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Appartient au dossier : École sensible

Entre les murs

Construire un établissement scolaire revient à matérialiser une conception éducative, consciente ou non. Il est donc utile de « lire » l’espace scolaire comme on prend connaissance d’un ouvrage pédagogique afin de souligner que certaines réponses architecturales sont sources de bien-être ou, à contrario, que certains oublis peuvent influer négativement sur les comportements des utilisateurs.

photographie prise dans un collège
© Maurice Mazalto

En affirmant que « la qualité du cadre de vie conditionne la pensée et le comportement », Claude-Nicolas Ledoux, architecte visionnaire du 18e siècle, soulignait déjà que les réalisations architecturales jouent un rôle important dans le bien-être, et que l’architecture n’est jamais neutre. Cette affirmation s’applique pleinement à l’école dans ses deux missions fondamentales : la transmission des savoirs et le vivre ensemble. Si la salle de classe, lieu essentiel de transmission, a peu évolué au cours des siècles, les espaces communs peuvent prendre des formes très variées.

Des espaces dédiés au vivre ensemble…

À l’école, les espaces scolaires dédiés au vivre ensemble jouent un rôle essentiel dans le processus de socialisation des utilisateurs: cours de récréations, foyers, endroits de détente… sont des lieux de rencontres et d’échanges. Ils favorisent une citoyenneté active, développent le respect de l’autre et la tolérance.
Ces espaces peuvent être officiellement acceptés ou seulement tolérés, parfois à la marge des lieux autorisés. Dans ce cas, ils sont perçus comme des failles, des endroits de transgression, dans lesquels s’engouffrent avec délectation des jeunes qui souhaitent échapper au regard de l’adulte, à la surveillance perçue comme une atteinte insupportable à leur liberté. Aussi la recherche d’endroits improbables, de recoins dissimulés qui échappent à la surveillance de l’adulte est-elle une activité très appréciée.
Qu’ils soient à la vue de tous ou dissimulés, tous les espaces qui facilitent les rencontres sont les vecteurs essentiels de la régulation sociale de l’école. Il est donc indispensable d’imaginer des installations et des aménagements diversifiés qui les favorisent. Mais, est-ce suffisant ? Existe-t-il d’autres demandes ?

… et à la parole

Pour avoir des réponses significatives, plus de huit cents jeunes de la sixième à la terminale (collèges, lycées généraux et technologiques ou professionnels) ont été questionnés sur leurs activités durant les temps de détente (récréations, pause méridienne…). Si celles-ci diffèrent selon les âges et les sexes, l’une d’entre elles est largement partagée. 90 % des garçons et des filles de tous âges déclarent « échanger avec un ou plusieurs camarades ».
L’importance de la parole dans le processus de socialisation n’est pas une surprise. Elle est utilisée dans de nombreuses situations : apaiser des conflits, construire un groupe avec son langage spécifique, se forger une identité au sein de celui-ci, initier des relations plus intimes…
Les espaces communs devraient donc être aménagés pour favoriser cette demande unanime. Quand les concepteurs adultes oublient de prévoir dans l’espace scolaire ces lieux d’échanges de paroles, les jeunes prennent spontanément le relais.

S’approprier un espace

Dans un collège de Châtillon-le-Duc en Franche-Comté, l’architecte a créé dans le hall d’entrée un escalier qui relie les niveaux. L’espace sous l’escalier n’a visiblement pas été aménagé par l’architecte, et pourtant des élèves s’y installent car il présente une configuration intéressante : il est protégé, à l’écart de la circulation. Ouvert sur le hall, ce lieu est néanmoins sous le regard des adultes chargés de la sécurité et de la surveillance. Les jeunes peuvent l’investir ou le quitter à tout moment, rester debout ou s’assoir de façon décontractée. Prenant acte de cette situation, les responsables de l’établissement ont validé le lieu en faisant installer un tapis pour éviter le contact direct avec le sol ; les élèves ont créé un territoire qui contribue au bien-être dans le collège, profitant d’un espace ignoré dans le projet initial.

Répondre à une demande d’utilisateurs

photographie d'un lycée
Réclamée par les lycéens, l’agora est un lieu de rencontres, d’échanges, de rendez-vous et de travail © M. Mazalto, lycée Jacques Prévert, Pont-Audemer

Le lycée Jacques Prévert de Pont-Audemer construit au début des années quatre-vingt pour quatre cents élèves a bénéficié d’un nouveau bâtiment pour répondre à une augmentation démographique. La construction initiale comprenait une agora. Les architectes ont voulu la combler, estimant cet endroit dangereux. Ils avaient sous-estimé l’importance de ce lieu de rencontres, d’échanges, de rendez-vous, de travail. Consultés, les utilisateurs ont tous refusé la proposition et, à l’inverse, ont souhaité qu’un aménagement similaire soit créé dans l’extension. À l’écoute des utilisateurs, les architectes ont proposé une agora new look à base de gradins cubes de différents niveaux, qui donne entière satisfaction car elle favorise le vivre ensemble dans un espace commun de l’établissement.

Favoriser des pédagogies actives

Au collège Vauban de Belfort, un espace inutilisé jusqu’alors a été aménagé par les responsables de l’établissement avec du mobilier propice à la détente ou au travail en petit groupe. Cet espace isolé est en lien avec les autres locaux du secteur vie scolaire. Cet aménagement s’inscrit dans la transformation du Centre de documentation et d’information (CDI) en Centre de connaissance et de culture (3C), évolution préconisée par le ministère de l’Éducation nationale pour favoriser des apprentissages utilisant des pédagogies actives : recherches individuelles, projets de groupes… en développant l’utilisation d’outils numériques nomades.

À travers ces exemples, on constate que des lieux délaissés ou traditionnellement ignorés peuvent être utilisés pour offrir des espaces de bien-être aux utilisateurs grâce à des aménagements souvent peu onéreux. Il appartient aux collectivités d’inclure ces espaces dans leurs préconisations, aux architectes de les créer, aux usagers de les investir ou de les revendiquer en cas d’absence. Chacun a sa part de responsabilité dans un défi qui concerne la réussite éducative, donc l’avenir de chacun dans l’école.

Maurice Mazalto, proviseur honoraire, auteur d’ouvrages sur l’architecture scolaire

Article paru initialement dans de ligne en ligne n°21

Publié le 01/12/2016 - CC BY-NC-ND 2.0 FR

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