De Billie Holiday à Beyoncé : ces chanteuses qui célèbrent le Black Power
Ce sont des femmes, elles sont noires et elles le chantent haut et fort ! Du mouvement pour les droits civiques dans les années 1960 aux activistes de Black Lives Matter aujourd’hui, de nombreuses artistes féminines ont su affirmer leur appartenance à une communauté et à des valeurs, montrant qu’aux États-Unis, la musique et la cause noire sont profondément liées.
Leur “Black Power” est militant, évidemment, mais il est aussi multiple, encourageant chacun à s’émanciper et à se libérer de toute forme de domination. Nous vous proposons d’écouter leurs voix, en dix chansons engagées et fières de l’être !
Publié le 19/04/2017 - CC BY-SA 3.0 FR
Sélection de références
Strange fruit
Billie Holiday
Commodore Records, 1939
Southern trees bear a strange fruit
Blood on the leaves and blood at the root
Black body swinging in the Southern breeze
Strange fruit hanging from the poplar trees
C’est d’abord l’histoire d’un poème, Bitter Fruit, écrit en 1937 par le jeune Abel Meeropol, après avoir vu la photo insoutenable du lynchage de deux adolescents noirs de l’Indiana. Ces étranges fruits, ce sont les cadavres qui pendent aux arbres du Sud. En 1939, Billie Holiday, l’une des plus célèbres chanteuses de jazz de l’époque, l’interprète pour la première fois sur scène à New York, au Café Society. Ce soir-là, dans la pénombre, le combat racial trouve sa voix : forte, douloureuse, sublime. Strange Fruit, par sa dimension politique et symbolique, choque l’Amérique bien pensante, qui accuse la chanteuse de propagande communiste et la boycotte sur les ondes. Qu’importe. Billie Holiday vient de chanter le premier hymne du Mouvement américain des droits civiques, symbole éternel de la lutte contre le racisme et l’oppression.
À la Bpi, niveau 3, 780.631 HOLI 4
I never loved a man (the way I love you)
Aretha Franklin
Atlantic, 1967
R-E-S-P-E-C-T
Find out what it means to me
R-E-S-P-E-C-T
Take care, TCB
En 1965, lorsque Otis Redding écrit Respect, il réclame le respect de la part des femmes, notamment à la maison. En 1967, lorsque Aretha Franklin reprend la chanson, elle en fait au contraire un plaidoyer pour les femmes. En inversant les rôles, elle s’adresse à toutes les minorités, oppressées ou invisibilisées. Son Respect est universel. En cette fin des années 1960, il devient naturellement le symbole de la fierté de la communauté noire. Et vaudra à Aretha Franklin son titre de Queen of Soul.
À la Bpi, niveau 3, 780.635 FRAN 4
Black Gold
Nina Simone
RCA Victor, 1970
In the whole world you know
There are billion boys and girls
Who are young, gifted and black,
And that’s a fact !
A la fin des années 1960, la soul ouvre une nouvelle voie : l’exaltation de la fierté noire, affichée et engagée. Nina Simone en fera Black Gold, son disque-manifeste. Déjà, en 1964, elle disait sa rage et son indignation avec Mississippi Goddam, écrit en réaction à l’assassinat du militant Medgar Evers et à la mort de quatre fillettes noires dans un attentat du Ku Klux Klan. A partir de là, ses chansons seront indissociables de son combat en faveur de la cause noire, qu’elle défend corps et âme. En 1969, elle reprend le lumineux To be young, gifted and black, qui encourage la jeunesse noire-américaine à croire en elle-même et à aller de l’avant. Qu’on se le dise : avec Nina Simone, Black is beautiful !
À la Bpi, niveau 3, 780.635 SIMO 4
Betty Davis
Betty Davis
Just Sunshine, 1973
Cause I know you could possess my body
I know you could make me scrawl
I know could have me shaking
I know you could have me climbing walls
That’s why I don’t wanna love you
Ne cherchez pas : le Black Panther, c’est elle ! Farouchement indépendante, sexuellement libérée, Betty Davis incarne par excellence la femme fière de sa couleur de peau et de ses origines. Et elle le chante avec rage ! Avec elle, tous les excès sont permis. Sur scène comme dans ses disques, l’éphémère épouse de Miles Davis invente un funk débridé, extraverti et féministe. En témoigne son Anti love song, qui ringardise les habituelles chansons d’amour. Son sens explicite de la provocation lui vaudra cependant d’être régulièrement huée, censurée ou boycottée. Sans doute était-elle trop en avance sur son temps…
Betty Davis par Pénélope Bagieu.
À la Bpi, niveau 3, 780.635 DAVI 4
Tracy Chapman
Tracy Chapman
Elektra Records/Asylum Records, 1988
Poor people gonna rise up
And get their share
Poor people gonna rise up
And take what’s theirs
Dans les années 1980, le constat est amer : l’égalité des droits entre Blancs et Noirs n’est qu’apparente. L’Amérique ghettoïsée est minée par la violence et la pauvreté. Née dans la banlieue de Cleveland, la jeune Tracy Chapman écrit Talkin’ Bout a Revolution pour dénoncer les préjugés qui pèsent sur les noirs et les classes les plus pauvres. Elle les enjoint à changer le monde en faisant entendre leur voix, contre le racisme et le capitalisme institutionnalisés. Quelques années plus tard, en 1992, les émeutes raciales qui embrasent Los Angeles résonneront avec son folk contestataire et engagé.
À la Bpi, niveau 3, 780.65 CHAP 4
The Miseducation of Lauryn Hill
Lauryn Hill
Ruffhouse/Columbia, 1998
I wrote these words for everyone
Who struggles in their youth
Who won’t accept deception
Instead of what is truth
It seems we lose the game,
Before we even start to play
Lauryn Hill fait partie d’un groupe qui n’a pas choisi son nom au hasard – The Fugees, en référence aux refugees, ces immigrés qui ont fui la pauvreté de leur pays d’origine. La décennie 1990 est celle d’une jeunesse en colère, désabusée… mais optimiste. C’est du moins le message que choisit de délivrer Lauryn Hill, en revendiquant une identité différente. Loin des divas de l’époque, elle s’émancipe avec un premier album solo intime et métissé, qui réveille le meilleur du rap et de la Motown. A l’image de son Everything is everything, elle défend un humanisme actif, pacifique et militant. Près de quinze plus tard, en 2014, elle publie le morceau Black rage, en soutien aux habitants de Ferguson, en proie à de violentes émeutes depuis la mort du jeune noir Michael Brown. Preuve que la reine Lauryn ne lâche rien.
À la Bpi, niveau 3, 780.639 HILL 4
Mama's gun
Erykah Badu
Motown, 2000
No you won’t be name’n no buildings after me
To go down dilapidated ooh
No you won’t be name’n no buildings after me
My name will be mistated, surely
En se définissant elle-même comme chanteuse et activiste, Erykah Badu montre d’emblée que musique et militantisme sont intimement liés. Souvent comparée à Billie Holiday pour son grain de voix, elle affirme sa démarche afrocentriste dans ses textes comme dans ses tenues. Sur son deuxième album, elle dédie la chanson A.D. 2000 au jeune guinéen Amadou Diallo, injustement abattu par quatre policiers new-yorkais. Comme souvent, la police est acquittée. Son morceau sera un étendard, aux initiales de la victime, contre toute forme de violences policières.
À la Bpi, niveau 3, 780.635 BADU 4
Glitch
VV Brown
YOY, 2015
Put it on the table
Change your your nigger roots
You know that you were able
And you’re gonna sacrifice
Depuis 2013, le mouvement Black Lives Matter donne une nouvelle voix à la communauté noire. De nombreux artistes afro-américains revendiquent ainsi leur engagement en musique, en affirmant leur identité et en dénonçant le racisme ambiant. Bien qu’elle soit britannique, VV Brown est l’une des chanteuses les plus solidaires du mouvement. Avec son clip choc, le morceau Sacrifice dénonce la suprématie blanche, soutenu par les discours samplés de Malcolm X, John F. Kennedy et Martin Luther King. Autant de voix qui martèlent l’urgence de reprendre la parole.
Here
Alicia Keys
RCA, 2016
In the morning from the minute that I wake up
What if I don’t want to put on all that make up ?
Who says I must conceal what I’m made of ?
Maybe all this Maybelline is covering my self-esteem
Whose job is it to straighten out my curves ?
I’m so tired of that image, that’s my word
En 2016, Alicia Keys dévoile un nouveau visage, sobre, sans maquillage ni artifices. Fini les diktats, les lissages et les extensions, la chanteuse assume fièrement sa coupe afro et ses origines métissées. Dans la lignée du mouvement Black is Beautiful des années 1960, la mode est au nappy (contraction des termes natural et happy), le cheveu naturel et heureux ! C’est d’ailleurs ce qu’elle prône dans Girl can’t be herself. En renouant avec la tradition gospel et soul, Alicia Keys défend une Amérique multiculturelle, où chacun ait la liberté d’être soi. Et signe son album le plus engagé à ce jour.
À la Bpi, niveau 3, 780.639 KEYS 4
Lemonade
Beyoncé
Parkwood/Columbia, 2016
My daddy Alabama, Momma Louisiana
You mix that negro with that Creole make a Texas bamma
I like my baby hair, with baby hair and afros
I like my negro nose with Jackson Five nostrils
Earned all his money but they never take the country out me
I got hot sauce in my bag, swag
Les mauvaises langues diront que Beyoncé a découvert qu’elle était noire en 2016. Disons plutôt qu’elle a exprimé une conscience politique jusqu’ici restée relativement discrète. Et quand Queen B. affiche ses convictions, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle ne fait pas dans la demi-mesure ! D’abord, il y a le clip de Formation, qui condamne sans équivoque les violences policières subies par la communauté noire, ensuite, il y a Lemonade, son album manifeste qui célèbre haut et fort la culture afro-américaine, enfin, il y a sa chorégraphie endiablée au Super Bowl, qui revendique ouvertement l’héritage des Black Panthers. Pas de doute : le mouvement militant Black Lives Matter compte une nouvelle voix dans ses rangs, certes un peu tape à l’oeil, mais suffisamment célèbre pour être largement entendue.
À la Bpi, niveau 3, 780.639 BEYO 4
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