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Appartient au dossier : L’État et les institutions religieuses en France

L’État et les institutions religieuses en France #2 : les services d’aumônerie

Les services d’aumônerie installés à l’école, à l’hôpital, en prison ou au sein de l’armée permettent à l’État de remplir son obligation de garantie du libre exercice des cultes. Balises résume ces relations particulières entre l’État et les organisations religieuses en France, à l’occasion de la rencontre « Les institutions religieuses dans et face à l’Histoire » organisée à la Bpi en juin 2023

Uniformes et insignes de trois aumoniers de confession religieuse diverses
De gauche à droite, aumônier militaire juif, musulman et catholique de l’armée française, place de Strasbourg (juin 2013). Détail d’une photographie de Claude Truong-Ngoc, CC BY-SA 3.0, via Wikimedia Commons.

Une exception de subvention pour les lieux clos

La loi du 9 décembre 1905 acte la séparation de l’État et des Églises et charge l’État de garantir le droit fondamental d’exercer le culte de son choix, tout en interdisant les subventions aux cultes. Toutefois, l’article 2 introduit une exception pour « les dépenses relatives à des services d’aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons ». Cette exception, absente du projet initial de la loi, est ajoutée par un amendement à l’initiative d’un républicain de gauche, Maurice Sibille, afin que les usager·ères des établissements publics clos ne soient pas empêché·es d’exercer leur droit. Parce que la scolarité peut être suivie en internat, l’école se trouve aussi concernée par ce dispositif. 

Si l’aumônerie a une origine historique chrétienne ancienne, toutes les religions ont vocation à ouvrir des aumôneries. L’aumônier·ère est un·e religieux·se ou un·e laïc·que, rémunéré·e ou bénévole, mandaté·e par l’institution religieuse et agréé·e par les services de l’État ou ses établissements. Iel peut être assisté·e par les personnes de son choix, autorisées par l’administration, dans sa mission de soutien spirituel et moral auprès des usager·ères de l’institution publique. L’organisation d’un service d’aumônerie est une obligation à caractère législatif, dont l’encadrement juridique varie selon le type d’administration. Dans tous les cas, le service d’aumônerie doit s’adapter au contexte et ne pas aller à l’encontre du bon fonctionnement du lieu d’accueil. L’établissement public a l’obligation d’informer son public de l’existence de l’aumônerie et de communiquer ses coordonnées.

Le cas particulier de l’aumônerie scolaire

La laïcisation de l’enseignement public commence dans les années 1880 et notamment avec la loi du 28 mars 1882 qui retire l’enseignement religieux du programme des écoles primaires, tandis que les aumônier·ères restent rémunéré·es dans l’enseignement secondaire. La loi de 1905 ne rend plus nécessaire l’organisation et le financement de leurs services lorsque l’enseignement religieux peut se tenir à l’extérieur de l’école, par exemple un jour libéré dans la semaine comme le jeudi, puis le mercredi. La direction de l’établissement scolaire n’est donc plus tenue d’accepter les aumônier·ères dans ses locaux si elle n’est pas sous le régime de l’internat. Dans l’entre-deux-guerres, la « circulaire Herriot » du 5 novembre 1927 supprime les aumôneries d’externat, mais n’est pas uniformément appliquée. Celles-ci persistent et se multiplient même sous le régime de Vichy, avant qu’un bon nombre d’entre elles ne soient supprimées par une circulaire en 1946. En 1949, le Conseil d’État tranche et décrète les aumôneries scolaires facultatives si l’enseignement religieux peut être suivi à l’extérieur de l’école. Elles peuvent donc être supprimées à tout moment, même si elles sont largement fréquentées… La loi Debré, en 1959, ainsi que les textes qui suivent jusqu’en 1988, adoptent une attitude plus ouverte : les aumôneries ne sont pas obligatoires mais « la règle générale doit être d’accorder satisfaction aux vœux des demandeurs » (circulaire du 22 avril 1988). Les établissements scolaires publics qui disposent d’une aumônerie doivent en informer les élèves majeur·es ou les parents des mineur·es et la participation à l’aumônerie est facultative. La loi du 15 mars 2004, qui réaffirme la laïcité et interdit le port des signes religieux ostensibles ne mentionne pas les aumoniers·ères mais fournit de nouveaux arguments pour s’opposer à la présence d’aumônier·ères en tenue religieuse en milieu scolaire public. Les aumôneries scolaires qui subsistent sont majoritairement catholiques. Il existe quelques aumôneries israélites ou protestantes, mais, semble-t-il, aucune musulmane. Les autorités diffusent peu d’informations chiffrées sur la situation. 

Une représentation des cultes inégales

Le pluralisme des religions reconnu par la loi a ouvert les portes des aumôneries à d’autres confessions, mais dans les faits, les aumôneries catholiques sont plus nombreuses, pour des raisons généralement historiques, d’ancienneté ou d’acceptation par les autorités concernées. Toutefois, d’autres raisons peuvent expliquer la carence d’aumôneries dans les autres religions : les conditions et les moyens proposés par les institutions publiques pour l’exercice du culte ne sont pas toujours adaptés à l’organisation et aux rites de la religion. La prise en charge de la rémunération, le statut et la formation des aumônier·ères et de leurs auxiliaires sont aussi des problématiques fréquemment évoquées.

L’aumônerie militaire

Dans l’armée française, quatre confessions religieuses sont représentées (catholique, protestante, israélite et musulmane). Ces aumônier·ères sont sous statut militaire, au grade d’aumônie·ère, et assurent le soutien spirituel et moral des troupes et l’organisation de cultes collectifs. Si les aumôneries catholique, juive et protestante cohabitent depuis 1880, l’aumônerie militaire musulmane est une création récente. Des formes d’assistance religieuse à destination des militaires musulman·es ont bien été proposées depuis 1920, mais l’aumônerie musulmane n’est instaurée qu’en 2006, par la ministre de la Défense Michèle Alliot-Marie. L’armée française compte 357 aumônier·ères en 2020, dont 203 catholiques, 77 protestant·es, 42 musulman·es et 35 israélites, d’après l’association de soutien à l’armée française (Asaf).

L’aumônerie hospitalière

À l’hôpital public, les coordonnées des aumôneries figurent dans le livret d’accueil afin que les malades puissent avoir recours à l’aumônier·ère de leur choix. Cette personne officie bénévolement ou est rémunérée par l’État, sous le statut de contractuel·le de la fonction publique. La dernière circulaire en vigueur concernant l’aumônerie date de 2006 et intègre de nouvelles règles concernant les salles de culte et les rites alimentaires, « à aménager quand c’est possible ». En théorie, la liste des cultes autorisés n’est pas close et laissée à la libre appréciation de la direction de l’établissement. Ainsi, à l’hôpital Bicêtre, à Paris, six cultes proposent les services de leurs représentant·es. Les Témoins de Jéhovah peuvent également apporter une assistance spirituelle aux patient·es qui la réclament, au nom de la liberté de conscience et de religion et ce, malgré les signalements réguliers à la Miviludes, l’organisme de lutte contre les dérives sectaires. En 2005, le directeur de l’hôpital d’Orbec a vu sa décision de leur refuser l’accès à l’établissement invalidée par un juge. Leur association est reconnue comme cultuelle par deux arrêtés du Conseil d’État.

L’aumônerie de prison

En milieu carcéral, la liste des cultes est validée au niveau national et donc exhaustive. En 2023, sept confessions sont autorisées à y ouvrir des aumôneries. L’aumônerie catholique est la plus ancienne, l’aumônerie protestante est constituée en 1945, suivie par l’aumônerie israélite. C’est en 2006 que l’aumônerie musulmane est formée, puis l’aumônerie orthodoxe en 2010 et son équivalent bouddhiste en 2012. En 2014, l’aumônerie des Témoins de Jéhovah est autorisée, à la suite de leur victoire devant le Conseil d’État. 1 745 accompagnant·es cultuel·les interviennent en prison, réparti·es ainsi : 757 catholiques, 384 protestant·es, 239 musulman·es, 214 Témoins de Jéhovah, 69 israélites, 63 orthodoxes et 19 bouddhistes. Iels n’ont pas de statut, ni de rémunération, mais des indemnités forfaitaires encadrées par arrêté.

Les limites de ce système, supporté par l’État

Dans un contexte de réduction des budgets de fonctionnement de l’État, le pluralisme des cultes est difficile à assurer, surtout dans des fonctions publiques sensibles comme l’hôpital et la prison, confrontés à des problèmes d’effectifs, de conditions de travail et d’accueil, et à un nombre croissant de patient·es ou de détenu·es. L’Église catholique a longtemps financé ses structures, mais toutes les religions n’ont pas les moyens de rémunérer leurs aumônier·es ou de mobiliser des bénévoles quand le budget accordé pour le service d’aumônerie est trop faible. Certains peinent à trouver des représentant·es par manque d’attractivité et de rémunération de la fonction d’aumônier·ères, mais aussi parce que les institutions exigent de plus en plus un niveau de formation lors du recrutement.

Le fonctionnement de l’établissement d’accueil n’est pas toujours compatible avec celui des cultes, les priorités n’étant pas les mêmes. Le problème est particulièrement évident en milieu carcéral, où la sécurité prime et où l’intimité est presque inexistante. Les lieux ne sont pas toujours adaptés aux offices, ni disponibles. Les aumôneries des diverses religions sont souvent amenées à partager des espaces polycultuels, et à faire des compromis.

L’équilibre entre laïcité et aumônerie est fragile et souvent sujet à débats. Pourtant, les aumônier·ères apportent aussi un soutien moral aux usager·ères qui peut soulager les personnels des institutions, faciliter les soins, lutter contre la radicalisation et apaiser les esprits en prison. 

Publié le 12/06/2023 - CC BY-SA 4.0

Pour aller plus loin

« L'État, garant de la liberté religieuse » | vie-publique.fr, 2 août 2022

« L’État doit permettre à chacun de pratiquer son culte en assistant aux cérémonies ou en suivant l’enseignement propre à sa croyance. Si un croyant est retenu dans un établissement géré par l’État, il doit pouvoir pratiquer son culte au sein de cet établissement. C’est pourquoi la loi de 1905 prévoit la mise en place d’aumôneries dans les hôpitaux, les prisons et les lycées, c’est-à-dire dans des lieux qui possèdent un internat qu’on ne peut pas quitter. » (extrait)

Assistance spirituelle dans les services publics. Situation française et éclairages européens

Anne Fornerod (dir.)
Presses universitaires de Strasbourg, 2012

Dès la loi de séparation des Églises et de l’État du 9 décembre 1905, l’assistance spirituelle aux usager·ères des services publics est au cœur des débats. Les différentes contributions s’intéressent à l’articulation entre garantie de la liberté de religion des usager·ères des services publics et l’interdiction de financement ou de soutien public des religions dans les secteurs comme l’hôpital, l’enseignement secondaire ou l’université. Une analyse juridique et sociologique de la régulation du fait religieux en France, qui propose aussi un regard sur les positions d’autres pays européens.

En accès libre via OpenEdition / via Cairn.info

« Les “soldats de Dieu”. Quelle place pour les aumôniers militaires ? », par Axel Gougelet | Inflexions n° 29, 2015

Grâce à leurs racines historiques très profondes, les aumôneries militaires en France conservent une légitimité importante. Intégrées dans la structure militaire, elles évoluent avec elle.

En accès libre via OpenEdition / via Cairn.info

« 2006-2016, 10 ans d’aumônerie militaire du culte musulman », par Elyamine Settoul | Hommes et migrations n° 1316, 2017

« Structurée depuis une décennie au sein de l’armée française, la présence d’aumôniers militaires musulmans constitue un symbole fort, de la part de la grande muette, dans la reconnaissance de la diversité des croyances de ses troupes. Ces aumôniers traduisent également la volonté d’encadrer la pratique de l’islam dans les régiments. Si la religion musulmane demeure un sujet sensible dans la société française, objet de discriminations et de préjugés, les valeurs de soumission et de respect qu’elle prône participent à renforcer l’esprit de corps dans l’armée, fondé sur l’unité d’une République laïque. » (résumé)

En accès libre via OpenEdition / via Cairn.info

« Laïcité et gestion du fait religieux dans les établissements publics de santé » | Observatoire de la laïcité, 2019

Ce guide rédigé par l’Observatoire de la laïcité rappelle les règles et les textes juridiques relevant du principe de laïcité dans les établissements publics de santé, pour les personnels comme pour les usager·ères. Il propose des réponses aux difficultés pratiques qui peuvent être rencontrées au quotidien dans ces établissements.

L'Accompagnement spirituel en mouvement. Aumônerie hospitalière, 1974-2016

Cosette Odier
Sauramps médical, 2019

Pasteure et accompagnante spirituelle en hôpital, l’autrice expose l’évolution de la place accordée à l’accompagnement spirituel et aux Églises en milieu de santé, sur les quarante dernières années.

À la Bpi, niveau 2, 254 ODI

« Pratique des cultes dans le quotidien carcéral » | Observatoire international des prisons

La religion est une des activités les plus accessibles en prison, malgré les problèmes de locaux, de représentation des cultes, de moqueries, de disponibilités dont ce bilan fait état. Les rencontres avec les aumônier·ères sont importantes pour les détenu·es car c’est un·e interlocuteur·rice qui n’appartient ni à l’administration pénitentiaire, ni au médical ou à la justice, ce qui les sort de leur quotidien. Certain·es détenu·es participent même aux offices cultuels d’autres religions que la leur.

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