De Walter Ruttmann à Werner Herzog en passant par Wim Wenders, l’Allemagne a vu naître de grandes figures du cinéma documentaire. Balises vous propose une sélection de ressources pour les découvrir, dans le cadre de la rétrospective que la Cinémathèque du documentaire à la Bpi consacre à la cinéaste allemande Helga Reidemeister en juin 2022.
Les esthétiques documentaires allemandes racontent à elles seules une histoire du pays. L’intrication entre beauté plastique et glorification du pouvoir est, par exemple, au cœur du cinéma de propagande de Leni Riefenstahl pendant le Troisième Reich. Après-guerre, les films de Jürgen Böttcher et d’autres viennent, en République démocratique allemande (RDA), scruter la réalité sociale du pays et bousculer les représentations du socialisme. À l’Ouest, Alexander Kluge, Werner Herzog ou encore Wim Wenders refusent, à partir des années soixante, l’apolitisme du cinéma national. Ils s’évadent littéralement vers d’autres espaces, ouvrant à nouveau l’Allemagne sur le monde. À leur suite, Helga Reidemeister brosse le portrait sensible de vies souvent malmenées, dessinant le versant intime d’une histoire allemande toujours en (re)construction.
Simultanément, d’un bout du vingtième siècle à l’autre, des expérimentateurs comme Walter Ruttmann ou Harun Farocki réfléchissent aux pouvoirs des films sur les représentations du réel.
Balises, à son tour, tire le portrait de ces documentaristes.
Walter Ruttmann est né à Francfort en 1887. Après des études d’architecture, il se tourne vers la peinture puis devient cinéaste et réalise en 1921 son premier film, Opus I. Ce court métrage d’animation et premier film expérimental s’inscrit dans le mouvement du Cinéma absolu, proche des autres mouvements artistiques d’avant-garde du 20e siècle, dont Ruttmann est le fer de lance aux côtés de Francis Picabia, Fernand Léger, Marcel Duchamp, Man Ray ou encore Dziga Vertov. Suivront jusqu’en 1925 trois autres films abstraits, Lichtspiel Opus II, Ruttmann Opus III et Ruttmann Opus IV.
En 1927, Walter Ruttmann signe un film documentaire de 65 minutes : Berlin, symphonie d’une grande ville, une suite d’impressions visuelles inspirée de Dziga Vertov. Cet hommage rythmé à la métropole allemande, représentée comme une machine frénétique en mouvement du matin au soir, constitue un modèle de symphonie urbaine qui le rend célèbre. Par la suite, Walter Ruttmann tourne des films publicitaires et institutionnels et participe, aux côtés de Leni Riefenstahl, à la réalisation d’œuvres de propagande sous le régime nazi. Il meurt des suites d’une opération en 1941.
Cet ouvrage étudie l’émergence du cinéma expérimental dans les années vingt et les débats esthétiques suscités par l’apparition des courants d’avant-garde parmi lesquels il s’inscrit (cubisme, dadaïsme, surréalisme…). L’historien de l’art Patrick de Haas y présente des œuvres cinématographiques d’artistes majeurs : Francis Picabia, Antonin Artaud, Fernand Léger, Marcel Duchamp, Man Ray…
À la Bpi, niveau 3, 791.19 HAA
Leni Riefenstahl
Leni Riefenstahl naît en 1902. Elle est d’abord danseuse, puis devient une actrice populaire, avant de commencer une carrière de réalisatrice et productrice. En 1933, elle est choisie par Adolf Hitler pour filmer les rassemblements du parti nazi. Elle se lance alors dans la réalisation de documentaires de propagande : La Victoire de la foi, qui montre le Congrès du parti nazi en 1933, et Le Triomphe de la volonté, qui suit celui de 1934. Ce film rassemble une équipe de plus de cent personnes. Par un choix minutieux de décors, d’éclairages et de cadrages, Le Triomphe de la volonté célèbre avec une grande efficacité l’arrivée au pouvoir des nazis et, en particulier, de leur leader.
En 1936, Leni Riefenstahl réalise Les Dieux du stade pendant les Jeux olympiques de Berlin, déployant une machinerie inédite, de nombreuses techniques de prise de vue et rassemblant une équipe de trois cents personnes dont quarante cadreurs. Ce documentaire célèbre les corps et les performances des athlètes (notamment du sportif noir américain Jesse Owens) et pose les bases de la manière de filmer les compétitions sportives.
Mise à l’écart du milieu cinématographique, mais relativement peu inquiétée pendant la dénazification, Leni Riefenstahl devient photographe et meurt en 2003, à 101 ans.
Né en 1931, Jürgen Böttcher étudie la peinture à l’Académie des beaux-arts de Dresde de 1949 à 1953, puis la réalisation de 1955 à 1960 à l’Académie de cinéma et de télévision de Potsdam aux studios de Babelsberg. Il travaille comme réalisateur jusqu’en 1991 au DEFA-Dokumentarfilmstudio à Berlin-Est.
Ses premiers films, qui accompagnent des travailleurs dans leur vie quotidienne sans parti-pris idéologique, sont censurés. Jörgen Böttcher s’inspire de son approche de la peinture pour filmer de manière plastique des personnages au travail, que ce soit dans un haut fourneau (Les Constructeurs des hauts fourneaux, 1962), une blanchisserie (Lavandières, 1972), une gare (Les Aiguilleurs, 1984) ou une cantine (La Cuisine, 1987). En 1989, il filme la joie et le vertige qu’inspire aux habitants de Berlin-Est la chute du Mur. À la parole, il préfère filmer les gestes et les espaces, accompagnés d’ambiances sonores qui forment à elles seules un récit.
Cet article en anglais présente la carrière de Jürgen Böttcher et les enjeux qui se dégagent de sa filmographie riche d’une quarantaine de documentaires, dans le cadre d’une rétrospective que lui a consacrée le Goethe-Institut de Londres en 2019. Les problématiques et l’esthétique propres à chaque film présenté pendant le cycle sont également résumées.
Une analyse approfondie du film Le Mur (1990), dans lequel Jürgen Böttcher évoque la construction et la chute du Mur de Berlin, et réfléchit aux relations entre cinéma et histoire.
Alexander Kluge
Après des études de droit, Alexander Kluge (né en 1932) devient l’assistant-réalisateur de Fritz Lang sur le film Le Tombeau hindou (1959) avant de réaliser œuvres de fiction et documentaires dans les années soixante et soixante-dix. Son œuvre, profondément ancrée dans l’histoire de l’Allemagne, se confronte au nazisme et à la quête d’une identité allemande, deux sujets alors tabous.
Alors qu’en France émerge la Nouvelle Vague, il signe en 1962, aux côtés d’autres cinéastes de sa génération (Wim Wenders, Werner Herzog, Rainer Fassbinder…), le Manifeste d’Oberhausen proclamant la naissance d’un nouveau cinéma allemand. Son film de fiction Anita G (1966) en est l’œuvre emblématique tant sur le plan formel, où il expérimente des procédés techniques, que sur le fond, dans sa critique de la société allemande contemporaine. Cinéaste engagé politiquement et socialement, c’est tout naturellement qu’il signe en 2008 une adaptation du Capital de Karl Marx.
La revue Décadrages consacre à Alexander Kluge un numéro reprenant des analyses techniques et esthétiques de ses films et propose une étude des thèmes récurrents de son œuvre entre 1960 et 1980.
À la Bpi, niveau 3, 791.24 KLU 2
Alexander Kluge et la France. Éléments de poétiques transculturelles
Vincent Pauval (dir.)
Presses universitaires Blaise Pascal, 2022
Cet ouvrage est un recueil d’études sur l’influence de la littérature et du cinéma français sur l’œuvre du cinéaste et intellectuel allemand. Pour la première fois, sont également regroupés des textes d’Alexander Kluge traduits en français.
Bientôt à la Bpi, niveau 3, 791.24 KLU
Helga Reidemeister
Helga Reidemeister, disparue en 2021, laisse derrière elle une œuvre engagée : socialiste, féministe et pacifiste. Restauratrice d’art puis assistante sociale, elle rencontre des familles ouvrières dans le Märkisches Viertel, grand ensemble de Berlin-Ouest, et fait des logements sociaux l’espace de ses deux premiers films : Le Rêve acheté (1977) et Si c’est ça le destin (1979). Elle établit un dispositif particulier pour permettre aux personnes avec qui elle tourne de se saisir d’elles-mêmes et fait un cinéma d’intervention qui agit pour susciter un déplacement, voire un choc. La rencontre est un échange toujours concerné, à la fois bienveillant et frontal.
De fortes intentions traversent toute sa filmographie : interroger le déterminisme social, enclencher des prises de conscience, rendre le privé politique, inscrire les histoires individuelles dans un contexte plus large. Elle brosse le portrait de femmes engagées (avec Karola Bloch en 1982 ou dans Texas-Kaboul en 2003) et en suit d’autres en quête de sens (sa sœur mannequin dans Avec un intérêt obstiné pour l’argent en 1983 ou les détenues de Gotteszell en 2001). On parcourt avec elle un Berlin en pleine mutation avant et après la chute du Mur, on y observe les marques laissées par le conflit, leurs conséquences au quotidien. La guerre hante la cinéaste, née en 1940, et la mène, à la fin de sa carrière, dans un Afghanistan dévasté.
Ce que nous donnent à voir beaucoup des films de Helga Reidemeister, ce sont des femmes et des hommes qui se débattent, accompagnés avec patience par la cinéaste. Primée au Cinéma du réel dès son film de fin d’études, en 1980, et une seconde fois en 2001, elle est correspondante du festival pour l’Allemagne durant des années, dans un véritable travail de passeuse de films.
Balises vous propose un dossier pour découvrir l’œuvre de la cinéaste disparue en 2021, à qui la Cinémathèque du documentaire à la Bpi consacre une rétrospective en juin 2022.
On y retrouve notamment un entretien avec la cheffe opératrice Sophie Maintigneux autour du tournage de Gotteszell (2001), et une discussion avec le réalisateur Jürgen Ellinghaus sur le portrait de l’Allemagne que brosse la documentariste à travers ses films.
Dans ce compte rendu de festival, Arnaud Hée et Laurine Estrade reviennent longuement sur l’hommage qui y a été rendu à Helga Reidemeister. Ils proposent notamment une analyse comparative entre l’un de ses premiers films, Si c’est ça le destin (1979), et ce qui sera son dernier film, Mon cœur voit la vie en noir (2009).
Werner Herzog
Werner Herzog est né en 1942 et commence sa carrière de cinéaste au milieu des années soixante. Son œuvre, qui compte plus de soixante films, oscille entre fiction et documentaire, entre longs et courts métrages, et révèle sa volonté de briser les frontières entre les genres. Autodidacte, il fait partie lui aussi du groupe des signataires du Manifeste d’Oberhausen pour un nouveau cinéma allemand. En 1972, il obtient une reconnaissance internationale avec Aguirre, la colère de Dieu.
Dans ses fictions comme dans ses documentaires, Werner Herzog explore la part sombre des humains et l’inhospitalité de la nature. Cinéaste réputé pour ses conditions de tournage extrêmes, il n’hésite pas à partir aux quatre coins du monde et réalise des documentaires en haut des montagnes (Gasherbrum, la montagne lumineuse, 1985), sur des volcans (La Soufrière, 1977, Au fin fond de la fournaise, 2016), au fond des grottes (La Grotte des rêves perdus, 2010). En 2005, il tourne Grizzly Man à partir des images filmées par l’aventurier Timothy Treadwell, dévoré par un ours.
Sylvain Portmann et Charlotte Bouchez (dir.)
Décadrages, 2013
Décadrages consacre un dossier au cinéaste à l’occasion d’une rétrospective au Centre Pompidou en 2008-2009. Un recueil de contributions mêlant analyses esthétiques et réflexions sur les thématiques présentes dans l’œuvre de Werner Herzog.
Werner Herzog livre ici ses réflexions sur l’art cinématographique, ainsi que le journal de tournage de Fitzcarraldo (1982). Un ouvrage où le cinéaste confie ses pensées intérieures dans une prose poétique.
Les rapports houleux du cinéaste Werner Herzog et de son acteur fétiche Klaus Kinski. Une amitié haineuse qui, soigneusement entretenue sur vingt ans, accouche de cinq films dont les célèbres Aguirre, la colère de Dieu, Nosferatu, fantôme de la nuit et Fitzcarraldo.
À consulter à la Bpi, 791.7 KINS
Harun Farocki
Harun Farocki est né en 1944 dans une partie de la Tchécoslovaquie alors annexée par l’Allemagne. À la fin des années soixante, il étudie pendant deux ans à la Deutsche Film- und Fernsehakademie Berlin (DFFB), école de cinéma privée qui vient d’ouvrir à Berlin-Ouest. Puis, il reste habiter en Allemagne. Entre 1974 et 1984, il édite la revue Filmkritik, au sein de laquelle il commence à développer une ample réflexion théorique sur l’image. Simultanément, il tourne ses premiers films.
Au fil de plus d’une centaine d’œuvres, Harun Farocki explore la fiction, le documentaire, l’essai, l’art vidéo, l’installation… Il y mène une intense réflexion politique sur le travail, la guerre, l’économie, mais aussi la fabrication et le traitement des images, en particulier dans un contexte médiatique et opérationnel.
Des rétrospectives de ses films ont eu lieu dans de grands musées européens, et lui-même a été professeur à l’Université de Californie à Berkeley de 1993 à 1999. Harun Farocki est décédé en 2014.
Christa Blümlinger, maîtresse de conférences en Études cinématographiques, a réuni un ensemble de textes rédigés par Harun Farocki. On peut y retrouver l’origine brechtienne de sa pensée, y apercevoir sa cinéphilie, y suivre sa pensée critique autour des festivals ou des limites de la politique des auteurs, ou encore y découvrir son travail de recherche autour de ses films documentaires et de ses installations.
À l’aide d’extraits de films américains et français et de films de propagande, Harun Farocki entend démontrer la capacité expressive des mains. Souvent, les mains révèlent une émotion que le visage cherche à dissimuler. Elles peuvent être aussi un canal de communication (échange d’argent) ou témoigner d’une compétence (travail).
À consulter à la Bpi, niveau 3, 150.13 EXP
Wim Wenders
Né en 1945, grand cinéphile, Wim Wenders fréquente assidûment les cinémathèques avant de devenir critique de cinéma puis cinéaste. Après avoir réalisé son film d’étude et quelques courts métrages, il rejoint le groupe des signataires du Manifeste d’Oberhausen dans les années soixante-dix et participe activement à l’émergence du nouveau cinéma allemand. Sa carrière de réalisateur compte une dizaine de longs métrages documentaires et une vingtaine de fictions.
Ses documentaires l’emmènent à Tokyo sur les traces du réalisateur japonais Yasujirō Ozu (Tokyo-Ga, 1985), à Cuba pour filmer le désormais célèbre groupe de musiciens du Buena Vista Social Club (1999), aux États-Unis sur les traces des grand·e·s blues·wo·men (The Soul of a Man, 2003), ou encore au Brésil avec le photographe Juliano Ribeiro Salgado (Le Sel de la Terre, 2014). Ouvrant des fenêtres sur le monde, Wim Wenders cherche aussi à capter, par le biais du cinéma, ce qui fait l’essence des autres arts, qu’il s’agisse de la musique, de la photographie, ou encore de la danse (Pina, 2011).
Jérôme Lautet et Yann Calvet (dir.)
Éclipses, 2015
La revue Éclipses propose un recueil de contributions autour de la carrière de Wim Wenders, de ses multiples centres d’intérêt (musique, danse, photographie, etc.) ainsi que des analyses de ses œuvres et des thèmes qui les traversent.
Avril 1979, à New York. Nicholas Ray, en phase terminale d’un cancer qui l’emportera deux mois plus tard, fait venir son ami Wim Wenders pour un ultime film-testament.
« C’était extrêmement éprouvant pour tous ceux qui y ont participé, et assez souvent nous étions prêts à abandonner. Mais le courage et la détermination de Nick à affronter sa mort en face nous ont portés jusqu’au bout. » (Wim Wenders)
À consulter à la Bpi, niveau 3, 791.6 RAY. N
Thomas Heise
Né en 1955 à Berlin, Thomas Heise envisage une carrière d’imprimeur avant de se tourner vers le théâtre, puis vers le cinéma. En 1975, il intègre les studios de la DEFA à Berlin-Est en tant qu’assistant-réalisateur, puis il suit des études de réalisation à l’université Konrad Wolf de Potsdam Babelsberg. En 1980, son premier film, À quoi bon faire un film sur ces gens-là ?, est interdit, car Thomas Heise y suit sans jugement ni idéologie le parcours de petits délinquants berlinois. Le réalisateur arrête alors ses études et devient écrivain, réalisateur et metteur en scène pour le théâtre et la radio.
Tous ses premiers documentaires sont censurés, à l’image de Mairie, Berlin, 1984, tourné sans autorisation au Conseil municipal de l’arrondissement Berlin-Centre sur l’Alexanderplatz, ou de Volkspolizei/1985, tourné dans une caserne de police du district de Mitte. Ses films n’obtiennent une reconnaissance qu’à partir des années quatre-vingt-dix. Thomas Heise va à la rencontre de ceux qui ont construit une ville, de jeunes néonazis, d’adolescents berlinois, d’employés d’un crématorium ou encore de sa propre famille, pour examiner les rouages de la société allemande moderne et montrer les fantômes de la RDA.
Hélène Camarade, Élisabeth Guilhamon, Matthias Steinle et Hélène Yèche (dir.)
Presses universitaires du Septentrion, 2018
Le cinéma, fictionnel ou documentaire, est utilisé dans cet ouvrage collectif comme un lieu d’observation pour saisir l’évolution des représentations culturelles sur la RDA et la société postsocialiste. Constitué de dix-huit contributions d’historiens, de spécialistes des études cinématographiques et de germanistes, le livre est articulé en six grands chapitres thématiques : l’historicité des représentations, les « films qui dominent la mémoire » (Sonnenallee, Good Bye Lenin ! et La Vie des autres), le film populaire au cinéma et à la télévision, différents espaces comme celui de Berlin-Est ou de la vie juive, le cinéma d’auteur et le film documentaire.
Les réalisateurs Christian Petzold et Thomas Heise font l’objet d’une attention particulière : outre les articles dédiés à leurs œuvres, on peut lire dans l’ouvrage un entretien avec Thomas Heise, et un autre avec la costumière de Christian Petzold.
Pour célébrer les trente ans de la réunification allemande, le Goethe-Institut de Montréal propose une discussion (en anglais) avec Thomas Heise autour de son film Heimat is a Space in Time (2019).
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