Portrait

Eileen Gray

Eileen Gray (Wikimedia. Domaine public)
Pour la première fois en France, une grande exposition sur Eileen Gray s’est déroulée au Centre Georges Pompidou du 20 février au 20 mai 2013. Très complète, cette rétrospective aborde l’ensemble de son oeuvre – design, architecture, peinture et photographie – et lève le voile de sa part d’ombre et de mystère. Une belle occasion de découvrir Eileen Gray, jusqu’à présent encensée par l’élite mais encore peu connue par le grand public, comme une icône majeure de l’art du 20e siècle.


Sommaire :
 

Enfance et révélation

Issue d’une famille aristocratique et aisée, Kathleen Eileen Moray Smith, plus connue sous le nom de Eileen Gray est née à Enniscorthy en Irlande en 1878 et grandit à Londres. Son père, amateur d’art, cultivé et anticonformiste, l’emmène régulièrement visiter les musées européens. C’est en 1900, alors que l’Exposition Universelle bat son plein à Paris qu’Eileen Gray reçoit une véritable révélation. Elle décide alors de consacrer sa vie aux Arts décoratifs et s’inscrit à la Slade School of Fine Arts à Londres, attirée par son enseignement avant-gardiste. Deux ans plus tard, Eileen Gray décide de s’installer à Paris, ville de la liberté intellectuelle et artistique, pour y satisfaire son esprit d’indépendance.

Décoration intérieure

Eileen Gray débute par les secrets de la laque grâce à un célèbre Japonais du nom de Sugarawa. Mais le produit, très dangereux, lui abîme les mains : Eileen Gray change de direction pour créer des objets usuels et s’occupe de décoration intérieure. Forte de son succès et attirant une nombreuse clientèle audacieuse et innovatrice comme Jacques Doucet ou Ossip Zadkine, Eileen Gray s’affirme comme une figure phare de l’Art Déco. En 1922, elle ouvre une boutique de décoration au 217 rue du Faubourg Saint-Honoré, haut lieu du luxe et de l’élégance parisienne. La boutique n’attire que l’élite intellectuelle et avant-gardiste comme les Noailles, aristocrates et mécènes produisant des films originaux réalisés par Luis Buñuel ou Jean Cocteau entre autres. Mais faute de publicité et de rentabilité, la galerie ferme ses portes en 1930.

Architecture et design

Aux alentours de 1924, Eileen fait la connaissance d’un ami architecte d’origine roumaine, Jean Badovici. C’est avec lui que Gray entreprend un voyage aux Pays-Bas et étudie les exemples de l’architecture moderniste. C’est encore par son entremise qu’elle rencontre Le Corbusier. À Roquebrune-Cap Martin, près de Menton, Eileen Gray et Jean Badovici conçoivent une villa en bord de mer de 1926 à 1929.

Vue de la villa E1027 de la mer
Editions Imbernon – Photo Centre Pompidou, Bibliothèque Kandinsky – Guy Carrard

Cette construction se révèle révolutionnaire tant dans l’architecture que dans la décoration intérieure. Ils la baptisent Villa E-1027. Cette mystérieuse signature cache en réalité leurs initiales : E pour Eileen ; 10 , la dixième lettre de l’alphabet J pour Jean ; 2, la deuxième lettre B pour Badovici et 7 la septième lettre G pour Gray. En ruine pendant de longues années, la villa vient d’achever sa restauration. Elle est peut être visitée depuis mai 2015Le Corbusier y séjourna régulièrement et, en 1952, construisit son Cabanon à proximité. 

Durant la période des années 30, elle se lie avec des architectes, designers et décorateurs de renom tels que Mallet-Stevens et René Herbst, membres de l’Union des Artistes Modernes. Elle crée des objets avec toutes sortes de matériaux, qu’ils soient luxueux tels que la laque et le cuir ou industriels comme l’aluminium, parfois avec un humour ironique, par exemple le fauteuil Bibendum, référence à la marque de pneu en caoutchouc.

Fauteuil Bibendum en caoutchouc
Fauteuil Bibendum. Galerie De Vos – Photo Christian Baraja, Sudio SLB

Ses créations assoient sa réputation de décoratrice d’intérieur et de designer. À ses réalisations, elle ne donne jamais sinon très rarement de titre ni ne les date : elle ne travaille pas pour la postérité. Sa décoration intérieure dépouillée comme ses meubles connaissent un succès intemporel. Elisabeth de Grammont, duchesse de Clermont Tonnerre, lui consacre un article dans la revue Feuillets d’Art

« Elle rêve alors cette chose difficile de faire des ensembles d’une cohésion parfaite, réunissant au dessin de lignes renouvelées une palette où se jouent les tons fauves et nocturnes. Elle veut créer des intérieurs conformes à nos existences, aux proportions de nos chambres et aux aspirations de notre sensibilité […] Miss Gray veut créer la chambre tout entière depuis les rideaux, les tentures, les tapis, les étoffes jusqu’aux éclairages, pour former un ensemble beau comme un poème. »

Elisabeth de Grammont, Feuillets d’Art

De nombreux designers contemporains s’inspirent encore des œuvres d’Eileen Gray. Parmi eux la grande dame au damier noir et blanc : Andrée Putman.

Couverture du livre

Eileen Gray, design and architecture : 1878-1976
par Philippe Garner, Nouv. éd., Taschen, 2007

À la Bpi, niveau 3, 70″19″ GRAY 2

Dans cet ouvrage, les meubles, les décorations intérieures et les créations architecturales de Eileen Gray sont analysés et illustrés.

Artiste complète

Eileen Gray s’intéresse à tous les domaines de l’Art comme la peinture, la photographie, la tapisserie, etc. Autodidacte, atypique, pluridisciplinaire, esprit indépendant et véritable touche à tout, Gray ne subit aucune influence et n’appartient à aucun courant artistique.
Au fil des années, sa curiosité dans tous les secteurs ne cesse jamais, aussi bien dans le domaine de l’art, que dans ceux de l’urbanisme ou de l’environnement social : par exemple, en 1936, l’impact des congés payés provoque un bouleversement dans la vie sociale des gens. Eileen Gray va imaginer un centre de vacances et de loisirs. Ce projet intégrant services administratifs, parking, équipements liés aux loisirs, est présenté à l’exposition « Arts et techniques dans la vie moderne » en 1937.

Pendant la Seconde Guerre Mondiale, la Côte d’Azur est annexée par l’armée italienne et interdite aux étrangers, ses travaux restés à Menton sont pillés. Après la guerre, Eileen Gray se fait oublier par le corps architectural. Toutefois elle continue discrètement ses activités dans l’urbanisme social de 1946 à 1947. En 1954, Gray termine son dernier projet : la construction d’une nouvelle maison, baptisée « Lou Pérou ». En raison de sa grande réserve, Gray disparaît progressivement du paysage artistique.


couverture du livre
Eileen Gray : œuvres sur papier 

[textes de Robert Polo et Serge Aboukrat], Galerie Historismus, 2007
À la Bpi, niveau 3, 70″19″ GRAY 2

Présentation de soixante œuvres de l’architecte, designer et peintre Eileen Gray : des gouaches, collages et photographies, réalisées de 1918 aux années 1950, qui s’inscrivent dans le courant du modernisme.

Reconnaissance de son statut d’artiste majeure

En 1968, la popularité de Eileen Gray renaît grâce à un article élogieux de Joseph Rykwert publié dans Domus. En 1972, la vente aux enchère du mobilier du grand couturier et collectionneur Jacques Doucet fait redécouvrir son oeuvre et aussi son style inimitable. Quatre ans avant son décès à Paris en 1976, Eileen Gray est enfin reconnue comme pionnière dans le design, l’architecture intérieure et comme une artiste majeure du 20e siècle. Depuis cette date, elle a fait l’objet de quelques expositions posthumes. Sa notoriété éclate de nouveau grâce un événement très médiatisé et mondain le 24 février 2009 : lors de la vente à l’encan du mobilier appartenant à la collection Pierre Bergé/Yves Saint-Laurent, le fauteuil aux dragons ou la lampe Satellite réalisés par elle atteignent des sommes astronomiques.

Il est curieux de constater que les tranches de vie de cette artiste irlandaise de génie s’éclairent et s’assombrissent tour à tour, tel un phare trouant la nuit par intermittence. Cette exposition la mettra-t-elle en lumière définitivement ? L’avenir nous le dira…

Sites des musées et galeries où il est possible d’admirer ses œuvres :

Paris
Au Centre Pompidou 
À la Galerie Willy Huybrechts
– À la Galerie De Vos
– Au Musée des Arts décoratifs : le guéridon et la coiffeuse

Dublin
– Au National museum of Ireland
– Au The National architectural archive

Bibliographie sélective :
 

couverture du catalogue d'exposition
Eileen Gray : exposition
, Paris, Centre Georges Pompidou, 20 février-20 mai 2013
sous la dir. de Cloé Pitiot, Ed. du Centre Pompidou, 2013
À la Bpi, niveau 3,  70″19″ GRAY 2
Architecte-décoratrice irlandaise ayant choisi la France comme pays d’adoption, Eileen Gray (1878-1976) s’est illustrée comme laqueuse, décoratrice, créatrice textile, photographe, ou encore peintre. Elle fut l’une des figures marquantes des arts décoratifs français des années 1910 et 1920. L’exposition présente mobilier, maquettes, dessins, photographies et documents d’archives inédits.

couverture du catalogue d'exposition
Eileen Gray : l’exposition = The Exhibition,
Paris, Centre Georges Pompidou, 20 février-20 mai 2013
sous la dir. de Cloé Pitiot, Ed. du Centre Pompidou, 2013
À la Bpi, niveau 3, 70″19″ GRAY 2
Un parcours autour d’un sélection d’œuvres de cette figure marquante des arts décoratifs français. Avec de courts textes éclairant ses créations.

couverture du livre
Eileen Gray : sa vie, son oeuvre

Peter Adam, La Différence, 2012, 2 volumes
À la Bpi, niveau 3, 70″19″ GRAY 2
Parcours de Eileen Gray (1878-1976), connue comme designer de mobilier et architecte. Sa longue intimité avec Peter Adam (300 lettres et 500 photos) permet à celui-ci de retracer le fil de sa vie en accord avec l’esprit de son temps en même temps qu’en butte avec ses contemporains.

couverture du livre
Eileen Gray, une biographie

Peter Adam, A. Biro, 1989
À la Bpi, niveau 3, 70″19″ GRAY 2
Le destin de cette artiste connue pour son utilisation d’une technique ancienne : la laque, et pour avoir été une des premières à se lancer dans l’aventure du design.

Publié le 12/12/2012 - CC BY-SA 4.0

Sélection de références

Eileen Gray

François Baudot
Paris : Assouline, 1998

La couverture de cet ouvrage représente « le fauteuil aux dragons » réalisé vers 1917/1919. Il fait partie d’une des pièces les plus spectaculaires et aussi de la plus chère de la collection Yves Saint Laurent/Pierre Bergé vendue aux enchères en 2009.

À la Bpi, niveau 3, 74 MEM

Eileen Gray, une modernité poétique et sensible

C. Geoffroy, M.-H. Gatto
Bibliothèque publique d'information, 2013

Lire l’article consacré à Eileen Gray

Site d'Eileen Gray au Centre Georges Pompidou

Eileen Gray au Centre Georges Pompidou

Commissaire de l’exposition et conservatrice du Musée national d’art moderne du Centre Georges Pompidou, Cloé Pitiot résume la biographie et explique les créations de Eileen Gray.
Une vidéo de 3 minutes dévoile ses œuvres

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