Du dessin animé au pixel : les techniques de l’animation
« Les techniques sont au cœur du travail de l’animateur », Sébastien Denis.
Le cinéma d’animation est l’alliance du cinéma et des arts plastiques. La grande variété des techniques cinématographiques est au service de l’activité créatrice.
Ce dossier présente les principales techniques de l’animation image par image.
Les films d’animation utilisent les techniques cinématographiques de prise de vues image par image pour créer artificiellement le mouvement. À la différence du cinéma de prise de vue réelle, où le mouvement est filmé en continu à l’aide d’une caméra, en animation chaque image est créée et photographiée séparément. C’est le défilement rapide des images qui crée l’illusion du mouvement.
La magie de cette illusion provient d’une imperfection de l’œil humain : la persistance rétinienne. En effet, lorsqu’on fait défiler rapidement des images devant notre œil, celui-ci n’est pas capable de les effacer immédiatement et finit par les superposer. En cinéma, il faut 24 images pour constituer une seconde de film. Mais l’animateur se contentera de fabriquer en moyenne 12 animations qui seront photographiées chacune deux fois sur une pellicule. On obtient bien alors les 24 images qui composent une seconde de film.
Cette technique a connu un grand succès populaire avec des films destinés aux enfants, même si une grande part de la production s’adresse à d’autres publics. Le principe du dessin animé est de décomposer chaque mouvement en plusieurs dessins pour donner l’illusion du mouvement lors de la projection.
Les premiers dessins animés En 1908, le français Emile Cohl présente Fantasmagorie. C’est le premier dessin animé de l’histoire du cinéma. À l’origine, le dessin animé était fabriqué sur papier. Les œuvres des pionniers comme Émile Cohl et l’Américain Winsor McCay (le créateur deGertie le dinosaure, 1914) ont été réalisées sur ce support. Cependant, le fait que le papier était opaque entraînait plusieurs difficultés. D’abord, le cinéaste ne pouvait pas conserver les parties immobiles de son dessin et ne remplacer que les parties mobiles. Ensuite, il faisait face à des problèmes de stabilité et à un inévitable effet de sautillement. Enfin, cela limitait les effets de perspective. Les expériences menées à New York, dès 1913, par le Québécois Raoul Barré et par John R. Bray préparent le terrain à la généralisation de l’animation sur cellulo, en utilisant un support transparent, le verre.
Après qu’un dessin de fond (ou décor) a été réalisé, on pose dessus un cellulo de façon que, par effet de transparence, les éléments dessinés sur le cellulo s’intègrent au décor. On peut superposer ainsi plusieurs cellulos, ce qui permet une importante économie de travail ainsi que de spectaculaires effets de perspective. Un autre progrès décisif est l’invention du système des tenons, encore utilisée actuellement. Les feuilles de papier sont perforées en haut ou en bas du dessin. Ces perforations s’adaptent très exactement aux chevilles métalliques d’une règle qui peut être fixée sous la caméra, sur la table de travail de l’animateur, ou sur les postes des coloristes. Ce système maintient les feuilles de papier ou de cellulos et les superpose avec précision.
La production des grands studios américains (Disney, Warner, MGM, Hanna-Barbera) a été essentiellement réalisée à partir de cette technique, qu’on a ensuite modifiée (utilisation de décors en trois dimensions par les frères Fleischer, usage de la caméra multiplane). Pour l’essentiel, la méthode reste cependant la même, c’est-à-dire qu’il s’agit de tracer à l’encre des formes qui seront ensuite colorées, le plus souvent à la gouache. Chaque image filmée étant le fruit de plusieurs étapes, cette technique favorise la division du travail, principe qui a été adopté dès l’origine par John R. Bray et les chefs de studio qui l’ont suivi. C’est en 1990 que Walt Disney Pictures abandonne la technique du cellulo avec Bernard et Bianca en Australie, au profit d’un système permettant de colorer et d’assembler les dessins après les avoir numérisés. Progressivement, les autres sociétés lui emboîtent le pas jusqu’à aujourd’hui, où la disponibilité de logiciels spécialisés performants rend l’ordinateur incontournable.
Le papier découpé et les films de silhouettes
La technique du papier découpé est vieille comme le cinéma d’animation (Émile Cohl l’a pratiquée). On utilise des personnages dont chaque partie du corps est découpée dans du papier puis articulée afin de pouvoir être disposée dans toutes les positions. Les personnages ainsi créés peuvent ensuite être animés, image par image, sous la caméra d’un banc-titre. Pour les animer, le réalisateur déplace légèrement certaines parties du corps, puis il prend deux images avec la caméra et continue de cette façon à faire évoluer ses personnages. Dans les films de silhouettes, les personnages et certains éléments du décor sont découpés sur du carton sombre. Au tournage, elles sont placées sur une plaque de verre rétro-éclairée afin de créer un effet rappelant les ombres chinoises. Les éléments découpés apparaissent alors en silhouettes noires. Le tournage s’effectue de la même façon que pour la technique du papier découpé. Cette technique a été reprise par Michel Ocelot dans des courts métrages et dans son film Princes et princesses.
Réalisé en papier découpé, Les Aventures du Prince Ahmed (1926), de l’Allemande Lotte Reiniger est le premier long métrage d’animation de l’histoire du cinéma, chef d’oeuvre inspiré des Contes des Mille et une nuits. La cinéaste est reconnue comme la plus éminente représentante du film de silhouettes.
L’animation à trois dimensions
En France, on appelle animation de volume les animations en trois dimensions filmées avec une caméra. L’animation à trois dimensions désigne à la fois l’animation de marionnettes, la pixillation et l’ensemble des techniques dérivées de ces dernières, comme l’animation de structures de pâte à modeler, ou claymation, technique qui a fait la gloire de cinéastes comme l’Américain Will Vinton, l’Anglais Nick Park et le Russe Garri Bardine. Ces techniques ont en commun d’exiger du cinéaste qu’il tienne compte d’éléments de mise en scène très proches de ceux avec lesquels compose le réalisateur de prises de vues réelles. En effet, dans l’animation à trois dimensions, l’éclairage, les mouvements de caméra, le choix de l’objectif, la profondeur de champ et les rapports spatiaux entre les éléments ne sont pas virtuels, comme en dessin animé, mais plutôt réels, comme dans les films de fiction avec acteurs.
L’animation de marionnettes trouve son origine dans la tradition millénaire du théâtre de marionnettes. Cette tradition fait partie de la culture populaire d’Europe centrale depuis des siècles, ce qui explique pourquoi c’est dans cette partie du monde que l’animation de marionnettes s’est d’abord implantée. Le Russe Ladislas Starewitch, avec des films comme La Vengeance de l’opérateur cinématographique(1912), a été le premier maître de cette technique. Il fut bientôt suivi dans cette voie par plusieurs animateurs russes, mais surtout tchèques, le plus célèbre étant Jiri Trnka. C’est un autre Européen, le Hongrois George Pal, qui a imposé cette technique aux États-Unis, au début des années 1940. Au Japon, Kihachiro Kawamoto, formé à Prague par Trnka, s’est inspiré du théâtre de marionnettes japonais (le bunraku) dans des films comme Le Temple Dojoji(1976).
Cette technique met en scène des poupées articulées, constituées de squelettes ou armatures, généralement métalliques, situées dans un corps (fabriqué en latex, bois ou autres matières souples ou dures) et recouvert d’habits. L’expression du visage, jusqu’à présent assez limitée, devient plus vivante avec le développement de nouvelles techniques.
Les personnages et objets en pâte à modeler (plasticine pour les Anglo-saxons, plastiline pour les Français) sont parfois fabriqués autour d’un squelette, mais souvent l’absence de squelette leur permet de subir les transformations les plus fantaisistes. Des décors et accessoires à l’échelle des personnages sont construits. Le tournage s’effectue sur un plateau de cinéma qui contient le décor et les marionnettes, des éclairages ainsi qu’une caméra fonctionnant image par image. L’animateur fait bouger très légèrement le personnage et effectue la prise de l’image. Les films en pâte à modeler les plus populaires ont été réalisés par les studios Aardman de Bristol, Wallace et Gromit et Chicken Run, notamment. Lestudio Folimage de Valence a, quant à lui, réalisé des séries pour enfants avec cette technique (Hôpital Hilltop).
On appelle « animation sans caméra » les techniques du dessin et de la gravure sur pellicule. L’image est tracée directement sur la pellicule par le cinéaste, à l’aide d’encres (dans le cas du dessin) ou d’un instrument pointu avec lequel on gratte l’émulsion dans le cas de la gravure. Le Néo-Zélandais Len Lye et le Canadien d’origine écossaise Norman McLaren sont les deux premiers cinéastes à avoir réalisé une œuvre accomplie et soutenue à partir des techniques d’animation sans caméra. Ainsi, en 1935, au General Post Office Film Unit (GPOFU) de Londres, Len Lye réalise un premier film peint directement sur pellicule, A Colour Box. C’est pour Lye le début d’une activité importante qui culminera avec des titres comme Free Radicals en 1958 et Particles in Space en 1964, deux films gravés sur pellicule.
En 1937, c’est au tour de Norman McLaren de passer au GPOFU, où il réalise notammentLove on the Wing, qui contient des segments dessinés directement sur pellicule. McLaren affirmera plus tard avoir été entraîné dans cette voie à la suite du choc ressenti au moment du visionnage de A Colour Box de Len Lye. Installé aux États-Unis de 1939 à 1941, McLaren poursuit ses expériences d’animation sans caméra avec des films comme Scherzo (1939), Stars and Stripes (1940) et Dots(1940), tous dessinés sur pellicule.
L’écran d’épingles
À mi-chemin entre la bi- et la tri-dimensionalité, la technique de l’écran d’épingles a été inventée au début des années 1930 par le graveur Alexandre Alexeïeff, un Français d’origine russe. Il met au point un appareil constitué d’un écran blanc percé de centaines de milliers de trous, chacun traversé par une épingle rétractable. En plaçant des sources lumineuses des deux côtés de l’écran, les épingles plus ou moins sorties de l’écran, projettent une ombre sur la surface et créent ainsi une image avec des intensités entre le noir et le blanc sur l’écran. L’effet visuel est proche de celui d’une gravure en noir et blanc. Cette technique a été peu reprise après son concepteur. On peut admirer cependant sur le site de l’Office national du film du Canada les films sur écran d’épingles de Jacques Drouin et de Michèle Lemieux, qui est l’actuelle dépositaire de cette technique.
Tout ce qui peut bouger, être déformé, modelé, coloré, peint…peut être utilisé en animation. La technique la plus connue demeure sans doute le sable animé. Cette technique consiste à tracer le dessin sur du sable placé sur une table lumineuse, directement sous la caméra. Le sable peut être déplacé à l’aide d’un pinceau ou des mains.
Les Suisses Ernest et Gisèle Ansorge ont réalisé le film Les Corbeaux, en 1968 avec cette technique.
Caroline Leaf réaliseLe Mariage du hibouen 1975 en utilisant également le sable. L’imagerie qu’elle crée ainsi, très stylisée et fortement contrastée, évoque les lignes pures des sculptures inuites.
Office national du film du Canada (1974). Voir plus de films par Caroline Leaf, Au fil des ans, plusieurs cinéastes ont animé ainsi diverses matières : particules de linoléum (Zikkaron, Laurent Coderre, 1971), perles (Histoire de perles, Ishu Patel, 1977), etc. En 1976, Caroline Leaf a recours à une technique connexe pour The Street. Elle réalise l’adaptation d’une nouvelle de Mordecaï Richler en peinture animée, c’est-à-dire qu’elle modifie ses tableaux, directement sous la caméra, avant que la peinture ne soit sèche.
Il est aussi possible d’appliquer une mince couche de pâte à modeler sur verre pour réaliser une image qu’on anime ensuite par transformations successives. Ishu Patel(Après la vie, 1978) et Shira Avni(John and Michael, 2004) ont utilisé cette technique. Pjotr Sapegin se sert d’une manière très personnelle de la pâte à modeler sur verre pour À travers mes grosses lunettes (2003). Travaillant sur plusieurs niveaux, il anime ses personnages à la façon de marionnettes.
PourConte de quartier(2006), Florence Miailheopère une intéressante synthèse technique : elle utilise la peinture et le sable sur verre ainsi que le pastel sur carton pour créer un environnement urbain dense et bigarré.
Recréer le réel : pixillation, rotoscopie et images de synthèse
Pixillation et Rotoscopie : deux techniques pour animer le réel
C’est Norman McLarenqui, le premier, nomme pixillation la technique consistant à photographier image par image des êtres vivants et des objets sous contrôle du réalisateur. Des acteurs réels se déplacent d’un point à un autre. En chemin, ils s’arrêtent et sont photographiés dans des positions tout à fait artificielles. McLaren utilise cette technique avec brio dans Voisins (1952), une puissante fable antimilitariste, puis dans Il était une chaise(1957) et Discours debienvenue de Norman McLaren(1961), deux films dont l’anecdote repose sur la rébellion d’un objet de la vie courante (respectivement une chaise et un microphone).
La pixillation est dérivée des films à trucages qui marquèrent les débuts de l’histoire du cinéma. On peut citer en exemples certains trucages de Georges Méliès ou le célèbre El Hotel electrico de l’Espagnol Segundo de Chomon (1905). Le mouvement rapide obtenu par ce procédé évoque la frénésie, induisant des effets comiques. La déréalisation obtenue introduit une notion de distance, de stylisation, qu’elle soit pratiquée avec des objets ou avec des personnages vivants.
Inventé en 1915 par les frères Max et Dave Fleischer, le rotoscope est un appareil permettant de redessiner, image par image, une action filmée en prises de vues réelles. Le film est projeté sur une table à dessin et l’on décalque le mouvement du personnage. Cette technique utilisée par Disney dans Blanche Neige et les sept nains, permet d’avoir un mouvement réaliste en dessin animé. Le rotoscope a retrouvé une seconde jeunesse dans les dernières années avec le développement du documentaire animé, genre qui tend à se rapprocher le plus possible du réel
L’animation numérique
Le cinéma d’animation a connu une véritable révolution avec l’arrivée du numérique dès les années 1990. La plupart des films d’animation, que ce soit en 2D ou en 3D, sont maintenant conçus partiellement ou intégralement par ordinateur. Aujourd’hui, le cinéma d’animation utilise largement les images de synthèse ou images 3D, créées par ordinateur à l’aide de logiciels très évolués, qui permettent de construire, d’habiller, d’éclairer, puis d’animer des personnages et des objets dans un décor. Les décors en images de synthèse (3D) sont des espaces dans lesquels la « caméra » peut évoluer en toute liberté, tourner autour des personnages et objets virtuels. Leurs formes, couleurs et effets de matière, ainsi que mouvements et expressions, sont le résultat de calculs informatiques. La technique de la capture de mouvement (Motion Capture) permet d’entrer les données dans l’ordinateur en temps réel grâce à des capteurs placés sur le corps des comédiens. On arrive à la limite de la définition de l’animation, de l’image par image, lorsque la mise en mouvement des personnages virtuels ne sont plus l’œuvre d’un animateur.
À travers divers exemples, parfois peu connus, cet ouvrage s’efforce de révéler certaines complexités et variations de la production de l’animation numérique. Malgré un public toujours plus informé et à l’aise en matière de nouvelles technologies, la réalité de l’animation numérique est encore souvent mal comprise. Ce livre illustre les similitudes entre les oeuvres des pionniers de l’animation et l’évolution de la pratique sur ordinateur.
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Atelier de cinéma d'animation: du mouvement à l'émouvement: film, vidéo, numérique
Robi Engler
Favre, 2014
Ce livre guide le lecteur, étudiant ou enseignant, à travers les différentes étapes de la production de films d’animation, de l’impulsion créative jusqu’au montage final de l’image et du son, sans oublier le plus important, le contenu du film. Plus de vingt techniques d’animation sont décrites, avec pour chacune la liste du matériel nécessaire, des conseils pratiques et les ficelles du métier.
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Motion factory : les ficelles du monde animé
sous la direction de Jérôme Delormas
Gaîté Lyrique, Pyramyd, 2014
Publié à l’occasion de l’exposition Motion Factory, les ficelles du monde animé organisée à la Gaîté lyrique du 24 avril au 10 août 2014. Ce livre présente une génération d’artistes à travers les portraits de quinze studios du monde entier, des articles et des interviews. Il offre un panorama d’une création contemporaine hybride et tactile qui associe techniques artisanales et technologies numériques.
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