Questions/Réponses

Appartient au dossier : Espace : vers l’infini et au-delà ?

Pourquoi ne pas envoyer les déchets radioactifs sur le Soleil ?

Un utilisateur d’Eurêkoi, service de réponses et recommandations à distance assuré par des bibliothécaires, s’intéresse au stockage des déchets nucléaires et se demande s’ils pourraient être envoyés sur le Soleil. Les bibliothécaires de la Bpi répondent à cette question en s’appuyant sur les travaux de scientifiques et d’ingénieurs.

personnes manifestant en tenue de sécurité avec logo nucléaire et masques
Mobilisation contre l’enfouissement des déchets nucléaires à Bure © Cjp24 – CC BY-SA 4.0 / Wikimedia Commons

Le stockage des déchets nucléaires toutes catégories, issus de différentes activités humaines (industrie électronucléaire, défense, recherche ou médecine…) a toujours posé problème (voir à ce sujet : l’Inventaire national des matières et déchets radioactifs de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, partie 1, p.8). Or, à titre de potentielle solution alternative à l’enfouissement des déchets, avait été émise l’idée, dès les années soixante, d’envoyer les déchets radioactifs sur le Soleil (plus précisément en orbite autour du Soleil) plutôt que de les entreposer sur la Terre. Pour quelles raisons cette solution n’avait-elle pas pu être mise en œuvre à l’époque ? Grâce aux multiples évolutions technologiques, pourrait-elle l’être aujourd’hui ou reste-t-elle décidément une solution farfelue ?

L’envoi des déchets nucléaires sur le Soleil : les avantages

Une solution « logique » de protection de la Terre

Si certains déchets, de très faible activité (TFA), sont actuellement stockés au Centre industriel de regroupement, d’entreposage et de stockage (Cires), ce centre avait atteint fin 2020 environ 63 % de sa capacité de stockage autorisée de 650 000 m3. Dans sa configuration actuelle, le Cires ne suffira pas pour stocker les volumes de déchets TFA issus des démantèlements de centrales nucléaires à venir dans les prochaines années. Des solutions de gestion complémentaires, et autres que la seule augmentation de la capacité de stockage du Cires, sont donc actuellement à l’étude. D’autant plus que d’autres types de déchets plus nocifs encore, à haute activité (HA) ou à vie très longue, nécessitent d’autres types de stockage.

Pour assurer la protection des humains et de leur environnement contre les risques associés à ces déchets (que leur enfouissement se fasse en subsurface terrestre ou en zone géologique profonde), pourquoi ne pas les mettre ailleurs que sur la Terre, donc dans l’espace, en orbite autour du Soleil en particulier ?

Panorama international des recherches sur les alternatives au stockage géologique des déchets de haute et moyenne activité à vie longue (IRSN/FRM-285 Ind 9) ou Rapport IRSN/2019-00318, par l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRNS), mai 2019.
L’envoi de déchets radioactifs dans l’espace, en orbite autour du Soleil notamment, y est présenté à la rubrique 7.1, p. 37-38, accréditant le sérieux de cette solution.

« Les études publiées par la NASA en 1978, envisagent cinq destinations possibles pour les déchets. La surface de la lune (atteignable en quelques jours) et l’orbite autour du Soleil (en six mois) sont celles considérées comme les plus intéressantes du point de vue de la sûreté. L’option d’un entreposage sur la lune a été évoquée, mais son coût apparaissait rédhibitoire. »  

L’envoi des déchets sur le Soleil : une solution radicale d’élimination

« Les considérations de santé publique liées à l’élimination des déchets nucléaires par lancement de ceux-ci à destination du Soleil », par Murray R. Berkowitz, revue de l’ASPJ Afrique et francophonie (Air and Space Power Journal), vol. 4, n°2, 2013, p.5-12.
Le présent article examine les aspects de la santé publique de cette solution. L’auteur est professeur titulaire et directeur associé de médecine préventive et communautaire, au Georgia Campus du Philadelphia College of Osteopathic Medicine et chercheur au Osteopathic Research Center à Fort Worth, au Texas.

« L’élimination des déchets radioactifs par leur lancement à destination du Soleil fait disparaître les risques d’exposition que font peser des fuites dans une installation de stockage ou le détournement de tels déchets à des fins de terrorisme nucléaire. Le principe sous-jacent est que toute matière capturée par la gravité du Soleil subira des contraintes excédant les limites de son intégrité structurelle et se disloquera avant d’arriver au Soleil lui-même. En outre, les températures sont tellement élevées qu’elles incinèrent et consument tous les matériaux avant d’arriver à la couronne solaire. »

Une solution qui rencontre de multiples obstacles

D’énormes difficultés techniques persistantes

●   Concernant le mode de transport de ces déchets

– La fiabilité des fusées génère un risque grave de santé publique en cas d’explosion en vol, selon plusieurs sources.

Réponse de la Direction générale de l’énergie et des matières premières (DGEMP) à une question posée sur le site de la Commission du débat public : cpdp.debatpublic.fr, Ministère de l’Industrie, (pas de date de réponse mentionnée) :

« L’idée d’envoyer les déchets dans l’espace a été examinée dans les années 1960–1970, en particulier en relation avec le Centre national d’études spatiales (CNES). Elle a alors été écartée car elle cumule deux inconvénients techniques majeurs : elle repose entièrement sur la fiabilité du lanceur et elle est par nature irréversible. Si la fiabilité des lanceurs a effectivement progressé au cours des dernières décennies, elle ne permet cependant pas d’envisager le recours à cette solution qui exigerait un taux de fiabilité de 100 %. »


Pour mieux comprendre à quoi renvoie cette notion d’irréversibilité dans la citation, on peut consulter « L’irréversibilité et la gestion des déchets radioactifs dans la loi du 30 décembre 1991 », par Michel Prieur, Revue juridique de l’environnement, Hors-série, 1998, sur la plateforme académique Persée.

« Est irréversible une action dont les effets sur l’environnement ne peuvent être réparés par la nature ou par des mesures techniques. L’acte irréversible entraîne des dégâts auxquels il est impossible de remédier ou qui ne sont réparables qu’à très long terme (par exemple une centaine d’années). »


Nuclear Waste Disposal in Space, de R.E. Burns, W. E. Galloway, W. E. Causey et R. W. Nelson par la NASA, l’agence spatiale américaine, 1er mai 1978. Chapitre III : Parties D, E, et F, p. 38-42.
Les différents articles mentionnent des études réalisées par la NASA dans les années soixante-dix et quatre-vingt. Le document ci-dessus est le rapport de ces recherches sur le traitement des déchets nucléaires dans l’espace. Le rapport est très technique et en anglais.

« Tout d’abord, envoyer nos déchets sur le Soleil constitue une hypothèse sérieuse. Le Soleil se trouve à des centaines de millions de kilomètres de la Terre. De plus, la chaleur autour du Soleil est telle qu’elle brûle absolument tout. Le seul problème, c’est d’y envoyer nos déchets. En effet, c’est bien trop risqué de remplir une fusée de nos plus gros déchets nucléaires. Si la fusée s’écrase, les conséquences seraient terribles. » [traduit]

– La puissance de propulsion de canons (alternative aux fusées) est insuffisante.

« Les chemins du Super Espace : de gigantesques canons ? » de David P. Stern sur Des observateurs aux explorateurs de l’espace, 13 décembre 2001.

« Un canon de ce type a été vraiment construit, nommé SHARP–HARP, pour « High Altitude Research Project », (en fait un projet antérieur : voir la section #30a), et S pour « Super ». SHARP est utilisé par le laboratoire des armes de Livermore, près de San Francisco, pour étudier le vol des véhicules spatiaux et des projectiles, jusqu’à 8-9 fois la vitesse du son. […]  Si impressionnant que soit SHARP, ses projectiles n’iraient pas loin dans l’espace, même si son fût n’était pas horizontal, mais vertical, comme le canon de Jules Verne. Leur vitesse est insuffisante pour obtenir un mouvement continu dans l’espace, qui est de 24 fois la vitesse du son, en orbite circulaire à basse altitude, et 34 fois pour échapper complètement à la gravité de la Terre. »

« Pourrait-on envoyer les déchets nucléaires dans le Soleil ? », par l’équipe de Ça m’intéresse, 11 mars 2021. Format court dont voici la teneur et la réponse :

« En théorie, oui. Mais le lancement d’une fusée chargée de déchets nucléaires présente un risque : en cas d’explosion, les éléments radioactifs seront disséminés dans la nature. De plus, il faudrait envisager des centaines de tirs à plus de 300 millions d’euros. Autre solution : utiliser des canons propulsant des charges à 11,2 km/s afin d’échapper à l’attraction terrestre. Seuls les canons à gaz du laboratoire Livermore, aux États-Unis, ou les canons électriques étudiés à l’institut Saint-Louis, en France, sont capables d’un tel exploit. Aucun d’eux n’étant opérationnel, les déchets resteront sur Terre pour l’instant. »

●    Concernant le mode de conditionnement de ces déchets

Panorama international des recherches sur les alternatives au stockage géologique des déchets de haute et moyenne activité à vie longue (IRSN/FRM-285 Ind 9) ou Rapport IRSN/2019-00318, par l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRNS), mai 2019.

« Dans son rapport, la NASA évoque également le programme d‘études mis en place pour concevoir le conditionnement des déchets. Pour ce travail de conception, la résistance thermique et la résistance mécanique constituent des paramètres tout particulièrement importants. Le colis de déchets doit en effet résister aux situations de transfert dans l’atmosphère et de chute au sol qui pourraient résulter d’un accident de l’engin spatial, tout en restant extrêmement léger. »

Des freins financiers

« Déchet radioactif », sur le site techno-science.net, partie sur « l’évacuation spatiale ».

« La quantité : 340 tonnes/an (avec le conditionnement et les emballages) pour la seule France, bien plus que la capacité d’une fusée actuelle (à titre d’exemple, la fusée Ariane V met 10 tonnes maximum en orbite solaire, soit 15 millions d’euros par tonne de déchets emballés et 34 lancements/an ) ; or aujourd’hui, le coût du stockage profond géologique est de 150 000 euros par tonne, donc environ 100 fois moins cher. »

Épisode 14 : Peut-on stocker des déchets radioactifs en mer ou dans l’espace ?, par l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), sur leur chaîne YouTube, 25 mars 2022.
Muriel Rocher, adjointe au chef d’unité d’expertise et de modélisation des installations de stockage, explique pourquoi le projet du stockage des déchets radioactifs en mer ou dans l’espace est abandonné. La principale raison est le coût d’un tel projet.

« Déchets nucléaires : état des lieux » d’Isabelle Billard dans l’INIS (International Nuclear Information System), 2006. Chapitre IV, Rubrique 3.1.

« La fusée Ariane 4, prouesse technique et exceptionnelle réussite commerciale, ne met pas plus de 10 tonnes en orbite par lancement (Ariane 5 : 10 tonnes, 1999). Une fusée propulsant les déchets vers le Soleil devrait être conçue en conséquence, ce qui n’est pas si simple. Comme la France génère 1 200 tonnes de déchets par an, cela impose 120 décollages de fusée par an, soit un tous les trois jours avec, évidemment, un taux de réussite de 100 % garanti à vie. C’est tout à fait irréaliste. »

Un enjeu de santé publique

Un envoi réussi hors de la Terre, en orbite autour du Soleil, présenterait un réel avantage en termes de santé publique. Mais le problème du conditionnement des déchets (à la fois légers et résistants en cas d’accident de la fusée) n’ayant pas été résolu, en cas d’explosion de la fusée, les déchets risqueraient de se répandre sur la Terre, irradiant alors des populations.


« Des solutions plus ou moins farfelues pour gérer les rebuts nucléaires », par Pierre Le Hir, Le Monde, 11 juin 2019.
Examen de différentes solutions de stockage, dont celle de l’envoi dans l’espace, en orbite autour du Soleil :

« L’agence spatiale américaine, la NASA, l’a très sérieusement envisagé dans les années 1970 et 1980, en imaginant plusieurs destinations : la surface de la Lune (accessible en quelques jours), l’orbite autour du Soleil (atteignable en six mois), voire même l’au-delà du système solaire.
Ses travaux ont porté sur des conditionnements assez robustes pour parer à tout accident de l’engin porteur, navette spatiale ou lanceur lourd, le risque étant un “retour à l’envoyeur”. Un risque dont la désintégration au décollage de la navette Challenger, en 1986, puis celle, lors de son retour sur Terre, de la navette Columbia, en 2003, ont montré qu’il n’avait rien d’hypothétique. Ajouté à un coût prohibitif, ce danger a conduit à l’abandon du programme. »

Publié le 05/09/2022 - CC BY-SA 4.0

Pour aller plus loin

Déchets radioactifs, fini les idées reçues ! | Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra)

Une infographie très complète et claire sur les déchets radioactifs par l’organisme en charge de leur gestion en France.

Dossier du maître d’ouvrage pour le débat public sur le cinquième Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (2022-2026)

Ce dossier en collaboration entre le ministère de la Transition écologique et l’Autorité de sûreté nucléaire vise à présenter ce qu’est le plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs (PNGMDR) et ses enjeux. Il est destiné à alimenter le débat public.

« Le PNGMDR prend la forme d’un document d’environ 200 pages. Il comporte trois parties, consacrées aux principes et objectifs de la gestion des matières et des déchets radioactifs, au bilan et aux perspectives d’évolution des filières de gestion existantes, ainsi qu’aux besoins et perspectives pour les filières de gestion à mettre en place. Pour chaque filière, existante ou à mettre en place, le document présente un état des lieux complet, prenant en compte les dernières données disponibles, puis formule des propositions ou fixe des objectifs. »

La Gestion des déchets radioactifs

Jean-Claude Amiard
Iste éditions, 2022

Présentation des classifications établies par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) et de l’OCDE-AEN en matière de gestion des déchets radioactifs. Après avoir détaillé les différentes catégories de déchets, l’auteur recense les solutions envisageables et explique celles retenues par les États. ©Electre 2022

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