le livre par cœur et, si elle avait le malheur de changer le moindre mot, je la reprenais instantanément.
J’ai aussi beaucoup regardé Michka, publié aux éditions Père Castor. Le livre a été réédité il y a une dizaine d’années, et je me souviens encore de l’émotion que j’ai ressenti quand j’ai revu la couverture vert olive en librairie.
Par ailleurs, je regardais inlassablement Le Livre de la jungle de Walt Disney. Au Liban, les petits écoliers se rendaient à l’école la veille de la rentrée officielle, avec leurs parents, pour s’habituer aux lieux. Le jour de cette prérentrée, j’ai vu, dans les couloirs de l’école, une immense fresque qui représentait les personnages du Livre de la jungle. J’étais convaincue qu’elle avait été peinte par les enfants de l’école et j’ai cru que j’allais y apprendre le dessin. Je vous laisse imaginer ma déception le lendemain, quand j’ai compris ce qui m’attendait ! C’était une école assez stricte où le dessin n’avait pas sa place. D’ailleurs, je n’ai pas vraiment dessiné pendant ma scolarité, du moins, pas plus que les autres enfants. C’est après le bac que je m’y suis réellement mise.
Dans mon enfance, j’ai aussi lu tous les livres de la bibliothèque rose et de la bibliothèque verte. J’étais une lectrice compulsive. J’adorais la comtesse de Ségur, surtout les éditions illustrées. J’ai passé beaucoup de temps à admirer les illustrations. C’était un moment de pause dans la lecture que j’appréciais.
Et puis, un jour, j’ai découvert Jacques Prévert, avec Le Roi et l’Oiseau. J’ai tout de suite aimé son humour, sa manière de jouer avec les mots. C’est un de mes poètes favoris.
Qui sont les artistes qui vous inspirent ?
J’aime beaucoup William Kentridge, un artiste sud-africain, qui travaille l’image et l’animation, avec une superbe mise en musique. Dans ses expositions, il présente souvent des installations immersives : les œuvres sont projetées sur les murs d’une pièce et racontent une histoire, mais elles peuvent aussi être admirées indépendamment. Il travaille sur la temporalité et sur la séquence. Son univers est très poétique, et politique à certains égards. Il y a quelques années, il a réalisé la scénographie de La Flûte enchantée – je suis une grande amatrice d’opéra et notamment de Mozart – , qui m’avait beaucoup marquée. Il m’inspire au quotidien.
J’aime aussi Joana Vasconcelos, une artiste portugaise qui travaille le détournement d’objets domestiques. Son œuvre est féministe, joyeuse et lumineuse.
Dans un autre style, sur mon mur, il y a plusieurs reproductions du douanier Rousseau. Je suis très émue par ses compositions, par ses couleurs, par sa façon de rendre graphique la végétation et par sa sensibilité au cadrage.
Qui sont les artistes libanais que vous avez envie de nous faire découvrir ?
J’adore le théâtre conceptuel de Lina Saneh et Rabih Mroué. Sur scène, il y a peu de décors, généralement une simple table et des éléments projetés sur un écran. Leurs pièces proposent une réflexion sur la mémoire et sur l’identité libanaise, souvent liée à la guerre et à la disparition. Je suis très sensible à l’économie de moyens à laquelle ils font appel.
Il faut aussi voir les films de Jihane Chouaib, Pays rêvé et Go Home, qui s’emparent également des questions liées à la mémoire, à l’identité et aux racines.
En musique, je vous recommande d’écouter Mashrou’Leila, un groupe de pop qui écrit en arabe libanais. Ils ont fait la couverture du magazine Têtu une année et, dans un sens, ils contribuent à rendre l’homosexualité visible – et peut-être acceptable sur le long terme ? – dans les pays arabes. Leur musique et leurs textes sont super !
Quels sont vos conseils de lecture ?
Je viens de terminer Lieux-dits d’Hélène Ling. C’est l’histoire d’une femme qui se rend à Paris pour enterrer son père qu’elle n’a pas connu. Elle se promène dans la capitale, et se laisse aller à ses pensées. Le roman conjugue plusieurs temporalités, les dialogues vont et viennent, et achoppent sur ce qu’elle voit dans la ville. La manière dont l’intime fait incursion dans le paysage m’a beaucoup touchée.
Le roman d’Oliver Rohe, Terrain vague, que j’ai découvert il y a quelques années déjà, est extraordinaire. Il donne la parole à un homme qui a participé à des exactions pendant la guerre au Liban. Au moment où le conflit retombe, la posture sociale de cet homme vole en éclat. C’est intéressant, car c’est une voix assez peu entendue, celle d’un individu qui n’arrive pas à trouver sa place en temps de paix. Le livre aborde la mémoire de la guerre et ce qu’on en fait, il m’a beaucoup remuée.
Je vous recommande par ailleurs Nagori, le dernier roman de Ryoko Sekiguchi, qui est, pour moi, la grande poétesse du goût. Nagori, en japonais, traduit le sentiment de nostalgie que l’on ressent lorsqu’un aliment arrive en fin de saison. C’est un très beau livre sur le temps qui passe.
Je suis aussi une très grande amatrice de théâtre et je vais voir toutes les pièces de Julien Gosselin : les adaptations des romans de Michel Houllebecq, de Roberto Bolaño, et plus récemment, de Don de Lillo.
Quelles sont les BD que vous nous recommandez ?
J’adore les bandes dessinées de Marion Fayolle. Je suis admirative de la manière dont elle arrive à suggérer les choses, avec une économie de moyens. Elle laisse une grande place au lecteur.
Et puis, il faut lire le travail du collectif Samandal, qui vient de recevoir le Fauve de la BD alternative au festival de la bande dessinée d’Angoulême. Ils ont beaucoup de talent.
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