Interview

Appartient au dossier : Pasolini, de fable en réel

Documenter Pasolini
Entretien avec Roberto Chiesi

Cinéma

Bpi, 2021

Depuis 2003, la Cinémathèque de Bologne abrite une vaste collection d’archives sur la vie et l’œuvre de Pier Paolo Pasolini. Roberto Chiesi, responsable du Centre d’études, explique comment ces documents ont pu être rassemblés et continuent de mettre en lumière certains pans de l’œuvre de l’artiste.

Comment le Centre d’études sur Pasolini est-il né ?

Le centre de documentation est né de la volonté de Laura Betti, grande amie de Pasolini. Elle a joué sur scène et à l’écran sous sa direction, notamment dans Théorème, film pour lequel elle a reçu le prix d’interprétation à la Mostra de Venise en 1968. 

Peu après la mort de Pasolini en 1975, elle a commencé à rassembler les articles publiés sur lui. Pendant plusieurs années, elle a voyagé et rencontré des personnes intéressées par l’œuvre de Pasolini, à une époque où son travail était un peu oublié en Italie. Elle a constitué une revue de presse internationale qui documente l’accueil de son œuvre littéraire, théâtrale et cinématographique, avant et après sa mort. On y trouve notamment des documents sur les divisions qu’il a suscitées dans la société italienne. Mais il y a peu de documents ayant appartenu à Pasolini dans ce fonds car c’est la cousine du réalisateur, Graziella Chiarcossi, qui en était dépositaire et qui les a donnés au cabinet Vieusseux, à Florence.

Au soir de sa vie, Laura Betti a suggéré de donner les archives qu’elle avait rassemblées à la Cinémathèque de Bologne. Son travail de collecte permet aujourd’hui aux chercheurs de consulter dans un même espace, facile d’accès, toute la documentation et toute l’œuvre, publiée ou non.

Pourquoi Laura Betti a-t-elle rassemblé ces archives ?

Laura Betti avait une motivation à la fois intellectuelle et sentimentale, fondée sur le caractère tragique de la mort de Pasolini. Elle était convaincue qu’il avait été assassiné et voulait déterminer les motivations de ses meurtriers. De plus, elle voyait le manque de reconnaissance de Pasolini comme une grande injustice et souhaitait continuer à le faire vivre à travers son œuvre.

Elle a donc commencé à réaliser une revue de presse dès le début du procès de l’assassinat de Pasolini. Elle ne pensait pas, je crois, que cela deviendrait un fonds d’archives mais avait plutôt à l’esprit la possibilité de dénoncer ceux qu’elle voyait comme les coupables moraux du meurtre de Pasolini, en recueillant aussi bien les documents issus du monde universitaire que de la presse populaire, voire à scandale.

Au début des années quatre-vingt, Jack Lang, alors ministre de la Culture en France, l’a aidée à organiser un grand événement à Paris. Suite à cela, elle a commencé à recevoir le soutien d’institutions italiennes.

Bpi, 2021

Comment la collection continue-t-elle à s’enrichir ?

Nous avons collecté des photographies, du tournage des Mille et une Nuits, par exemple. Les scénarios originaux de Porcherie jusqu’à Salo nous ont été donnés par la secrétaire d’édition de Pasolini, Beatrice Banfi. Ces documents sont comme des journaux intimes de tournages, avec les cadrages, les plans utilisés ou pas dans les films… Nous avons également continué de collecter les articles de presse en suivant la méthode choisie par Laura Betti. Il nous semble intéressant de voir l’impact de Pasolini à tous les niveaux, durant sa vie et depuis sa mort. 

On trouve par exemple dans la collection des articles de la presse de droite, voire d’extrême-droite : elle a changé d’avis sur Pasolini ces trente dernières années, en tentant même de récupérer son discours. Pasolini est devenu un mythe, avec tous les revers que cela entraîne. Il est devenu un passage obligé pour comprendre la société italienne et le monde de la seconde moitié du 20e siècle.

Nous organisons par ailleurs des expositions pour valoriser les archives. Par exemple, en 2005, nous avons proposé une exposition sur les lynchages médiatiques. Les attaques de la presse à l’égard de Pasolini étaient considérées comme une légende, mais réunir les articles a permis de constater la virulence des médias dans l’Italie catholique et conservatrice. La majeure partie de l’Italie était hostile à Pasolini de son vivant, même les communistes et ses supposés alliés. Il était trop scandaleux. Son homosexualité était difficile à accepter. 

Comment a-t-il été réhabilité ?

Un moment important fut la rétrospective de ses films à la fin des années quatre-vingt, à Venise. Le ministère de la Culture italien a financé leur restauration, et Laura Betti l’a organisée. Pour le quarantième anniversaire de sa mort, en 2015, une commission nationale a été nommée par le ministère. Le fait d’être ainsi reconnu permet à Pasolini de ne pas tomber dans l’oubli, contrairement à beaucoup d’auteurs italiens.

Quels aspects de son œuvre sont les plus étudiés ?

Pasolini s’est fait connaître grâce à ses romans. Il y a ensuite eu les scénarios pour le cinéma, et les poèmes. L’attention portée sur lui s’est accrue quand il s’est lancé dans la réalisation. Malgré l’importance de sa poésie, le cinéma est resté l’élément majeur de son œuvre. Ses critiques de la modernité ont aussi eu des impacts très forts. Elles restent aujourd’hui encore le sujet de nombreuses publications.

Depuis les années quatre-vingt, il y a une grande attention sur son œuvre théâtrale, alors qu’elle fut un échec de son vivant. Aujourd’hui, des anthropologues s’intéressent à son regard sur la société. D’autres chercheurs étudient la place de la musique dans son œuvre. C’est intéressant car il n’était pas très mélomane : il était donc conseillé par l’autrice Elsa Morante. Pasolini avait une grande intuition et une capacité à expérimenter, à rapprocher des formes d’expression a priori très éloignées.

Publié le 19/04/2021 - CC BY-SA 4.0

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